– Merci du compliment !
– Ce n'était qu'un demi-compliment, tout dépend de quel côté on se trouve.
– Vous préférez que je m'asseye au volant ?
– Non, j'aime bien votre côté gueule cassée, c'est plus dans mon genre.
– Je suis sûr qu'Antonio serait heureux d'entendre ça.
– Antonio n'est pas beau, mais c'est quelqu'un de bien.
– Ça ne me regarde pas.
– Et vous, votre femme, elle est jolie ?
– Ça ne vous regarde pas non plus.
– Nous allons passer une bonne partie de la nuit dans cette voiture, vous préférez que l'on parle de la météo ?
– Valérie est très jolie.
– Le contraire m'aurait étonnée.
– Et pourquoi donc ?
– Parce que j'imagine que vous êtes le genre de type qui doit se sentir fier de se promener avec une belle femme à son bras.
– Vous vous trompez. Nous nous sommes connus au collège, je n'avais rien d'un séducteur, j'étais timide et pas très doué pour faire la cour aux filles, ça n'a pas changé.
Le portable de Marisa vibra dans sa poche, elle le récupéra et lut le message qu'elle venait de recevoir.
– Le camion a rempli son office à la sortie de Villa Maria, la voiture d'Ortiz se dirige vers la route numéro 8. Ils seront là dans quatre heures tout au plus.
– Je croyais que les téléphones ne captaient pas ici ?
– Ce sera le cas le moment venu. Le seul relais de la région est à vingt kilomètres et, quand il sera privé de courant, les communications deviendront impossibles.
Andrew sourit.
– Vous aviez peut-être raison, cette soirée prend de plus en plus des airs de mission.
– Ça n'a pas l'air de vous déplaire tant que ça.
– Donnez-moi ce sandwich et arrêtez de vous moquer de moi tout le temps, je vais finir par vous trouver séduisante.
Marisa se pencha vers la banquette arrière, offrant une vision de ses fesses qui ne laissa pas Andrew indifférent.
– Tenez, prenez du café, dit-elle en tendant un gobelet à Andrew.
Une heure plus tard, ils entendirent le bruit d'un moteur dans le lointain. Marisa éteignit le plafonnier.
– Il est trop tôt pour que ce soit Ortiz, murmura Andrew.
Elle éclata de rire.
– Vous avez raison de chuchoter, on n'est jamais trop prudent ; nous sommes à cinquante mètres de la route, on pourrait nous entendre... Non, ça ne peut pas être encore Ortiz.
– Alors pourquoi avez-vous éteint la lumière ?
Et avant qu'Andrew ne comprenne ce qui lui arrivait, Marisa enjamba le levier de vitesse et s'assit à califourchon sur lui. Elle caressa ses lèvres du bout des doigts et l'embrassa.
– Chut, murmura-t-elle, vous allez vous marier, moi aussi, aucun risque que nous tombions amoureux l'un de l'autre.
– Pour quelqu'un qui me demande de me taire, tu es drôlement bavarde.
Marisa embrassa à nouveau Andrew et ils se faufilèrent jusqu'à l'arrière du break où ils s'enlacèrent dans la nuit silencieuse.
*
Marisa rouvrit les yeux, regarda sa montre et donna un coup de coude à Andrew.
– Réveille-toi et rhabille-toi, il est 3 heures du matin !
Andrew sursauta. Marisa attrapa son portable dans sa poche. Six messages se succédaient, chacun annonçant le nom d'un village que la voiture d'Ortiz avait traversé. Elle regarda l'écran et passa en toute hâte à l'avant du break.
– Je n'ai plus de réseau, ils ont déjà coupé le courant du relais, Ortiz ne doit plus être loin, dépêche-toi !
Andrew enfila son pantalon et son pull et s'installa à la place du passager. Le silence régnait. Il tourna la tête vers Marisa dont le regard était rivé à la route.
– Regarde devant toi, dit-elle, c'est là que ça se passe !
– Et ce qui s'est passé à l'arrière ? se hasarda Andrew.
– Il ne s'est rien passé d'autre qu'un bon moment entre adultes consentants.
– Bon comment ? demanda Andrew en souriant.
