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L'homme lui indiqua le chemin et la voiture redémarra.

– Qu'est-ce qu'on va faire chez les flics ?

– Toi, rien, tu restes dans la voiture et tu m'attends.

Andrew entra dans le commissariat et demanda à parler à un officier de garde. Le seul officier, lui répondit le planton, était déjà rentré chez lui. Andrew attrapa un bloc-notes sur le comptoir et griffonna son numéro de téléphone portable ainsi que les coordonnées de son hôtel.

– Je suis passé sur les lieux d'un accident qui a coûté la vie à une personne hier soir du côté de Gahan. J'ai conduit deux blessés à l'hôpital. Je n'ai pas grand-chose d'autre à raconter, mais si vous aviez besoin d'une déposition en bonne et due forme, voici où me joindre.

– Je suis au courant, annonça le policier en quittant sa chaise. Le médecin à qui nous avons parlé nous a raconté que vous étiez parti sans laisser vos coordonnées.

– J'ai attendu longtemps sur le parking, j'avais un rendez-vous important à Buenos Aires, je me suis dit que je reviendrais dès que possible et comme vous le voyez, c'est ce que j'ai fait.

Le policier se proposa de recueillir son témoignage. Il s'installa derrière une machine à écrire et prit la déposition d'Andrew. Neuf lignes et pas un mot de plus. Andrew signa le compte rendu de ses déclarations, accepta modestement les félicitations du policier pour son sens civique qui avait permis de sauver deux vies et regagna sa voiture.

– Je peux savoir ce que tu as fait tout ce temps dans ce commissariat ? demanda Marisa.

– J'ai ôté une pièce sur l'échiquier d'Ortiz, je t'expliquerai en temps voulu, maintenant, on fonce à l'hôpital.

*

– Comment vont les blessés ? demanda Andrew, nous sommes venus prendre de leurs nouvelles avant de regagner Buenos Aires.

– Vous revoilà ? dit l'interne en apercevant Andrew dans le hall. Nous vous avons cherchés hier soir, j'ai fini par penser que vous aviez quelque chose à vous reprocher et que vous vous étiez sauvés.

– Je ne pouvais pas attendre et vous ne m'aviez donné aucune indication sur l'heure à laquelle vous sortiriez du bloc opératoire.

– Et comment aurais-je pu le savoir ?

– C'est bien ce que je me suis dit, je n'allais pas passer la nuit sur le parking. Je sors du commissariat.

– Et à qui avez-vous parlé ?

– Un certain sergent Guartez, un type plutôt sympathique, avec une voix grave et de grosses lunettes.

Le médecin hocha la tête, la description correspondait bien à l'un des trois policiers du village.

– Ils ont eu de la chance, beaucoup de chance que vous soyez passés par là. Le plus atteint a été évacué tôt ce matin vers la capitale. C'est un tout petit hôpital ici, et nous ne sommes pas équipés pour traiter des cas aussi graves. M. Ortega, lui, ne souffrait que d'une plaie profonde à la cuisse et d'une lacération des muscles. Nous l'avons opéré, il se repose dans un box, je n'ai pas de chambre de libre pour l'instant, demain peut-être, sinon je le ferai évacuer vers un autre établissement. Vous voulez le voir ?

– Je ne voudrais pas le fatiguer inutilement, répondit Andrew.

– Il sera certainement ravi de pouvoir remercier son sauveur. Je dois monter faire mes visites, je vous laisse y aller, c'est juste au bout du couloir. Mais ne traînez pas, il a en effet besoin de reprendre des forces.

Le médecin salua Andrew et se retira, informant l'infirmière de garde que ce dernier pouvait aller voir son patient.

Andrew tira le rideau qui isolait le patient du box voisin pourtant inoccupé.

Ortiz dormait. Marisa lui secoua l'épaule.

– Encore vous ! dit-il en ouvrant les yeux.

– Comment vous sentez-vous ? demanda Andrew.

– Mieux depuis qu'ils m'ont donné des calmants. Qu'est-ce que vous me voulez encore ?

– Vous offrir une seconde chance.

– De quelle chance parlez-vous ?

