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Et Valérie, qui n'aurait voulu le contrarier pour rien au monde, lui répondait :

– Bien sûr que si !

Quand elle lui vantait le confort des tours qui s'élevaient à seulement quelques blocs de là, Andrew lui répliquait qu'il n'irait jamais vivre dans un perchoir d'acier. Il voulait entendre la rue, les sirènes, les klaxons des taxis aux carrefours, le craquement des parquets usés, les cognements de la tuyauterie quand la chaudière de l'immeuble se mettait à ronronner, la porte d'entrée grincer, ces bruits qui lui rappelaient qu'il était en vie, entouré d'êtres humains.

Un après-midi, il quitta le journal, rentra chez lui, vida ses placards et transféra la plupart de ses affaires dans un garde-meuble local. Ouvrant sa penderie, il annonça à Valérie qu'il n'y avait plus aucune urgence à déménager, elle avait désormais la place nécessaire pour s'installer vraiment.

En mars, Andrew se vit confier par sa rédactrice en chef une nouvelle enquête dans la lignée de la précédente. Un dossier important auquel il s'attela sans attendre, réjoui que celui-ci l'amène à se rendre en Argentine.

Aux premiers jours de mai, revenant de Buenos Aires et sachant qu'il lui faudrait y retourner sous peu, Andrew ne trouva d'autre moyen de se faire pardonner que de déclarer à Valérie, au cours d'un dîner, qu'il voulait l'épouser.

Elle le dévisagea, circonspecte, avant d'éclater de rire. Le rire de Valérie le bouleversait. Andrew la regarda, troublé de réaliser que cette demande en mariage qu'il avait formulée sans y réfléchir plus que ça le rendait lui-même très heureux.

– Tu n'es pas sérieux ? questionna Valérie en s'essuyant le coin des yeux.

– Pourquoi ne le serais-je pas ?

– Enfin Andrew, nous ne sommes ensemble que depuis quelques mois. C'est peut-être un peu court pour prendre une telle décision.

– Nous sommes ensemble depuis un an et nous nous connaissons depuis l'adolescence, tu ne penses pas que nous avons eu tout le temps ?

– Avec un interlude d'une petite vingtaine d'années...

– Pour moi, le fait que nous nous soyons rencontrés adolescents, perdus de vue, puis retrouvés par hasard sur un trottoir de New York, est un signe.

– Toi, le journaliste si rationnel et cartésien, tu crois aux signes, maintenant ?

– Quand je te vois en face de moi, oui !

Valérie le regarda droit dans les yeux, silencieuse, puis elle lui sourit.

– Redemande-le-moi.

À son tour, Andrew observa Valérie. Elle n'était plus la jeune fille rebelle qu'il avait connue vingt ans plus tôt. La Valérie qui dînait face à lui avait troqué son jean rapiécé pour une jupe seyante, ses baskets aux bouts peinturlurés de vernis à ongles pour des escarpins vernis, l'éternelle veste en treillis qui dissimulait ses formes, pour un pull en V en cachemire qui galbait ses seins à la perfection. Ses yeux n'étaient plus maquillés à outrance, à peine un voile de fard à paupières et un peu de mascara. Valérie Ramsay était de loin la plus jolie femme qu'il ait rencontrée et jamais il ne s'était senti aussi proche de quiconque.

Andrew sentit la moiteur gagner la paume de ses mains, chose qui ne lui arrivait jamais. Il repoussa sa chaise, fit le tour de la table et posa un genou à terre.

– Valérie Ramsay, je n'ai pas de bague sur moi, parce que mon intention est aussi spontanée que sincère, mais si tu veux bien devenir ma femme, nous irons en choisir une ensemble ce week-end, et je compte bien faire en sorte d'être le meilleur des hommes pour que tu la portes durant ta vie entière. Ou disons ma vie entière, si tu décidais de te remarier après ma mort.

– Tu ne peux pas t'empêcher de faire de l'humour noir, même quand tu me demandes en mariage !

– Je t'assure que dans cette position, avec tous ces gens qui me regardent, je ne cherchais pas à être drôle.

