Le disque dur comportait de nombreux dossiers, dont un nommé « SK ». En l'ouvrant, Andrew découvrit la prose abondante de Spookie Kid. Olson était un vrai malade mental, se dit-il en découvrant le torrent d'insultes proférées à son encontre. Aussi désagréable fût-il pour lui de parcourir pareille litanie, il préféra encore qu'elle émane d'un collègue jaloux plutôt que d'un lecteur. Andrew inséra une clé USB dans l'ordinateur et recopia les fichiers pour les étudier à son aise. Il faisait défiler les lignes sur l'écran lorsqu'il entendit son téléphone sonner de l'autre côté de la cloison. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent sur le palier, Andrew eut juste le temps de transférer un dossier intitulé « Châtiments » et se leva précipitamment alors que Freddy avançait dans le couloir.
En regagnant son poste de travail, Andrew se rendit compte qu'il avait laissé son mouchard sur l'ordinateur d'Olson et pria pour que celui-ci ne s'en rende pas compte.
– Tu étais où ? lui demanda-t-il alors qu'il passait à sa hauteur.
– Pourquoi ? J'ai des comptes à te rendre ?
– Simple curiosité, répondit Andrew qui cherchait à détourner l'attention de son collègue.
– Tu pars quand à Buenos Aires, Stilman ?
– Demain.
– Si tu pouvais y rester, ça me ferait des vacances.
Olson reçut un appel et quitta son bureau.
Andrew en profita pour aller récupérer sa clé USB.
Puis il emporta ses cahiers de notes, jeta un dernier regard à ses affaires et se décida à rentrer chez lui. Valérie l'attendait, c'était leur dernière soirée avant son départ à Buenos Aires et il préférait ne pas arriver en retard.
*
Il l'emmena dîner au Shanghai Café dans le quartier de Little Italy. La salle de restaurant offrait bien plus d'intimité que celle de Joe's. Valérie avait le cafard et ne chercha pas à le lui cacher. Andrew, bien qu'heureux de poursuivre son enquête, se sentait coupable. Ils auraient dû profiter pleinement de leur soirée, mais l'imminence de leur séparation rendait la chose impossible.
Valérie choisit d'aller dormir chez elle. Elle préférait ne pas être là lorsque Andrew refermerait au petit matin la valise qu'elle lui avait préparée.
Il la raccompagna jusqu'à son appartement du East Village et ils restèrent enlacés un long moment au bas de son immeuble.
– Je te déteste de me laisser seule ici, mais si tu avais renoncé à ce voyage je te détesterais encore plus.
– Qu'est-ce que j'aurais pu faire pour que tu m'aimes un peu ?
– La veille de ton départ, pas grand-chose. Reviens vite, c'est tout ce que je te demande, tu me manques déjà.
– C'est seulement pour dix jours.
– Et douze nuits. Fais attention à toi, et retrouve ce type. Je suis fière de devenir ta femme, Andrew Stilman. Maintenant, file avant que je renonce à te laisser partir.
19.
L'avion à bord duquel Andrew avait pris place se posa en début de soirée à l'aéroport international Ezeiza. À sa grande surprise, Marisa était venue le chercher. Il lui avait envoyé plusieurs mails, mais elle ne lui avait donné aucun signe de vie depuis leur dernière conversation téléphonique. Lors de son précédent voyage, ils s'étaient retrouvés à l'hôtel, le lendemain de son arrivée.
Andrew remarqua que plus le temps passait, plus il avait l'impression que les événements s'éloignaient de l'ordre dans lequel ils s'étaient déroulés précédemment.
Il reconnut la vieille Coccinelle dont les bas de caisses étaient si corrodés qu'il s'était demandé à chaque soubresaut si son fauteuil ne finirait pas par traverser le plancher.
– J'ai cru que vous étiez partie pour de bon en vacances avec l'argent que je vous ai envoyé, vous m'aviez promis de me donner des nouvelles.
