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– Dénoncer un ancien criminel de guerre. Sans cela, je ne vois pas comment le mettre en une.

– Vous comptiez vraiment le publier en première page ? questionna Andrew.

– Je l'espérais, mais il va falloir choisir entre la gloire et le respect de votre parole. C'est à vous seul de décider.

– Il y a d'autres façons de le dénoncer, dit-il en sortant une enveloppe de sa poche, qu'il fit glisser sur le bureau.

Olivia l'ouvrit. L'expression de son visage changea quand elle découvrit les photos du commandant Ortiz prises par Marisa.

– Il a l'air plus vieux que je ne l'imaginais, murmura-t-elle.

– C'était encore pire sur son lit d'hôpital, répondit Andrew.

– Vous êtes un drôle de type, Andrew.

– Je sais, on me l'a déjà dit ce matin. Alors, vous avez ce qu'il vous faut maintenant ?

– Écrivez-moi votre article, c'est une priorité absolue. Je vous donne deux semaines, et si votre texte est à la hauteur, je demanderai une accroche en une en comité de rédaction, et deux pages dans le journal.

Andrew voulut récupérer les photos, mais Olivia les rangea dans son tiroir en l'assurant qu'elle les lui rendrait dès qu'elles auraient été scannées.

En quittant son bureau, Andrew alla rendre visite à Freddy.

– Tu es déjà rentré, Stilman ?

– Comme tu vois, Olson.

– Tu as une sale mine, c'était si moche que ça le Brésil ?

– L'Argentine, Freddy.

– Oui, enfin, ça reste l'Amérique du Sud, on ne va pas chipoter.

– Et toi, le boulot, tout se passe bien ?

– On ne peut mieux, répondit Freddy, ne compte pas sur moi pour t'en dire plus.

– J'ai un copain flic, à la retraite, mais il a encore le bras long... Tu n'as qu'à demander.

Freddy observa Andrew, dubitatif.

– Qu'est-ce que tu manigances, Stilman ?

– Rien, Freddy, je ne manigance rien. Cette petite guéguerre entre nous me fatigue. Si tu es vraiment sur la piste d'un tueur et que je peux te donner un coup de main, je le ferai avec plaisir, c'est tout.

– Et pourquoi tu m'aiderais ?

– Pour l'empêcher de commettre un crime de plus, ça te semble être une bonne raison ?

– Tu me fais bien marrer, Stilman, tu as senti que j'étais sur un coup. Tu ne voudrais pas cosigner mon article, pendant que tu y es ?

– Non, ça ne m'avait pas traversé l'esprit, mais maintenant que tu en parles, tu me donnes une idée. Et si au lieu de nous tourner le dos, on publiait un jour un papier ensemble ? J'en connais un qui serait aux anges.

– Ah oui, qui ça ?

– Mon plus fidèle lecteur, Spookie Kid. Je n'ose imaginer le plaisir que nous lui ferions, nous pourrions même le lui dédier...

Andrew laissa Freddy, dont les joues venaient de virer au rouge, réfléchir à sa question et alla s'installer à son poste de travail.

Un message de Valérie sur son portable lui rappelait de passer chez le tailleur pour faire ajuster son costume de mariage. Il alluma son ordinateur et se mit au travail.

*

Andrew consacra la semaine à son article. Depuis son retour de Buenos Aires, ses nuits redevenaient cauchemardesques. Chaque fois, il revivait le même scénario : il se retrouvait, courant dans l'allée de River Park, avec Olson à ses trousses. Freddy se rapprochait et finissait toujours par le poignarder, sous le regard complice et amusé de Valérie. Parfois, juste avant de mourir, il reconnaissait l'inspecteur Pilguez ou Marisa ou Alberto ou Louisa et même Simon, qui s'étaient tous mêlés aux joggeurs. Chaque fois, Andrew se réveillait suffoquant, transi de froid et ruisselant de sueur avec cette insupportable douleur au bas du dos qui ne disparaissait jamais plus complètement.

Le mercredi, Andrew quitta son bureau un peu plus tôt que d'ordinaire. Il avait promis à Valérie d'arriver à l'heure au dîner qui devait réunir leurs témoins de mariage.