– Andrew, chuchota Valérie en se penchant à son oreille, je vais dire oui à ta demande, parce que j'en ai envie et aussi pour t'éviter de passer pour une andouille devant tout ce monde, mais quand tu auras regagné ta place, je te dirai la seule exigence que je pose à notre union. Alors ce « oui » que je vais formuler à voix haute restera au conditionnel durant les quelques minutes qui vont suivre, nous sommes d'accord ?

– Nous sommes d'accord, chuchota à son tour Andrew.

Valérie posa un baiser sur ses lèvres et prononça un oui bien distinct. Dans la salle du restaurant, les clients qui retenaient leur souffle applaudirent à tour de bras.

Le patron de la trattoria abandonna son comptoir pour venir féliciter son fidèle client. Il prit Andrew dans ses bras, le serra fort en lui glissant à l'oreille avec son accent italo-new-yorkais sorti d'un film de Scorsese :

– J'espère que tu sais ce que tu viens de faire !

Puis il se pencha vers Valérie et lui fit un baisemain.

– Je peux, maintenant que vous êtes Madame ! Je vous fais porter du champagne pour fêter ça, c'est la maison qui régale. Si, si, j'y tiens !

Et Maurizio retourna derrière son comptoir en faisant signe à son unique serveur de s'exécuter sur-le-champ.

– Je t'écoute, souffla Andrew alors que le bouchon de champagne sautait.

Le serveur remplit leurs verres et Maurizio revint une coupe à la main, bien décidé à trinquer avec les futurs mariés.

– Donne-nous juste une seconde Maurizio, dit Andrew, en retenant le patron par le bras.

– Tu veux que je t'énonce ma condition devant lui ? demanda Valérie surprise.

– C'est un vieil ami, je n'ai pas de secrets pour mes vieux amis, répondit Andrew, d'un ton ironique.

– Très bien ! Alors voilà, monsieur Stilman, je vous épouserai à la condition que vous me juriez sur l'honneur de ne jamais me mentir, me tromper, ou me faire intentionnellement souffrir. Si un jour vous ne m'aimiez plus, je veux être la première à le savoir. J'ai eu mon compte d'histoires qui finissent en nuits de tristesse. Si vous me faites cette promesse, alors je veux bien devenir votre femme.

– Je te le jure, Valérie Ramsay-Stilman.

– Sur ta vie ?

– Sur ma vie !

– Si tu me trahis, je te tue !

Maurizio regarda Andrew et se signa.

– On peut trinquer maintenant ? demanda le patron, c'est que j'ai des clients à servir tout de même.

Après leur avoir offert deux parts de son tiramisu maison, Maurizio refusa de leur présenter l'addition.

Andrew et Valérie rentrèrent par les rues du West Village.

– On va vraiment se marier ? dit Valérie en serrant la main d'Andrew.

– Oui, vraiment. Et pour tout t'avouer, je n'imaginais pas en t'en faisant la demande que cela me rendrait si heureux.

– Je le suis aussi, répondit Valérie. C'est dingue. Il faut que je téléphone à Colette pour lui annoncer. Nous avons fait nos études ensemble, partagé galères et bonheurs, surtout les galères, elle sera mon témoin de mariage. Et toi, qui choisiras-tu ?

– Simon, j'imagine.

– Tu n'as pas envie de l'appeler ?

– Si, je le ferai dès demain.

– Ce soir, fais-le ce soir pendant que je téléphone à Colette !

Andrew n'avait aucune envie de déranger Simon à une heure aussi tardive pour lui annoncer une nouvelle dont il pouvait tout à fait prendre connaissance le lendemain, mais il avait perçu dans les yeux de Valérie comme une supplique d'enfant, et ce regard où se mélangeaient soudain joie et peur le toucha.

– On téléphone chacun de notre côté ou on réveille nos deux meilleurs amis ensemble ?

– Tu as raison, nous devons commencer à nous habituer à faire les choses ensemble, répondit Valérie.

Colette promit à Valérie de venir lui rendre visite à New York au plus vite. Elle félicita Andrew et lui dit qu'il ignorait encore tout de la chance que la vie lui accordait. Sa meilleure amie était une femme exceptionnelle.