Andrew proposa à Marisa de lui envoyer de l'argent, pour qu'elle se rende à Córdoba en avion, achète un appareil photo numérique et piste le dénommé Ortega. Andrew devait être absolument certain qu'Ortega et Ortiz soient le même homme.
Une telle mission demanderait à Marisa de s'absenter au moins trois jours, et son patron le lui refuserait. Andrew la supplia de trouver quelqu'un de confiance qui puisse s'y rendre à sa place, il la dédommagerait, dût-il payer de sa poche. Marisa ne promit qu'une seule chose, le rappeler si elle trouvait une solution.
*
Olson arriva au journal vers midi, il passa devant Andrew sans le saluer et s'installa dans son box.
Le téléphone d'Andrew sonna. Simon lui demandait de le rejoindre le plus discrètement possible à l'angle de la Huitième Avenue et de la 40e Rue.
– Qu'y a-t-il de si urgent ? demanda Andrew en retrouvant Simon.
– Ne restons pas là, on ne sait jamais, répondit Simon en l'entraînant vers un barbier.
– Tu m'as fait quitter mon bureau pour m'emmener chez le coiffeur ?
– Tu fais ce que tu veux, mais moi j'ai besoin d'une bonne coupe et aussi de te parler dans un endroit tranquille.
Ils entrèrent dans l'échoppe et s'installèrent côte à côte sur deux fauteuils en moleskine rouge face à un grand miroir.
Les deux barbiers russes, qui devaient être frères tant ils se ressemblaient, s'affairèrent aussitôt.
Et Simon, pendant qu'il se faisait shampouiner, raconta avoir pris Olson en filature à la sortie de son domicile.
– Comment as-tu eu son adresse, je ne la connais même pas ?
– Mon mauvais génie informatique ! J'ai le numéro de Sécurité sociale de ton collègue, le numéro de son portable, de sa carte de club de gym, de ses cartes de crédit et de tous les programmes de fidélité auxquels il a souscrit.
– Tu es conscient qu'accéder à ce genre de données relève d'une violation des droits les plus élémentaires et que c'est un délit pénal ?
– On se dénonce tout de suite ou je te raconte ce que j'ai appris ce matin ?
Le barbier barbouilla le visage d'Andrew de mousse, l'empêchant de répondre à la question de Simon.
– Premièrement, sache que ton collègue est camé jusqu'à l'os. Il a échangé un paquet de dollars contre un petit sachet en plastique dans Chinatown ce matin, avant même d'aller prendre son petit déjeuner. J'ai pris deux, trois photos de la transaction, on ne sait jamais.
– Tu es malade, Simon !
– Attends la suite, tu changeras peut-être d'avis. Il s'est rendu au commissariat central vers 10 heures. Ce qui était assez gonflé de sa part avec ce qu'il avait dans ses poches ; son aplomb force le respect, ou alors il est totalement inconscient. Je ne sais pas ce qu'il est allé faire là-bas, mais il y est resté une bonne demi-heure. Ensuite, il est entré dans une armurerie. Je l'ai vu discuter avec le vendeur qui lui présentait des couteaux de chasse, pas exactement des couteaux d'ailleurs. Je me tenais en retrait, mais j'ai cru voir des outils d'un drôle de genre. Je ne gesticulerais pas comme ça à ta place, tu vas finir par te faire trancher la gorge d'un coup de rasoir.
Le barbier confirma à Andrew la justesse du conseil de Simon.
– Je ne peux pas te dire s'il a acheté quelque chose, j'ai préféré m'en aller avant qu'il ne me remarque. Il est ressorti un peu après, l'air plus réjoui que jamais. Remarque, il était peut-être passé par les toilettes pour se repoudrer le nez. Ton bonhomme est ensuite allé s'offrir un croissant qu'il a mangé en remontant la Huitième Avenue à pied. Puis il est entré chez un horloger bijoutier, a discuté avec le propriétaire un long moment avant de poursuivre sa balade. Dès qu'il est arrivé au journal, je t'ai appelé, voilà. Je ne veux pas faire preuve d'un optimisme excessif, mais l'étau se resserre tout de même autour d'Olson.