– Les choses ont été plus compliquées que prévu, Antonio est à l'hôpital.
– Qu'est-ce qui lui est arrivé ? demanda Andrew.
– Nous avons eu un accident de voiture sur le chemin du retour.
– Grave ?
– Assez pour que mon petit ami se retrouve avec un bras dans le plâtre, six côtes fêlées et un traumatisme crânien. Il s'en est fallu de peu pour que nous y restions tous les deux.
– Il était en tort ?
– Si l'on considère qu'il n'a pas freiné au carrefour alors que le feu était rouge, oui, mais comme les freins ne répondaient plus, je suppose que sa responsabilité n'est pas engagée...
– Et sa voiture était aussi bien entretenue que la vôtre ? demanda Andrew qui n'arrivait pas à décoincer la ceinture de sécurité de son enrouleur.
– Antonio est maniaque avec son automobile, par moments je me demande s'il ne l'aime pas plus que moi. Il n'aurait jamais pris la route sans avoir tout vérifié. On a sciemment saboté nos freins.
– Vous suspectez quelqu'un ?
– Nous avons localisé Ortiz, nous l'avons espionné et pris en photo. On a posé quelques questions sur lui, probablement trop, ses amis ne sont pas des enfants de chœur.
– Ça n'arrange pas mes affaires, il doit être sur ses gardes maintenant.
– Antonio est dans un sale état et vous ne pensez qu'à votre enquête. Votre sollicitude me touche au plus haut point, monsieur Stilman.
– Je manque de tact, mais je suis désolé pour votre fiancé, il s'en sortira, rassurez-vous. Oui, je m'inquiétais pour mon article. Je ne suis pas venu ici non plus pour chanter dans une chorale. Quand a eu lieu l'accident ?
– Il y a trois jours.
– Pourquoi ne m'avez-vous pas prévenu ?
– Parce que Antonio n'a repris connaissance qu'hier soir et vous étiez la dernière de mes préoccupations.
– Vous avez gardé les photos ?
– Le boîtier a été très endommagé, la voiture a fait plusieurs tonneaux. Nous utilisions un vieil appareil pour ne pas attirer l'attention avec un modèle trop cher. La pellicule est probablement voilée, je ne sais pas ce que nous pourrons en tirer. Je l'ai déposée chez un ami photographe, nous irons la chercher ensemble demain.
– Vous irez seule, demain, je prendrai la route de Córdoba.
– Vous ne ferez sûrement pas une chose aussi stupide, monsieur Stilman. Avec tout le respect que je vous dois, si Antonio et moi qui sommes d'ici avons fini par nous faire repérer, je ne vous donne pas une demi-journée avant que les hommes d'Ortiz ne vous tombent dessus. Et puis vous n'avez pas besoin de faire tous ces kilomètres. Il vient chaque semaine à Buenos Aires visiter son plus gros client.
– Et quand aura lieu son prochain séjour ?
– Mardi prochain, s'il est fidèle à ses habitudes. C'est ce que nous avons appris là-bas en interrogeant le voisinage, et c'est probablement ce qui nous a valu l'accident.
– Je suis désolé, Marisa, je ne pensais pas vous faire courir des risques, si j'avais su..., dit-il en toute sincérité.
Andrew ne se souvenait pas de cet accident, plus rien ne se produisait comme avant. Au cours de son dernier voyage, c'était lui qui avait photographié Ortega et l'appareil lui avait été volé dans une ruelle de la banlieue de Buenos Aires, alors que trois hommes s'en étaient pris à lui.
– Vous pensez vraiment qu'un homme qui a mis tant d'énergie à changer d'identité pour éviter la prison se laissera démasquer sans réagir ? Dans quel monde vivez-vous ? reprit Marisa.
– Vous seriez surprise si je vous le décrivais, répondit Andrew.
Marisa se rangea devant l'hôtel Quintana dans le quartier bourgeois de la Recoleta.