Andrew fut pris d'une violente quinte de toux qui l'empêcha de respirer. En regardant la paume de sa main, il s'inquiéta d'y découvrir des taches de sang. Il s'excusa auprès de Simon, promit de le rappeler et courut dans la salle de bains.
Le miroir lui renvoyait une image terrifiante. Sa peau était d'une pâleur cadavérique. Il avait les traits émaciés, ses yeux enfoncés dans leurs orbites faisaient saillir ses pommettes. Il lui semblait avoir vieilli de trente ans au cours de la nuit. Une nouvelle quinte de toux projeta des postillons de sang sur le miroir. Andrew sentit sa tête tourner, ses jambes devenir molles. Il s'accrocha au rebord de la vasque et s'agenouilla avant de tomber sur le sol.
Le contact du carrelage froid sur ses joues le raviva un peu. Il réussit à basculer sur le dos et fixa le plafonnier dont la lumière vacillait.
Des bruits de pas dans le couloir lui laissèrent espérer l'arrivée de la femme de chambre. Incapable d'appeler au secours, il essaya d'attraper le cordon électrique du séchoir à cheveux qui pendait à quelques centimètres. Tendant son bras au prix de mille efforts, il réussit à s'en saisir, mais le cordon lui glissa des doigts et se balança mollement sous ses yeux.
Quelqu'un introduisait une clé dans la serrure de sa chambre. Andrew craignit qu'en devinant la pièce occupée la femme de chambre renonce à y entrer. Il essaya de s'agripper au rebord de la douche, mais s'immobilisa en entendant les voix de deux hommes qui chuchotaient de l'autre côté de la porte de la salle de bains.
On fouillait sa chambre, il reconnut le grincement du placard que l'on venait d'ouvrir. Il tendit à nouveau la main pour attraper ce satané séchoir, comme s'il s'agissait d'une arme.
Il tira sur le fil, l'appareil tomba sur le carrelage. Les deux voix se turent brusquement. Andrew réussit à s'asseoir, et à s'adosser à la porte, poussant de toutes ses forces sur ses jambes pour empêcher qu'on l'ouvre.
Il fut catapulté en avant, un violent coup de pied avait fait voler la serrure en éclats et propulsé la porte vers l'intérieur de la salle de bains.
Un homme le saisit aux épaules et tenta de le plaquer au sol, Andrew lui résista, la peur avait dissipé son vertige. Il réussit à balancer son poing sur la figure de son agresseur. L'homme, qui ne s'y attendait pas, s'effondra dans le bac de douche. Andrew se releva pour repousser le second assaillant qui se jetait sur lui. Il attrapa le flacon de savon liquide à portée de main et le lui balança. L'homme évita le projectile, le flacon explosa sur le carrelage. Deux crochets au visage projetèrent Andrew contre le miroir, lui fendant l'arcade sourcilière. Le sang se mit à jaillir et obscurcit sa vision. La lutte était inégale, Andrew n'avait aucune chance. Le plus costaud des deux agresseurs le bloqua à terre, l'autre sortit un couteau de sa poche et lui planta la lame au bas du dos. Andrew hurla de douleur. Dans un ultime effort, il attrapa un éclat du flacon et entailla le bras de l'homme qui tentait de l'étrangler.
L'homme, à son tour, poussa un hurlement de douleur. En reculant, il glissa sur le savon répandu au sol et son coude alla heurter le poussoir de l'alarme d'incendie.
Une sirène assourdissante se mit à résonner ; les deux hommes détalèrent.
Andrew se laissa glisser le long du mur. Assis par terre, il passa sa main dans son dos, sa paume était ensanglantée. La lumière du plafonnier vacillait encore au moment où il perdit connaissance.
20.
– Si vous teniez tant que ça à rencontrer Antonio, il suffisait de me le demander, dit Marisa en entrant dans la chambre d'hôpital.
Andrew la regarda sans répondre.
– Je vous l'accorde, ce n'était pas le moment de faire de l'humour, je suis désolée, ajouta-t-elle. Ils vous ont drôlement amoché, mais vous avez eu beaucoup de chance m'a dit l'interne.