Le jeudi, la climatisation de son appartement rendit l'âme et Valérie, que les cris d'Andrew réveillaient chaque nuit, décida pour eux deux qu'ils iraient s'installer le soir même dans son appartement de l'East Village.

Andrew se sentait de plus en plus épuisé, son mal de dos empirait, l'obligeant à s'allonger parfois au pied de son bureau, ce qui amusait beaucoup Olson dans ses allers-retours aux toilettes.

Le vendredi, en la quittant, Andrew promit à Valérie qu'il ne laisserait pas Simon l'entraîner dans un club de strip-tease. Mais Simon le conduisit dans le dernier endroit auquel il s'attendait.

*

Le Novecento était bondé. Simon leur fraya un chemin jusqu'au bar.

Andrew commanda un Fernet noyé dans du Coca.

– Qu'est-ce que c'est ?

– Un truc que tu n'aimeras pas, n'essaye pas d'y goûter.

Simon attrapa le verre, en but une gorgée, fit la grimace et commanda un verre de vin rouge.

– Qu'est-ce qui t'a pris de m'emmener ici ? demanda Andrew.

– Dis donc, je ne t'ai pas beaucoup forcé. Si je me souviens bien de ce que tu m'as raconté, c'est ce soir le grand coup de foudre, n'est-ce pas ?

– Tu ne m'amuses pas du tout, Simon.

– Ça tombe bien, moi non plus je ne m'amuse pas. À quelle heure eut lieu la rencontre fatale qui devait foutre ton mariage en l'air ?

– Tu n'aimes pas Valérie, Simon, et encore moins le fait que nous ayons décidé de nous marier. Tu m'as fait venir ici pour que je refasse les mêmes erreurs. C'est tout ce que tu as trouvé pour foutre mon mariage en l'air, comme tu le dis ?

– Tu dois être vraiment à côté de tes pompes pour être désobligeant à ce point. C'était tout le contraire, je voulais t'aider à démystifier un fantasme. Et pour ta gouverne, j'aime énormément Valérie et plus encore le fait que vous soyez heureux ensemble !

Simon repéra une créature aux jambes interminables qui traversait la salle et se leva sans ajouter un mot de plus.

Seul au comptoir, Andrew le regarda s'éloigner.

Une femme prit place sur le tabouret à côté du sien et lui adressa un sourire alors qu'il se faisait resservir un Fernet-Coca.

– C'est assez rare un Américain qui apprécie cette boisson, lui dit-elle en le regardant fixement.

À son tour, Andrew l'observa. Une sensualité à couper le souffle se dégageait d'elle, son regard était d'une insolence saisissante. De longs cheveux noirs tombaient sur sa nuque élégante. Ce visage qu'il ne pouvait quitter des yeux n'était que beauté.

– C'est la seule chose qui soit rare chez moi, dit-il en se levant.

En sortant du Novecento, Andrew respira l'air du soir à pleins poumons. Il prit son téléphone et appela Simon.

– Je suis dehors, tu fais ce que tu veux, mais moi je rentre.

– Attends-moi, j'arrive, répondit Simon.

*

– Tu fais une tête ! s'inquiéta Simon en rejoignant Andrew sur le trottoir.

– Je veux juste rentrer.

– Ne me dis pas que tu es retombé amoureux en deux secondes.

– Je ne te le dirai pas, tu ne comprendrais pas.

– Cite-moi une seule chose que je n'aie pas comprise à ton sujet, ces dix dernières années.

Andrew enfouit ses mains dans ses poches et remonta West Broadway. Simon lui emboîta le pas.

– J'ai ressenti la même impression que la première fois. Ça ne s'invente pas.

– Alors pourquoi tu n'es pas resté ?

– Parce que j'ai assez fait de dégâts comme ça.

– Je suis sûr que demain matin, tu ne te souviendras pas de son visage.

– Tu le pensais déjà la première fois et les événements t'ont donné tort. Il n'y aura plus de mensonge, j'ai appris ma leçon. Je garderai peut-être en moi la nostalgie d'une rencontre inachevée, mais j'ai choisi. L'amour de sa vie, c'est celui qu'on a vécu, pas celui qu'on a rêvé. Tu verras mon Simon, je veux croire que ça t'arrivera un jour.