Le barbier demanda à Andrew s'il souhaitait qu'il lui raccourcisse les pattes.
Simon répondit à sa place et demanda qu'on lui enlève un bon centimètre de chaque côté.
– Je devrais peut-être te proposer de m'accompagner à Buenos Aires, dit Andrew en souriant.
– Ne plaisante pas avec ça, j'ai un faible pour les Argentines et je serais capable d'aller faire ma valise sur-le-champ !
– Nous n'en sommes pas là, rectifia Andrew. En attendant, il est peut-être grand temps que j'aille cuisiner Olson.
– Donne-moi encore quelques jours. À ce rythme-là, à la fin de la semaine j'en saurai plus sur lui que sa propre mère.
– Je n'ai pas beaucoup de temps devant moi, Simon.
– Fais comme tu veux, je ne suis que ton humble serviteur. Et réfléchis à Buenos Aires, nous deux là-bas, ça pourrait être épatant.
– Et ton garage ?
– Ma concession automobile ! Je croyais que je ne vendrais rien avant début juillet ?
– Tu ne vendras rien non plus en juillet si tu n'es jamais à ton boulot.
– Tout à l'heure, j'évoquais la mère d'Olson, pas la mienne ! Je te laisse payer, ajouta Simon en se regardant dans le miroir. Ça me va bien les cheveux courts, tu ne trouves pas ?
– On va déjeuner ? demanda Andrew.
– Passons d'abord voir cet armurier. Tu voulais cuisiner quelqu'un, tu vas pouvoir sortir ta belle carte de presse pour savoir ce qu'Olson allait faire là-bas.
– Par moments, je me demande quel âge tu as...
– Tu paries que l'armurier tombe dans le panneau ?
– On parie quoi ?
– Le déjeuner dont tu parlais.
Andrew entra le premier dans l'armurerie, Simon le suivit et se plaça à quelques mètres derrière lui. Tandis qu'Andrew parlait, l'armurier l'observait du coin de l'œil, non sans manifester une certaine inquiétude.
– En fin de matinée, dit Andrew, un journaliste du New York Times est venu vous rendre visite, pourriez-vous nous dire ce qu'il vous a acheté ?
– Et en quoi cela vous concerne ? demanda le commerçant.
Au moment où Andrew fouillait ses poches à la recherche de sa carte professionnelle, Simon s'approcha du comptoir, l'air menaçant.
– Cela nous concerne parce que ce type est un escroc qui utilise une fausse carte de presse, on est sur ses traces. Vous comprenez la nécessité de l'empêcher de faire une connerie, surtout avec une arme qui proviendrait de chez vous, n'est-ce pas ?
L'armurier jaugea Simon, hésita un court instant et soupira.
– Il s'intéressait à des instruments très particuliers que seuls les vrais chasseurs recherchent et, à New York, ils ne sont pas nombreux.
– Quel genre d'instruments ? demanda Andrew.
– Des couteaux à dépecer, des poinçons, des crochets, des élévateurs.
– Des élévateurs ? interrogea Andrew.
– Je vais vous montrer, répondit l'armurier en se rendant vers son arrière-boutique.
Il revint tenant à la main un manche en bois prolongé par une longue aiguille plate.
– À l'origine, c'était un instrument chirurgical, dont les trappeurs ont détourné l'usage. Ils s'en servaient pour décoller les peaux en prélevant le moins de chair possible. Votre homme voulait savoir si les acheteurs de ce genre de produit étaient répertoriés, comme ceux qui achètent une arme à feu ou un couteau de combat. Je lui ai dit la vérité, il ne faut pas de permis pour un élévateur, on trouve des choses bien plus dangereuses chez le premier quincaillier venu. Il m'a demandé si j'en avais vendu récemment, ce n'était pas le cas, mais je lui ai promis de poser la question à mon employé, c'est son jour de repos.