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— Il nous arrive de recevoir des amis et nous avons dû projeter un film, un soir.

— Autant en emporte le vent  ?

— Pourquoi ?

— Cette séance s’est prolongée jusqu’à trois heures du matin.

— Qui a pu vous dire cela ?

— Un grand coup de franchise arrangerait les choses, mademoiselle Rina. La situation est préoccupante pour votre toubib et pour moi.

— Je n’ai rien à vous dire.

On entend gémir les chiens dans la cuisine. Ils s’agitent en poussant de brefs aboiements.

— Que leur avez-vous fait ? s’inquiète Rina.

Je lui montre mon vaporisateur.

— Un collyre spécial. Ne soyez pas trop surprise s’ils font de la conjonctivite pendant quelques jours… Tout compte fait, j’accepte votre proposition de tout à l’heure concernant le café.

Elle se lève sans une parole et quitte la pièce. Qu’aussitôt, le fils bien-aimé de Félicie entreprend ses explorations de printemps. Droit au poste de téloche, l’ami. Posé sur un bloc vidéo. Il se trouve dans une niche aménagée au centre d’une boiserie claire dont une partie sert de bibliothèque et l’autre, l’inférieure, de placards. J’open ces derniers. Ils contiennent de la verrerie, de la vaisselle, des plats d’argent et toute la foutaise d’apparat servant à dresser la table quand on a du beau monde.

Un meuble ancien, peint, style Oberland bernois, décore un panneau du living. Je l’explore directo. Il recèle des livres comportant de chouettes reliures dorées. Pourquoi me dis-je qu’ils sont trop bien rangés ! Je suis frappé par le fait qu’ils sont nombreux (deux ou trois cents) mais tous de même format et reliés dans la même peau. Ce sont des classiques façon Pléiade. Tous les grands crus, de Rabelais à San-Antonio, en passant par Montaigne, Pascal, Corneille, Racine, Molière, La Fontaine, Montesquieu, Voltaire, Rousseau, Chateaubriand, Musset, Hugo, Baudelaire, etc. Le fin lettré que je suis tique en se demandant quel éditeur a publié ces ouvrages. Ils sont d’un format beaucoup plus grand que ceux de l’illustre collection Gallimouille. J’en cueille un au hasard : La Religieuse de Diderot. Suis surpris par son poids anomalien. L’ouvre. Constate qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage mais d’un emboîtage contenant une cassette vidéo. Empare icelle prestouillement, la carabate dans ma vague intérieure qu’elle gonfle je ne te le fais pas dire, remets La Religieuse dans son couvent dont je ferme la porte, pas qu’elle s’enrhume (de la Martinique).

L’Antonio rallie son fauteuil et rêvasse. Les pensées de nuit étant les plus tourmentantes, je songe à ma chère Félicie qui doit se demander ce qu’il lui arrive au sein des républiques russes socialistes soviétiques. Chère maman d’amour, faite pour la quiétude, la douceur du temps, toujours en malmenance à cause de son grand pendard de fils. J’eusse été médecin de campagne, elle eût vécu une existence douillette. Ou bien si j’avais fait garagiste dans une ville tranquille, elle aurait filé des jours sans heurts, ma vieille chérie, répondant au téléphone, servant l’essence aux écraseurs du dimanche, préparant de la poudre Nab pour que je me décambouise les paluches avant de passer à table… On rate le destin de ses parents, la plupart du temps. Ils vous aident à préparer le vôtre, qu’ensuite, zob ! Ça leur boomerange sur la frite et on fait capoter leur vieillesse dans les pires angoisses, misérables que nous sommes ! Faudrait pouvoir se transmettre intact, mes gueux. Constituer une belle chaîne régule composée de maillons bien fignolés.

Rina revient, lestée d’un plateau. Elle sert joliment le caoua.

— Combien de sucres ?

— Un seul.

