Выбрать главу

On est posés dans un immense leurre. On crie « Vive ! » ou « A bas ! ». Mais c’est du pareil au même. Un jour on sera tous Coca-coliens, je l’annonce, je prends date ! Coca-coliens, voire Nestléiens, Shelliens des fois ? Il est trop tôt pour se prononcer ; on ne peut que supputer, augurer, pressentir. On ne saura vraiment que lorsqu’il sera trop tard. Même le bon Dieu n’est pas dans la confidence. Car c’est ça le terrific de notre temps : on fait de l’arnaque au Seigneur, on Le garde out. Ils ont investi Son paradis, noyauté Ses saints, soudoyé Ses archanges. Y avait des taupes plein Son entourage. Dans le beau grand ciel de jadis, le camping a remplacé les félicités. C’est plus saint Pierre qui organise, mais Trigano.

Et pour en revenir au sublime cul de Katerina, beau à crier, plus chouette à contempler que la photo de M. Begin, je me demande pourquoi l’ami Simson a cru devoir me virguler cette infâme bourde. Prétendre que cette sœur est un travelo constitue un crime de lèse-chattoune. A-t-il confondu ? Voulait-il me détourner de la môme et, coincé par le temps, a-t-il usé de ce mensonge kolossal dont il savait, le gueux, l’impact qu’il aurait sur moi ? Peu importe.

Je souris aux merveilles qui me sont dévoilées.

— Enfin du positif ! soupiré-je. Vous me ragaillardissez, Katerina.

Elle procède à deux enjambées qui me la livrent.

— Je suis à votre disposition, mon amour, fait-ELLE (j’écris elle en majuscules pour compenser mes doutes éhontés).

Un étourdissement me biche. Qui célébrera comme il convient le vertige de la tentation ? Moi, tu crois ? J’en serais capable, avec si peu de culture et un style de chiottes bouchées ? Tu me conseilles qu’il faut que j’essaie ? Que je raconte avec force ce flamboiement intérieur qui rend la réalité improbable, t’arrache à la médiocrité quotidienne pour te transporter à bord du tourment sensoriel vers les extrêmes vertiges ? Non, ça c’est nœud, ce que je bonnis. On va croire que je copie par-dessus l’épaule à l’académicienne ! Bon, je laisse quimper. Je voulais simplement te dire que la prébandaison, c’est encore mieux que la Renault 5. Moi, faut que j’exprime direct, sans ciselure. Sinon je me ramasse, me fraise la prose. Mon tempérament de grand romancier se met en torche.

Je suis là, balançant entre le pour, si tentant et le contre, si déprimant. Situation saugrenue. A la suite d’une fausse union manigancée à des fins qui m’échappent, cette sublime femelle se trouve chez moi, à Saint-Cloud, France. Seulement, ma Félicie n’y est plus, elle ! Et ça va où, tout ça ? Vais-je n’écouter que mon zigodon à tête fureteuse, casque allemand, jugulaire bleue, bourses déliées et lui sauter sur le poilu de Verdun ? Ou bien vais-je me draper dans la tristesse d’Olympio et refuser les délices qui me sont offertes avec amours et orgues ? Devine !

— Montons, décidé-je sourdement.

Elle me précède. Rien n’est plus stimulant que de gravir les marches en ayant les yeux au niveau d’un fessier dodelineur qui te sourit de toutes ses fossettes.

Je me suis muni de la boutanche de Moskovskaïa et de nos verres. Les noces russes, faut les célébrer dans la tradition, non ?

Une fois dans la chambre, je remplis les godets tandis que la lascive va illico s’allonger sur ce qui va devenir une couche nuptiale.

Bien que possédant un fabuleux self-control, elle laisse poindre une certaine surexcitation. Son regard a une brillance qui ne résulte pas d’une crise de conjonctivite.

— A nos amours, donc ! fais-je en lui tendant son glass.

Elle opère un cul sec de grand style et lance le verre contre le mur. Il va éclater contre une aquarelle de Folon dédicacée à mon nom par lui-même personnellement.

