Elle hoche la tête d’un air réprobateur. Dans son pays on fait plus de cas de la famille. Ces Français sont de drôles de zozos, décidément !
Je m’exhorte au calme. « Santantonio, mon amour, me chuchoté-je. Tu vas te montrer à la hauteur des circonstances, n’est-ce pas ? On attend de toi des réactions tempétueuses, car tu ne peux pas ne pas regimber. Eh bien, mamour, tu vas montrer ce que c’est qu’un vrai Tantonio coulé dans le bronze, avec son certificat d’origine. Self-control, mon pote ! Phlegmon britannique, comme dit Bérurier-le-Gros. Tout miel, mon biquet ! Ton âme est couverte de rosée. »
Je continue de mater la téloche ; justement on nous passe un reportage extrêmement bien fait sur la Tanzanie (que mon immortel Mastar appelle la « Tante Jeanine »). Dar es-Salam, magnifique port de pêche où les terre-neuvas viennent acheter leur choucroute et faire des parties de zanzi dans les bars[1].
Je suis captivé par ces neuf cent et quelques mille kilomètres carrés de territoire qui pourraient devenir des mètres cubes si les autorités voulaient bien s’en donner la peine.
Ça se finit sur la perspective de faire venir des zébus de Madagascar, ce que je considérerais personnellement avec bienveillance.
Katerina me rejoint à la fin de l’émission. Elle porte une robe de chambre de satin rose comme on en trouve encore dans certaines merceries de la Creuse où la valise du représentant en dessous infâmes n’a encore jamais mis le pied.
Avec un soupir, elle prend place dans le fauteuil voisin, celui de ma chère Félicie. Mais je me retiens de la gifler.
— Bien remise du voyage, mon petit cœur ? je lui demandé-je.
Elle opine (ou il opin).
J’éteins la téloche.
— On prend un drink, baby : j’ai de la vodka russe au réfrigérateur.
— Volontiers.
Je hèle Conchita, lui réclame la boutanche à étiquette verte, deux verres, et lui conseille d’aller se torchonner.
— Elle s’imagine que je t’ai épousée, dis-je, quand elle est sortie. C’est toi qui lui as raconté ce beau conte de fée Carabosse ?
— Je lui ai dit la vérité.
Attends, ne me bouscule pas, petite môme d’amour. Nouveau coup de théâtre ! Faut le temps d’enregistrer. Toujours bourré de nonchalance, l’Antonio. Calmos, mon bonhomme ! Tout finira par s’élucider.
— Car nous sommes mariés ? reprends-je sur un ton qui servirait de canne à Charlot.
— Tu l’ignorais ? rétorque Katerina, sans la moindre note d’humour.
— Tu as vu ça où ?
— Sur nos papiers d’identité. Mariés à Moscou. Un fonctionnaire de l’ambassade de France te servait de témoin. Les pièces justificatives sont sur la table de ta chambre.
Moi, si l’absence de Félicie ne me ligotait pas, parvenu à ce point de l’action, je massacrerais « ma chère » épouse, et elle passerait sa lune de miel à s’appliquer des escalopes crues sur les châsses pour réparer des gnons l’irréparable outrage.
Je regarde les quatre belles phalanges saillant sous ma peau brune ; placées aux extrémités de ma rage, elles pourraient défoncer la tourelle d’un char d’assaut.
— Marié à un travesti, ricané-je, ma réputation ne laissait pas présager une telle faillite.
Elle sourcille.
— Un travesti ?
— La rumeur publique m’a informé de la chose.
Katerina hausse les épaules.
— Je ne sais pas où tu vas pêcher de telles « rumeurs publiques », mon cher époux.
Sans hâte, elle se lève, dénoue son peignoir sorti d’un film en noir et blanc des années 30. La voici de nouveau en culotte et soutien-loloches[2]. Elle passe ses mains dans son dos, comme seules les gonzesses parviennent à le faire. « Clic ! » Son bonnet à deux têtes tombe. Du pouce elle descend le slip. Flouttt, la culotte est à ses pieds.
