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— Et encore ?

— Rien. La fille a admis que son ami avait été enlevé. Elle m’a fait du charme pour, je l’ai compris par la suite, me retenir dans la maison en attendant l’arrivée du type de la baignoire. Ce dernier s’apprêtait à me faire de gros ennuis, mais j’ai renversé la situation à mon avantage comme vous avez pu le constater. Puis-je vous poser une question à mon tour ?

— Non.

— J’aimerais savoir pourquoi vous vous emparez de ces cassettes ?

Il me fixe longuement, je ne distingue pas ses yeux perdus au fond des orbites sous les paupières obliques. Je pressens qu’ils ne doivent pas refléter la bienveillance.

— Je pense qu’on ferait mieux de vous tuer, me dit-il.

— Quelle sotte idée ! riposté-je.

Il doit faire part de son cas de conscience à ses potes car ceux-ci se mettent à me regarder en jactant d’abondance.

Et puis, afin de sortir de l’expectative sans doute, le gros vilain moche s’approche du téléphone. Il va demander l’avis de ses chefs.

CHAPITRE VII

C’est un peu triste de voir sa vie dépendre d’un coup de téléphone.

Humiliant, aussi.

On mesure combien l’on est peu de chose. Guère plus qu’une action en Bourse : Achetez ! Vendez ! Tuez ! Ne tuez pas ! Mascarade ! Manade !

Le Japonouille japonille dans le combiné. On croirait qu’il joue du xylophone. Il en tartine long comme le curriculum vitae de Mme Dalida, d’un ton essoufflé et guttural à la fois.

On lui pose des questions ensuite, et il y répond brièvement. J’attends avec une grande dignité, nonobstant ma position imbécile. Le gros larduche raccroche enfin.

Pas un mot.

Simplement, il arrache l’une des aiguilles fichées dans son brassard.

— Pas d’acupuncture pour moi, je vous prie, lui dis-je, je crains la chatouille.

Il reste d’un flegme avec lequel seul un baril de saindoux peut rivaliser. Tuer, pour ce gros zig, n’implique pas le moindre cas de conscience. C’est de la simple formalité. Le gars qui écrase le moustique en train de lui piquer la joue se pose une surchiée de problèmes métaphysiques en comparaison.

Il s’agenouille devant moi et me salue à la samouraï.

— Repos, lui fais-je, et parlons d’autre chose.

Ignorant ma gouaille héroïque en semblable circonstance, je ne te fais pas dire, le lutteur d’estampes ouvre mon veston et sa main potelée palpe ma poitrine à la recherche de mon cher cœur qui ne bat que pour Félicie. L’ayant trouvé, il conserve sa patte écœurante plaquée à mon poitrail en écartant légèrement son médius de son annulaire pour laisser la place de l’aiguille.

A cet instant on ne peut plus critique, je ne pense rien. Mes idées sont une espèce de bouillie de pensées sans développement. J’essaie de me dire qu’il faut tenter de rebuffer, mais je sais que cela ne fera que reculer l’échéance. Coincé, il est, l’Antoine joli. Déjà dans la salle d’embarquement. Adieu, va ! Le mastodonte pue le rance, le musc, la sueur, le saké roté. Il place la pointe de l’aiguille entre ses deux doigts servant de repères, tenant la boule à pleine main, la paume formant piston, comme un toréador tient son épée pour l’estocade.

Encore une fraction de seconde et le cœur du commissaire sera transpercé, kifkif ceux qu’on grave sur les arbres pour dire à Ninette comme quoi on ne l’oubliera jamais avant la semaine prochaine. Son épaule musculeuse semble s’écarter de son buste pour livrer l’effort fatal.

Et alors un badaboum infernal retentit. La vitre d’une fenêtre vole en éclats, une détonation envraoume la pièce. Mon Jap pousse un cri de kamikaze se jetant sur un destroyer américain et s’apercevant à l’ultime instant qu’en fait celui-ci est peint en trompe-l’œil contre une falaise.

Une giclée de sang s’échappe de sa gorge transpercée.

