Выбрать главу

Andrew promit.

– Depuis que vous êtes venu me rendre visite, je dors mal. Ortiz ne figurait pas en première place dans mon album, ce n'était qu'un second couteau, comme je vous l'ai dit, un officier à la carrière sans envergure. Mais, maintenant, je ne peux m'empêcher de songer qu'il pilotait peut-être l'avion d'où ils ont jeté mon fils dans le río de La Plata. Je voudrais que vous le retrouviez et que vous le fassiez avouer. Il n'y a pas pire horreur pour une femme que de perdre son enfant, c'est le plus grand drame qui puisse frapper un être humain, plus redoutable que sa propre mort. Mais si vous imaginiez la douleur de ne pouvoir se recueillir sur sa tombe, de n'avoir jamais vu sa dépouille. Savoir que celui qui vous appelait jadis maman, courait se jeter dans vos bras en vous serrant de toutes ses forces...

Louisa marqua une pause.

– ... Quand l'enfant qui était votre lumière disparaît sans laisser de traces, lorsque vous savez que plus jamais vous n'entendrez sa voix, votre existence n'est plus qu'enfer.

Louisa se rendit à la fenêtre pour cacher son visage. Elle inspira et poursuivit, le regard porté vers le lointain.

– Alberto s'est réfugié dans l'oubli, il redoutait que la douleur le pousse à une vengeance aveugle. Il ne voulait pas devenir comme eux. Moi, je n'avais pas peur de ça. Une femme peut tuer sans le moindre remords celui qui lui a volé son enfant. Si j'en avais eu l'occasion, je l'aurais fait.

Andrew eut une pensée furtive pour Mme Capetta. Louisa se retourna vers lui, les yeux rouges, mais le regard fier.

– Trouvez-le, je vous le demande du fond du cœur, ou du moins, de ce qu'il m'en reste.

Louisa se leva et attrapa son cabas. En la voyant partir, Andrew eut l'impression qu'elle avait vieilli depuis le début de leur conversation. Et toute la nuit, il songea à sa rencontre avec Ortiz, espérant pour la première fois que le plan d'Alberto fonctionne.

*

En fin d'après-midi, le téléphone d'Andrew sonna. La contorsion à laquelle il dut se livrer pour saisir l'appareil réveilla la douleur.

– Quand tu dis « je te rappelle dans cinq minutes », tu...

– Je suis à l'hôpital, Simon.

– Tu rends visite à quelqu'un ?

– Non, je suis à l'hôpital...

Andrew raconta son agression à Simon, lui faisant promettre de n'en rien dire à Valérie. Il voulut le rejoindre immédiatement, mais Andrew le lui interdit. Il s'était déjà suffisamment fait remarquer depuis son arrivée à Buenos Aires et la venue de Simon ne ferait que compliquer les choses.

– Je suppose que ce n'est pas le moment de te faire mon rapport sur la femme de Capetta.

– Si, au contraire, je n'ai pas grand-chose à faire du week-end.

– Elle passe ses après-midi dans ce petit parc à tricoter pendant que son gamin joue dans le bac à sable.

– Tu lui as parlé ?

– Quand je t'ai dit qu'elle tricotait, ce n'était pas au sens figuré.

– Rien d'autre ?

– Non, à part qu'elle me semble bien trop belle pour avoir épousé un type comme ce Capetta dont tu m'as parlé, mais c'est probablement la jalousie qui me fait dire ça.

– Belle comment ?

– Cheveux noirs, yeux ébène, le regard volontaire avec une expression de solitude et de profonde souffrance.

– Tu as perçu tout cela juste en l'observant ?

– Ce n'est pas parce que j'aime les femmes, toutes les femmes, que je ne leur prête pas attention.

– Simon, c'est à moi que tu parles...

– Bon d'accord... Elle prenait un café dans un McDonald's, son môme revenait avec un plateau un peu trop lourd pour lui. Je me suis arrangé pour qu'il me rentre dedans. J'ai sacrifié un jean à ta cause. Sa mère s'est levée, elle s'est confondue en excuses. Avec deux grimaces, j'ai fait rire le gamin qui était au bord des larmes, je lui ai donné dix dollars pour qu'il aille se rechercher un Coca et des nuggets, et sous prétexte d'utiliser les serviettes en papier qui étaient sur la table, je me suis assis avec elle le temps que son fils revienne.

– Voilà qui te ressemble beaucoup plus.

– Ça me fait une peine folle que tu aies cette image de moi.

– Qu'est-ce qu'elle t'a raconté ?

– Qu'elle s'était installée à Chicago après le décès de son mari, pour se construire une nouvelle vie avec son fils.

– ... Qu'elle prive d'un père qui est pourtant bien vivant, drôle de veuve !

– La dureté de son visage quand elle évoquait son mari, c'était à vous glacer le sang. D'ailleurs, il y avait quelque chose de terrifiant chez elle.

– Quoi ?

– Je ne saurais te le décrire, simplement je me sentais mal à l'aise en sa compagnie.

– Elle t'a parlé d'un voyage à New York ?

– Non, et quand je lui ai dit en la quittant que si elle s'y rendait et avait besoin de quoi que soit, elle pouvait m'appeler, elle m'a assuré qu'elle n'y retournerait jamais.

– Elle a dû penser que tu lui sortais le grand jeu.

– Si je l'avais fait, elle aurait certainement changé d'avis.

– Évidemment !

– Oui, évidemment ! Mais compte tenu de ma mission, je me suis tenu à carreau. Je n'étais qu'un homme d'affaires, en visite à Chicago, père de trois enfants, et amoureux de sa femme.

– Qu'est-ce que ça t'a fait de te retrouver dans la peau d'un père de famille ? Pas trop épuisé ce matin ?

– Je pensais que tu me manquais, mais finalement...

– Tu la crois capable de tuer quelqu'un ?

– Elle en a la force, elle ment sur sa vie et sur ses intentions, il y a quelque chose de réellement dérangeant chez elle. Ce n'est pas Nicholson dans Shining, mais je t'assure que son regard fout la trouille. Enfin, Andrew, qu'est-ce que tu vas perdre ton temps à Buenos Aires, si tu crois vraiment qu'on va t'assassiner dans quelques semaines ?

– On m'a offert une deuxième chance, Simon, protéger Valérie de mes errances, mais aussi mener à terme une enquête dont l'issue ne compte pas seulement pour moi. J'en suis encore plus conscient aujourd'hui qu'hier.

Andrew demanda un dernier service à son ami. Dès qu'ils eurent raccroché, Simon alla acheter un bouquet de fleurs et le fit livrer chez Valérie accompagné du petit mot qui lui avait été dicté.

Pendant ce temps, dans sa chambre d'hôpital à Buenos Aires, Andrew eut l'impression d'entendre la voix de Louisa lui murmurer à l'oreille : « Si Mme Capetta te croit responsable de la perte de sa fille, prends garde à toi. »