Elle s’est assise sur le bras d’un canapé et je lui aperçois mam’selle chattounette. Voilà un moment que je macère dans la chasteté, ma pomme : plusieurs jours. Du jamais vu ! Tout à l’heure, avec « ma femme », la tentation a été forte. Une fringale méchante me fulgure dans le fouinasseur de compassation. Seulement, il n’est pas très urbain de se jeter sur une jolie grand-mère dont le julot vient de se faire kidnapper. Toujours ces vieilles conventions paralysantes. On va de rets en collets, de pièges en retenues, de brimades en interdits. On marche dans le marécage des disciplines de vie, on enfonce jusqu’à mi-cuisses. C’est exténuant, à force. Moi, j’aurais bien voulu essayer autre chose avant de canner, mais il est inutile de rêver ; je l’ai dans le cul, comme tout le monde. J’appartiens trop au système. Une fois arrivé dans le mignon cimetière de Bonnefontaine, je pourrai enfin prendre mes aises. Ce sera peinard, ce sera sympa, ce sera fini. Ouf !

— Je m’explique mal votre personnage, avoue Rina au bout d’un instant de silence.

— Comme moi le vôtre, riposté-je.

— Vous êtes un bien curieux policier.

— Et vous une bien étrange compagne de médecin.

— C’est-à-dire ?

— J’ai l’impression que l’enlèvement du docteur ne vous affecte pas tellement.

— C’est VOTRE impression.

— Et puis quelque chose me chiffonne…

Elle m’interroge du regard, du menton, du silence. Sa tasse de café à la main, elle attend mon explication.

Je la lui fournis sans l’envelopper de papier de soie.

— Les ravisseurs de votre Yuri sont entrés directement dans le garage pour y attendre l’arrivée du doc. Pas un instant ils ne se sont présentés ici. Fépaloff a été kidnappé en douceur, et pourtant vous savez ce qui s’est passé, comment cela s’est passé, et vous n’avez rien dit à personne ; moi je trouve ça bizarre, mais alors très très bizarre.

— J’étais dans ma chambre et ne les ai pas vus arriver ni repartir. Quelqu’un m’a téléphoné ensuite pour m’avertir de l’enlèvement et m’a ordonné de me taire, sinon, prétendait le correspondant, il arriverait malheur à Yuri.

— Le quelqu’un parlait quelle langue ?

— Le russe.

— Que vous parlez également, bien qu’étant tchécoslovaque ?

— Je parle couramment seize langues, dont le chinois.

— Je vous en enseignerais volontiers une dix-septième, lui dis-je, mais je doute que le moment soit opportun pour le faire.

Elle me plante les deux beaux siens dans les deux beaux miens et tu sais ce qu’elle me sort ?

— Le moment est toujours choisi quand il s’agit de s’instruire.

Tu me connais ?

CHAPITRE VI

On dit souvent que je suis misogyne ! On se fout le doigt dans l’orbite jusqu’au slip.

Lis un peu la définition du mot misogyne sur le dico : qui hait ou méprise les femmes. Tu m’imagines, haïssant ou méprisant ce dont je ne puis me passer ? Car là est la vérité, la sombre, la louche vérité : je suis dépendant de la femelle de l’homme. Elle est aussi nécessaire à ma vie que le pain, le vin, le Boursin (aillé-fines herbes). Je la convoite d’emblée, tente de la conquérir d’autor, l’aime passionnément, et quand il arrive qu’elle ne m’agrée pas, je reste déconfit, sans voix, sans force, grondant d’une sourde rancune. Non, non, pas misogyne. Je le regrette d’ailleurs. Parce que enfin, comme salope, elle se pose là, non ? Garce tout terrain, amphibie, polyvalente, capable de tout et du reste, l’accomplissant avec le sourire ; néfaste quand il sied, vérolante à ses heures, mais divine !

Moi, misogyne ? Jamais ! Esclave, au contraire, grand con, benêt, toutou, lécheur, passeur de serpillière, dépensier, soumis, acceptateur d’inacceptable, implorant, moi que voilà, bandant sans cesse.

Misogyne ! Vous avez dit misogyne, mes drôles ? Et ce gros paf à veine bleue, il l’est misogyne, Ninette ? Misogyne dans tes miches, oui ! Putain, ce qu’ils me courent, tous ces qualificateurs invertébrés. Ces poseurs de questions idiotes. Ces dépeceurs de vérités premières. Tu leur donnes un manteau de fourrure, ils t’en font un poil de cul. Toute cette grouillance me vermine l’âme. Certains jours, le monde me fait l’effet d’un gros morceau de barbaque corrompue où s’agitent les asticots, nos petits derniers d’un jour ou l’autre. Mais la France a besoin de nous, et même de nounous.