Marisa lui balança un nouveau coup de coude.
– Tu crois que les copains de ton oncle nous ont vus, quand ils sont venus jeter leur limaille sur la route ?
– Il ne vaudrait mieux pas, ni pour toi ni pour moi. Maintenant, prie le ciel pour que nous n'ayons pas raté Ortiz.
– Si sa voiture était déjà passée, elle serait au milieu de la route, non ? Tu vois une voiture ?
Marisa ne répondit pas. Un bruit de moteur approchait dans le lointain. Andrew sentit les battements de son cœur accélérer.
– Et si ce n'était pas eux ? murmura-t-il.
– Dommage collatéral... regrettable, mais parfois inévitable !
Et tandis qu'Andrew s'inquiétait, une berline noire passa en trombe devant le calvaire. Trois de ses pneus éclatèrent, le chauffeur tenta de maintenir sa trajectoire, mais la voiture fit une embardée et se mit à zigzaguer avant de se coucher sur le flanc. Elle partit en glissade, l'aile avant s'enfonça dans un nid-de-poule, l'arrière du véhicule se souleva et la berline enchaîna plusieurs tonneaux dans un fracas assourdissant. Le pare-brise éclata alors que le passager avant passait au travers. La voiture continua sa course folle sur le toit, entraînant derrière elle une gerbe d'étincelles avant de s'immobiliser en bordure d'un champ. Au chaos succéda un silence de mort.
– En douceur, tout devait se passer en douceur, fulmina Andrew en sortant du break.
Marisa le rattrapa par le bras et l'obligea à se rasseoir. Elle fit tourner la clé de contact et s'engagea sur le chemin en terre. Elle s'arrêta en bordure de la route et découvrit, à la lumière des phares, un spectacle de désolation. Un homme gisait à dix mètres de l'épave. Andrew se précipita vers lui. Il était dans un sale état, mais respirait encore. Marisa avança vers la voiture accidentée. Le chauffeur, inconscient, avait le visage ensanglanté. À l'arrière, coincé dans l'habitacle enfoncé par l'impact, un homme gémissait en reprenant ses esprits.
Andrew rejoignit Marisa et s'allongea pour pénétrer dans l'habitacle.
– Donne-moi un coup de main, dit-il à Marisa, il faut le sortir de là avant que ça prenne feu.
Marisa s'agenouilla et regarda froidement l'homme blessé.
– Tu as entendu, ça va bientôt prendre feu. Nous avons des questions à te poser, réponds rapidement si tu ne veux pas griller comme un cochon.
– Qui êtes-vous ? Qu'est-ce que vous me voulez ? gémit l'homme.
– C'est nous qui t'interrogeons, toi, tu te contentes de répondre.
– Bon sang, Marisa, arrête ces conneries et aide-moi, il y a eu assez de dégâts comme ça, cria Andrew en essayant d'extraire le blessé de la carcasse.
– Laisse-le où il est jusqu'à ce qu'il parle. Quel est ton vrai nom ? demanda-t-elle.
– Miguel Ortega.
– Et moi je suis Evita Perón ! Je vais te donner une seconde chance, reprit Marisa en plaçant une cigarette entre ses lèvres.
Elle sortit une boîte d'allumettes de sa poche, en craqua une et approcha la flamme du visage d'Ortega.
– Je m'appelle Miguel Ortega ! cria-t-il, vous êtes folle, sortez-moi de là !
– Fais un effort, ça pue de plus en plus l'essence, ici, fit-elle.
Andrew réunit toutes ses forces pour tenter de sortir Ortega, mais les jambes du vieil homme étaient coincées sous le fauteuil du conducteur et, sans l'aide de Marisa, il n'y arriverait pas.
– Allez viens, on se tire d'ici, dit Marisa en laissant tomber son allumette à l'intérieur de la voiture.
La flamme vacilla et s'éteignit. Marisa en alluma une autre et enflamma la petite boîte, la tenant du bout des doigts.
Ortega regarda la flamme danser au-dessus de sa tête.
– Ortiz, je m'appelle Felipe Ortiz, éteignez ça, je vous en supplie, j'ai une famille, ne faites pas ça !