Si bien que je me trouve en tête à chatte avec l’une des plus ravissantes créatures qu’un homme et une femme aient jamais tricotée. Katerina est du sexe féminin à en faire bander un moustique mâle ! Ses seins ont une couleur fabuleuse, de soierie afghane, dans les tons mordorés, avec des embouts presque mauves, que pardon, docteur, faites-m’en livrer trois douzaines ! Quant au frifri, mon gamin, je renonce. Il s’intègre magistralement au paysage, te fait constater combien le fessier est superbe, bien pommé, sans méplats ni vergetures. La crinière est blonde, le moulassement impec, la bouche-que-veux-tu chuchoteuse.
Mentalement, je gratifie mon copain du Newsweek d’un flot d’injures entièrement françaises et qui le resteront, car j’imagine mal ce que produirait leur traduction dans la langue de Ronald Reagan, que j’ai surnommé « le Masque aux dents blanches ». Ce gus, la différence existant entre lui et un mannequin du Bon Marché, c’est qu’un mannequin du Bon Marché fait plus jeune et dit moins de conneries.
Mais qu’est-ce qu’ils ont, tous, sur cette chierie de planète, à se laisser driver par des vieux branleurs mal ravaudés ? Quand t’as trente-cinq balais, les jeunastres te réputent croulant, mais à la tête des pays, tu trouves quoi t’est-ce que ? Du nœud faisandé, mon pote, du bipède cacochyme monté sur roulettes ; frite émaillée, râtelier en talon aiguille, colmatage aux cellules de taureaux fougueux. Ça se traînasse, se laisse porter, ça a le sourire fixé au collodion ; ça serre des mains comme ça tirerait un demi de bière pression ; ça bredouille, glandouille, part en quenouille ; c’est fantomatique ; ça bavoche, ça fait sous soi ; ça signe les grands livres où qu’il y a toute la page blanche pour eux, comme une piste de ski. Ils ont la permission de trembler en paraphant ; les fautes de carre on s’en aperçoit pas à la téloche. « Ces malades qui nous gouvernent ? » Que non : ces spectres qui nous gouvernent. Echantillons vivants des pompes funèbres générales !
Amenez pépère à la tribune ! Portez-le jusqu’au micro ! On a changé sa couche-culotte ? Ça sent bizarre ! Et son formol, dites, vous l’avez renouvelé, son formol ? Qui est-ce qui lui a lacé son corset pour qu’il se tienne comme ça, tout de guingois ? Sa poche pour la sonde vessie, elle est bien fixée, au moins ? La dernière fois y a eu déconnexion pendant la prise d’armes !
On a vérifié sa pile avant de le sortir ? Pas qu’il nous reste en rade, ce vieux machin ! Il a eu toutes ses piqûres, vous avez fait la check-list ? Son pardessus ! Qui a boutonné son pardessus ? On le lui a mis à l’envers, merde ! Vous croyez qu’il est à l’aise pour gouverner avec un lardeuss boutonné dans le dos ! Monsieur le secrétaire général du secrétariat particulier, je vous cause ! Vous ne vous êtes pas aperçu que son chapeau aussi est de traviole ? Il a l’air de jouer dans « Pivolot aviateur » ! Vous imaginez la photo à la une des journaux ? Et oubliez-moi pas de le découvrir au moment de l’hymen national, surtout ! Le mois dernier il avait gardé son bitos au Mont Vénérien. Le prochain, je vous préviens : on se le fera empailler pour être tranquilles.
Moi, franchement, je pense que ça cache quelque chose, tous ces fossiles au pouvoir. Tu veux le fin fond de ma pensée, Gédéon ? Y a qu’un seul P.-D.G. en ce monde. Ou plutôt un seul conseil d’administration, et qui dirige tout, tout, TOUT : les Amériques, les Asies (dans le métro), les Europes, l’Afrique. Tout, je te dis : l’île de Pâques et le Canada, la Chine, Monaco, le Honduras et sa cousine germaine. Une seule tronche, une seule volonté, avec des mannequins qu’on met à l’avant-scène pour envoyer des baisers, faire des promesses, lancer des avertissements, représenter la France, le Pataouère et les îles Sous-le-Vent dans les réunions internationales.
1
Astuce intraduisible pour qui ignore la géographie de l’Afrique, mais ça ne fait rien ; moins on est de cons, plus on rit.
2
Soutien-gorge est invariable au pluriel, tandis que soutien-loloches prend un « s » au singulier.