Le temps que je ramasse les débris, pas s’entailler les arpions, et la môme roupille, foudroyée aussi vite que son godet par la dose extrêmement massive de somnifère que j’ai filée dans sa vodka. Elle en a pour au moins douze plombes à tutoyer Morphée ; effet garanti.

Je la borde bien, en mari attentionné. Qu’ensuite je quitte notre masure par-derrière et vais escalader le mur citoyen, comme dit Béru, nous séparant du père La Cerise, notre voisin, grand hébergeur de Portugaises comme je te l’ai précisé auparavant.

Il a fini de les ramoner, le croquant, et a procédé à l’extinction des feux. Je traverse son jardin encombré de constructions sauvages qu’il fait édifier sans permis d’aucune sorte pour héberger ses petites reines du fado. Azor, son clébard, un bâtard à poils rares, Caniveau pure race, aboie tout ce qu’il sait. Je me hâte de sauter le mur du fond, qui donne sur la rue des Fauvettes.

Me faut ensuite un petit quart d’heure pour trouver un bistrot d’ouvert. Il est bondé de jeunes en train de flipper ou de se bouffer la gueule sur les banquettes.

— Vous avez le téléphone, patron ? je demande à un gros mec qui devait se destiner à une carrière médicale car il a un serpent tatoué sur l’avant-bras.

— Est-ce que j’ai une gueule à pas l’avoir ? rétorque-t-il.

— Certes non, conviens-je, mais il pourrait être en dérangement lui aussi.

* * *

Et ce fut César Pinaud qui me répondit, de cette voix farineuse qui donne envie de plonger ses cordes vocales dans la grande friture.

— Je te dérange, Mathusalem ? Tu dormais ?

— Non, je remplissais ma déclaration fiscale.

— J’eusse été surpris que ce fût ton devoir conjugal.

— C’est fait depuis longtemps, assure la Pine.

— Quinze ans, vingt ans, davantage ?

— Une heure ! affirme le Vétuste.

— Ça ne devait pas être triste, dis-je. J’ai besoin de ton concours, l’Ancêtre.

— Tout de suite ?

— Pire : immédiatement. Viens me rejoindre à Saint-Cloud.

— Chez toi ?

— Surtout pas, ma maison est vraisemblablement surveillée. Je me trouve au bar Billon, près de la poste. Tu as ta voiture ?

— Elle est au garage, tu n’ignores pas que je m’en sers peu, mais je vais prendre le héroère.

— Surtout pas, je te veux avec ta Rolls !

— Tu sais que je remise à Levallois, où j’ai trouvé un box dont le prix de location…

— Quand bien même tu remiserais à Carpentras, va chercher ton os et arrive !

* * *

J’en suis à mon troisième rhum-limonade et le troquet s’apprête à fermer lorsqu’un bruit de moteur asthmatique trouble la quiétude de la place. Les chaises sont déjà sur les tables, le tatoué vient d’arrêter son enregistreuse et son loufiat fait du curlinge avec les verres vides sur le formica du rade.

Je sors.

La Pine est là, au volant de sa Juvaquatre bleue.

L’auto soubresaute comme un animal en agonie. Elle émet des râles, puis s’agite férocement.

— Je ne sais pas ce qui se passe, s’affole papa Blanche-Neige, j’ai coupé le contact mais le moteur tourne toujours.

— Elle est comme toi, elle fait de l’auto-allumage, diagnostiqué-je. Profitons-en pour repartir !

Il remet le contact. Aussitôt son tas de ferraille s’immobilise. Nous lui prodiguons quelques soins d’urgence et, touchée par notre esprit de charité, la Juva redémarre.

— Tu as des problèmes ? demande alors la Pinasse.

— Pas beaucoup, mais des beaux, dis-je. J’ai été marié à mon insu à une ravissante Russe et on m’a embarqué maman à Moscou, toujours à mon insu.

César conduit comme d’autres défèquent quand ils sont constipés : les dents serrées, le visage et les mains crispés.

— A part cela, rien de grave ? demande-t-il.

— Non, mon cher Trisaïeul, à part cela tout baigne dans le caviar.