Il balance entre la vie et la mort, opte pour cette deuxième solution et s’abat en arrière. Que moi, tu penses, devinant ce qui risque de suivre, je me blottis contre lui de mon mieux. Mais les deux autres compères ne songent pas à me flinguer. Ils arrosent la fenêtre à tout-va, jusqu’à ce que leurs pétoires claquent des dents à vide.

Un immense silence succède. Ça pue la poudre. Les deux Japs choisissent celle d’escampette. Ils ont la présence d’esprit de cramponner les valises et se tirent par-derrière. Me voici seulabre avec le gros décédé qui n’a toujours pas lâché son aiguille à tricoter des trépas.

J’attends la suite des événements. Mais elle ne se presse pas de se produire. Au-dehors, il y a encore des coups de feu espacés. Un bruit de bagnole démarrant en trombe d’Eustache.

Charmante soirée. Rina est morte, son complice aussi. L’illustre Sana est assis, enchaîné.

Enfin la lourde conduisant au hall s’écarte doucement. Le père Pinuche montre sa frime de vieux rat malade, ensommeillée. Il tient à bout de bras son pétard 7,65 aussi fatigué que lui. Il tousse, à cause de l’odeur de la poudre en suspension dans le livinge.

— C’est toi, le sauveur ? balbutié-je.

Il renifle, éternue, puis rengaine sa seringue.

— Avec une cible de cette dimension, ça n’a rien d’un exploit, déclare le cher bonhomme en montrant le Jap.

Ce dernier, dans son survêtement noir, ressemble à un cachalot échoué.

— Tu es arrivé in extremis.

— C’est grâce à un type qui habite en face. Il est venu me réveiller pour me dire que je ferais bien de m’occuper de toi parce qu’il te voyait en mauvaise posture depuis sa fenêtre.

Cher, cher Alex Libris. Comme sa haine a dû balancer. Comme il lui a été pénible de trancher entre moi et les Jaunes. Mais il a fait le bon choix, mesdames, le bon choix, messieurs. J’irai me faire insulter par lui, pour lui exprimer ma gratitude.

— Les deux autres ont filé ?

— Je ne pouvais pas rester à cette fenêtre pour les observer, plaide la gentille vieillasse, tu as vu de quelle manière ils mitraillaient ? Quand je les ai aperçus, ils étaient déjà à leur voiture avec des valises. J’ai tiré de mon mieux et je crois bien en avoir touché un, mais je ne pouvais rien faire de plus.

— Puisque tu m’as rendu la vie, rends-moi également la liberté, inoubliable savate, sollicité-je.

— Où est la clé ?

— Probablement dans la salle de bains, ne te formalise pas d’y trouver un occupant ; c’était la tournée des grands-ducs, ce soir !

Ses recherches sont couronnées de tu sais quoi ? Succès ! Ce petit homme frileux, si doucement malportant, si tendrement douteux dans son accoutrement, dont on devine qu’il n’a pas les pieds impeccables, non plus que le fondement, cette gente baderne larmoyante, mégotante, enrhumée, revient en tenant la clé du cabriolet grand sport. Cric-crac, cric-crac, me voilà délivré.

La Vieillasse matouze autour de soi. Le tableau est tristet. Les salves ont saccagé l’appartement, et ces deux morts font terriblement désordre.

— Tu as encore besoin de moi, cette nuit ? s’informe la Gaufrette.

— Plus tellement, lui dis-je, si c’était un effet de ta bonté de me ramener à Paris…

Nous sortons, le vent s’est levé et agite les arbrisseaux plantés dans la pelouse.

La pelouse ! Je me mets à la recherche de la cassette que j’y ai propulsée. Le fait qu’elle soit noire et se trouve dans l’ombre ne m’aide guère ; mais Baderne-Baderne possède une lampe de poche dans la Juva. Homme de grande prévoyance, il ne sortira jamais sans son thermolactyl. Au bout de cinq minutes, je déniche l’objet au pied d’un rosier chargé d’escalader une armature de ferraille en forme d’arbre, mais qui s’attarde au pied de d’icelle.