– Vous avez été admis sous le nom d'Ortega, si je ne me trompe ?

– C'est celui qui figure sur mes papiers, répondit l'ex-commandant en baissant les yeux.

– Vous pourriez ressortir d'ici sous le même nom et rentrer chez vous.

– Jusqu'à la publication de votre article ?

– J'ai un marché à vous proposer.

– Je vous écoute.

– Vous répondez à mes questions, en toute honnêteté et je me contenterai de raconter l'histoire du commandant Ortiz sans jamais citer sa nouvelle identité.

– Qu'est-ce qui me prouve que vous tiendrez votre promesse ?

– Je ne peux que vous offrir ma parole.

Ortiz observa longuement Andrew.

– Et elle, elle saura tenir sa langue ?

– Aussi bien qu'elle savait tenir un revolver sur votre tempe hier soir. Je ne crois pas qu'elle ait envie que je vous trahisse, son futur en dépend, n'est-ce pas ?

Ortiz resta silencieux, le visage crispé. Son regard alla se fixer sur le sachet de la perfusion qui coulait dans ses veines.

– Allez-y, souffla-t-il.

– Dans quelles circonstances avez-vous adopté María Luz ?

La question avait fait mouche. Ortiz se retourna vers Andrew et ne le quitta plus des yeux.

– Au moment de ma démobilisation, Febres a voulu s'assurer de mon silence. Il m'a conduit dans un orphelinat clandestin. La plupart des enfants n'étaient que des bébés âgés de quelques semaines. Il m'a ordonné d'en choisir un, en m'expliquant que c'était le meilleur moyen pour moi de retrouver le sens des réalités. Il m'a dit que j'avais moi aussi contribué à sauver cette âme innocente en pilotant l'appareil d'où ses parents avaient été jetés à la mer.

– C'était le cas ?

– Je n'en savais rien, pas plus que lui d'ailleurs, je n'étais pas le seul pilote à effectuer ce genre de vols, vous vous en doutez. Mais c'était possible. À l'époque, j'étais jeune marié, María Luz était la plus âgée de ces bébés. Je me suis dit qu'avec une enfant de deux ans, ce serait moins difficile.

– Mais c'était une enfant volée, protesta Marisa, et votre femme a accepté de participer à cette monstruosité ?

– Ma femme n'a jamais rien su. Jusqu'à sa mort, elle a cru ce que je lui avais raconté, que les parents de María Luz étaient des soldats assassinés par les Montoneros et qu'il était de notre devoir de lui venir en aide. Febres nous a remis un certificat de naissance établi à notre nom. J'ai expliqué à mon épouse qu'il serait plus facile pour María Luz de vivre pleinement sa vie si elle ignorait tout du drame dont elle avait été la victime innocente. Nous l'avons aimée comme si nous l'avions mise au monde. María Luz avait douze ans quand ma femme est morte et elle l'a pleurée comme on pleure une mère. Je l'ai élevée seul, j'ai travaillé comme un forcené pour lui payer ses études de lettres, de langues étrangères, la faculté. Tout ce qu'elle a voulu, je le lui ai offert.

– Je ne peux pas entendre ça, protesta Marisa en se levant.

Andrew lui adressa un regard furieux. Elle se rassit à califourchon sur sa chaise, tournant le dos à Ortiz.

– María Luz habite toujours à Dumesnil ? demanda Andrew.

– Non, elle est partie depuis longtemps. Les Mères de la place de Mai l'ont retrouvée quand elle avait vingt ans. María Luz passait ses week-ends à Buenos Aires, elle faisait de la politique ! Elle ne ratait jamais une occasion d'aller manifester, elle prétendait œuvrer pour ce qu'elle appelait le progrès social. Ce sont tous ces syndicalistes en herbe rencontrés sur les bancs de l'université qui lui avaient mis ces idées dans la tête. À l'opposé de l'éducation que nous lui avions donnée.

– Mais en phase avec les idéaux de ses véritables parents, intervint Marisa. Ce n'est pas votre sang qui coulait dans ses veines, la pomme ne tombe jamais loin de l'arbre.