– Question de point de vue ! La lame d'un couteau est passée à dix centimètres de mon rein. Les toubibs ont une étrange conception de la chance.
– La police a dit que vous aviez surpris des voleurs ; c'est de plus en plus fréquent m'a raconté le flic à qui j'ai parlé. Ils cherchent les ordinateurs portables, les passeports, les objets de valeur que les touristes laissent à l'hôtel.
– Vous croyez à cette version des faits ?
– Non.
– Alors nous sommes deux.
– Vous aviez un ordinateur dans votre chambre ?
– Je travaille à l'ancienne, stylo et carnets.
– Ils sont repartis les mains vides, j'ai récupéré vos affaires, elles sont en sécurité chez moi.
– Vous avez mes carnets de notes ?
– Oui.
Andrew soupira de soulagement.
– Il va falloir vous reposer si vous voulez interroger Ortiz mardi prochain. Vous êtes toujours partisan d'une approche civilisée ?
– Je ne suis pas là pour me reposer, dit Andrew en tentant de se redresser dans son lit.
La douleur le fit grimacer et il fut pris d'un vertige. Marisa s'avança vers lui pour le retenir. Elle arrangea ses oreillers et l'aida à se réinstaller confortablement. Puis elle lui tendit un verre d'eau.
– J'en avais déjà un à l'hôpital... C'est infirmière que j'aurais dû devenir plutôt que barmaid.
– Comment va votre ami ?
– Ils doivent le réopérer la semaine prochaine.
– Et à mon sujet, que disent les médecins ?
– Que vous devez rester au calme quelques jours, monsieur Stilman, annonça le docteur Herrera en entrant. Vous l'avez échappé belle.
Le médecin s'approcha d'Andrew et examina son visage.
– Vous auriez pu perdre l'œil. Heureusement, le cristallin et la cornée n'ont pas été touchés, vous vous en tirerez avec un hématome qui se résorbera tout seul. Vous aurez peut-être la paupière fermée pendant quelques jours. Nous vous avons suturé une sérieuse entaille au niveau des reins, mais mon interne de service vous a déjà rassuré à ce sujet. En revanche, votre état général n'est pas fameux. Je tiens à vous garder en observation pour vous faire subir des examens complémentaires.
– Quel genre d'examens ?
– Tous ceux que je jugerai nécessaires. Je crains que vous ayez une petite hémorragie quelque part. Comment vous sentiez-vous avant cet incident ?
– Pas au mieux de ma forme, avoua Andrew.
– Vous avez eu des problèmes de santé récents ?
Andrew réfléchit à la question. « Récents » n'était pas le terme approprié, mais comment avouer au docteur Herrera qu'il souffrait des séquelles d'une agression mortelle qui n'aurait lieu que dans quelques semaines ?
– Monsieur Stilman ?
– J'enchaîne malaises et épisodes de violentes douleurs au dos, j'ai tout le temps froid.
– Il pourrait s'agir d'un simple pincement vertébral, bien qu'un pincement vertébral ne soit jamais simple à traiter. Mais j'ai la conviction que vous perdez du sang quelque part et je ne vous laisserai pas sortir tant que je n'en aurai pas le cœur net.
– Je dois être sur pied lundi au plus tard.
– Nous ferons de notre mieux. Vous avez failli y rester. Réjouissez-vous d'être en vie et de vous trouver dans l'un des meilleurs services hospitaliers de Buenos Aires. Cet après-midi nous vous ferons passer une échographie de l'abdomen, si les résultats ne donnent rien, j'envisagerai un scanner. Reposez-vous maintenant, je repasserai à la fin de mon service.
Le docteur Herrera se retira, laissant Andrew seul avec Marisa.
– Vous avez mon téléphone portable ? demanda Andrew.
Elle le sortit de sa poche et le lui remit.
– Vous devriez avertir votre journal, suggéra-t-elle.
– Certainement pas, ils me feraient rapatrier ; je préfère que personne ne sache ce qui m'est arrivé.
– Une enquête est en cours, la police voudra vous interroger dès que vous irez mieux.