Mon sésame ayant agi, la porte s’écarte. Seulement il y a une chaîne de sûreté. Par l’entrebâillement, deux truffes noires soufflent la rage. Les deux cadors ont cessé d’aboyer pour se ruer sur la porte. Ils me guignent, les fauves, prêts à me perforer pis qu’un harmonica. Mais bibi, tu sais quoi ? Ma petite bombe de poche sur laquelle il y a écrit « Police », en caractères noirs, plus des trucs en allemand. Une giclée, deux giclées ! Voilà qui est suffisant. Les deux chiens aveuglés pour vingt-quatre heures se sauvent en hurlant de douleur. Surtout pas un mot à la S.P.D.A., on me chercherait du suif. Déjà que les lecteurs les mieux intentionnés renaudent quand je touche aux animaux. Je me rappelle, quand j’ai écrit Y a-t-il un Français dans la salle, ce tollé parce qu’un sadique y tuait des chats ! J’ai cru, un moment, qu’ils allaient me castrer, les salauds. La loi du lunch, comme chez les Rosbifs ! Je peux écarteler des gonzesses dans mes books, découper en rondelles des vieillards, ils s’en branlent ; au contraire, ça les excite. Ils en reveulent. Mais les chachats, les toutous, les dadas, Achtung ! Verboten ! On me répute sous-merde ; névropathe !
Bon, je te prie d’agréer que dans le cas présent, il s’agit simplement d’un produit passagèrement aveuglant. Demain, un coup d’Optrex et les bons chienchiens retrouveront leurs pupilles de jeunes filles.
Toujours est-il qu’elles déménagent le carreau vite fait, les chères bêtes. J’y vais de mon coup d’épaule de coltineur de pianos. La chaîne de sécurité désécurise séance pendante.
Me voici dans la place. Une entrée, avec, à droite les locaux professionnels : salle d’attente, cabinet de consultation, d’auscultation, mini-labo. A gauche, la partie privée : living, chambres, etc.
Au moment où j’apparitionne dans le séjour, une nana surgit par l’autre porte. Elle braque une pétoire et défouraille, ce qui m’empêche de l’admirer comme elle le mérite ; je n’ai que le temps de me jeter à plat ventre derrière un canapé.
— Arrêtez ! lui dis-je. Vous allez saccager votre salon et foutre du sang sur les beaux rideaux blancs. Je suis de la police et il faut que je vous parle coûte que coûte, je crois vous l’avoir déjà dit. Ne bougez plus : je vais vous expédier ma carte pour vous prouver que je ne mens pas.
Dégageant ma brémouze de ma vague, je m’en sers pour jouer au palet et la lui propulse adroitement. Un bout de temps passe.
— Mettez vos mains sur votre tête ! ordonne-t-elle.
Elle a un accent charmant, slave, me semble-t-il.
— Vous me prenez pour un pirate de l’air ! rigolé-je (il faut rigoler tôt, disait Verdi).
Je lui donne satisfaction et me relève, les pattounes sur la théière, ce qui n’est pas commode quand les couilles vous démangent.
Dès lors, il m’est loisible de savourer la fille. Superbe brin de femelle. Elle est de taille moyenne mais « faite au moule » comme disent les gens qui n’ont pas leur propre vocabulaire. Brune, les cheveux longs, les pommettes comme j’aime, le teint pâle, les lèvres comme je les aime, les yeux probablement verts, les loloches comme je les aime, la taille « bien prise » et les fesses comme je les aime. Tu lui donnes quel âge, toi, à cette poupée ? Vingt-six, vingt-huit ? Une « grande détermination » se lit sur ses traits ! Elle porte une robe d’intérieur très longue, taillée dans du velours noir ; oh ! et puis non : elle est en pyjama léger, blanc cassé. On devine à travers ; hein, c’est mieux ? Bon, je conserve le pyge.
Si je la constate avec avidité, elle procède de même. Son examen doit achever de la rassurer car elle soupire et dépose son feu sur une table basse, en verre fumé.
— Vous avez de curieuses façons pour un policier, dit-elle.
— Ceux qui ont embarqué le docteur Fépaloff, en fin d’après-midi, dans le garage, en avaient de bien pires, non ?
— Comment le savez-vous ?
— Si les flics se mettent à révéler leurs sources d’information, c’est la fin d’une civilisation ! lui réponds-je.
Elle s’assoit dans un fauteuil profond comme certaines de mes pensées ; je me permets de l’imiter et voilà qu’on se fait face, elle et moi. Ce que j’ai bien fait de la débarrasser de cette robe de chambre pour lui mettre un pyjama transparent : je vois ses bouts de seins et le délicat renflement de son pubis.
Un magnifique bouquet, artistiquement composé, éventaille derrière elle. Fleur devant des fleurs ! Citation puisée dans les livres de collection Pierrot, lesquels sont offerts en prime avec les boîtes de machins protecteurs pour jeunes filles. Des glaïeuls font la roue. Habituellement, je n’apprécie guère ce végétal que mon ami Jean Dumur a baptisé fleur du Tour de France car elle constitue immanquablement le « bouquet au vainqueur de l’étape », mais je dois admettre que chez le docteur Fépaloff ils en jettent ! Ça provient de leur variété de couleurs, je suppose.
— Voulez-vous du café ?
Tiens, elle rend les armes pour de bon.
— Merci, mais ça n’est pas la peine. Je préfère que nous parlions plutôt que de souffler sur une tasse trop chaude. Avant de vous poser quelques questions, je vais vous dire ce qui motive ma présence dans cette maison.
Et je lui narre mon voyage à Moscou, sans lui en fournir la raison secrète, œuf corse. Je raconte l’histoire du chauffeur venu me voir dans ma chambre afin de me charger d’un message pour son frère ; la manière qu’on l’a coiffé à sa sortie de mon hôtel…
— Quel est ce message ?
— Permettez : il est destiné au docteur en personne.
Elle en convient d’un signe de tête.
— Selon moi, poursuis-je, le frère n’a pu résister à ceux qui l’ont « questionné », il a craqué, s’est mis à table et les correspondants français sont venus chercher votre ami.
— Probablement.
— Vous êtes russe ?
— Tchécoslovaque.
— Votre prénom est Rina ?
— Oui.
— Vous connaissez les activités extra-médicales de Yuri Fépaloff, bien entendu ?
— Yuri n’a pas d’autres activités que la médecine.
— Vous recevez du monde, parfois. En majorité des hommes, et vous visionnez des cassettes ?
Cette déclaration paraît la souffler. Visiblement, elle ne s’y attendait pas. Elle me regarde avec effarement, va pour parler, se ravise, hésite, puis se décide enfin.