— Il n’y a plus d’enfants ! dis-je.
La Cerise lime toujours avec la même application basée sur une régularité exemplaire.
— Quand je cause de sa petite affaire, c’est façon de parler ; il est déjà monté comme un grand, ce bougre !
— Les grâces de la providence sont infinies, rétorqué-je.
La Cerise s’arrête de fonctionner, déchausse, ramasse la culotte de Maria pour se refaire une beauté. On dirait qu’il fourbit un revolver.
— Voilà, ça ira pour ce matin, assure l’excellent rentier.
Une caresse pour flatter la croupe de sa jument et il remet Coquette dans son Eminence grise.
— Bon, je me mets à la recherche de cette foutue balle, dis-je. Bonne journée, voisin !
Me faut pas une minute pour dégauchir le magasin prélevé dans la caméra de mes amis russes. Il gît non pas dans les fraisiers, mais parmi des poireaux naissants qu’il a très peu meurtris.
Je le file sous ma veste, contourne la bicoque du vieux et m’en revas en loucedé. Je défrime la rue tranquille. Nobody. Juste une vieille dame avec une canne tenant en lesse (ou en laisse, au choix) une sorte de panier sur roulettes.
Ma bagnole, hop ! Et ensuite, nach Paris plein de schön mademoiselles pour promenade, bite dans le cul, gross bonheur !
La Grande Volière n’a pas sa vitesse de croisière habituelle lorsque j’y déboule. Ça remue-ménage sec. Je demande à mes aimables confrères les motifs de cette nervosité générale.
— Et quoi ! s’exclame l’un d’eux, tu ne connais pas la nouvelle ?
— Quelle nouvelle ?
— Depuis ce matin, on a un nouveau directeur.
J’écarquille des vasistas.
— Bérurier a été sacqué ?
— En deux coups les gros, hier ; il fait partie de la charrette consécutive aux manifestations des policiers.
— Lui ?
— Lui. On vient de nous nommer en remplacement l’ancien directeur de l’Opéra.
— Et le Gros ?
— Radié.
— Il n’a pourtant pas dressé de barricades ni défilé en tête de cortège !
— Non, mais il a traité le ministre de vieux con.
— Pour quelle raison ?
Mon chosefrère hoche la tête.
— J’ignore celle qu’il a choisie.
Il éclate d’un rire vachement malsain, je trouve, car suppose que je sois cafteur, hein ? Où ça irait, ça ?
Je déteste l’irrévérence. Un ministre est une personnalité respectable et on a bien fait de mettre le Gros à pied s’il s’est comporté de cette façon honteuse[7]. Goujat, va !
Il est temps que je prenne contact avec les nouvelles instances suprêmes à propos de ma mission soviétique. Je grimpe jusqu’au saint lieu et demande au brigadier Poilala de m’annoncer.
Il m’adresse une grimace désabusée.
— Je veux bien essayer, mais je vous promets rien, commissaire.
Il décroche la ligne intérieure. Ça carillonne un bon bout avant qu’on décroche. Plus rapidement que la voix, je perçois de la musique. Le Carnaval des Dieux, crois-je reconnaître.
— Oui, fait une voix raffinée.
— Il y a ici le commissaire San-Antonio, retour de Moscou, qui souhaiterait un entretien d’urgence, déclare Poilala avec son bel accent corse (île d’amour, pays qui lui a donné le jour).
— Oh ! écoutez, nous sommes en pleine répétition pour le gala de la Police, je suis obligé de reprendre tout ça en main d’urgence, vous vous rendez compte : on passe dans huit jours ! Et qu’allaient-ils donner, ces crétins ? De la musique militaire et des chansons napolitaines, je vous demande un peu ! Soyez gentil, vieux, vous ne me passez personne avant le gala, sinon ce sera la catastrophe.
Poilala avait tenu le combiné à distance de son oreille pour me permettre d’écouter.
— Vous avez entendu, commissaire ?
— Ça consiste en quoi ? soupiré-je.
Poilala a la gueule d’un enfant de l’île de Beauté qui vient d’apprendre qu’une vendetta déterrée vient de décimer les siens au grand complet.
— Le nouveau ne pense qu’au gala de la semaine prochaine. Il a mandé tous les inspecteurs, officiers de police, commissaires sachant chanter ou danser, et il recompose un programme classique.
Le biniou glinglinte.
— J’écoute, monsieur le directeur, certifie Poilala sous la foi du serment (et non pas sous le foie du serpent, comme d’aucuns s’imaginent).
— Dites-moi, ami, ce commissaire San-Antonio aurait-il une voix de baryton basse ? demande le nouveau.
— Je ne pense pas, monsieur le directeur, ça se saurait.
Après cette hurluberluante scène, je me dirige vers le labo afin d’y contacter Mathias. On m’y apprend que le Rouquin est parti précipitamment sans informer quiconque de l’endroit où il allait.
En attendant son retour, je passe dans la salle de projection et interpelle l’officier de police Mifigue qui règne sur ce département particulier.
— Tiens, lui dis-je en déposant le chargeur pris dans le camping-car entre ses mains rongées par les acides, développe ça d’urgence et préviens-moi dès que tu seras en mesure de le projeter.
Qu’ensuite, désabusé, plus maussade qu’une oie sur sa plaque chauffante qui l’oblige à soulever alternativement une patte, puis l’autre, pour conditionner son foie gras des Landes, je vais me bouclarès dans mon bureau. Il y a de la Berezina dans l’air. M’man, cette fois, me manque sérieusement. Le lessivage du gars Béru accentue mon impression de solitude. C’était un dirlo pour rire, mais efficace néanmoins. Et à présent ?
Je compose son numéro et je tombe sur Berthe (sans me faire le moindre mal, vu le matelassage de ladite). Son bel organe a une dolence inaccoutumée. Elle parle comme une phtisique dans un roman du siècle dernier.
— Oh ! c’est vous… Votre chère voix est un réconfort dans la currence que vous êtes au courant.
— Je viens d’apprendre à l’instant, c’est épouvantable.
— Causez-moi z’en pas, commissaire. Un homme comme lui, avec une carrière comme elle, lui jouer un tour aussi pendant, on a envie de dégueuler.
J’admets, renchéris :
— Béru est là ?
— Il y est, commissaire, mais, sans vouloir vous offusquer, il est pas jointable pour l’instant.
Un Alexandre-Benoît pas joignable en son logis ! De deux choses l’une : il se trouve aux chiottes ou dans un coma profond.
— Quand il aura tiré la chasse, dites-lui qu’il me rappelle au bureau.
La Baleine pousse un barrissement qui joint de l’éléphantisme à sa cétacerie.
— Plus question qu’il fasse jamais ce numéro, commissaire, après l’immense honte dont il vient de subir, un homme comme lui, avec une carrière comme elle derrière soi.
— Bon, alors je le rappellerai dans un quart d’heure.
— Vaut mieux pas l’déranger pour l’instant, cher ami, il est en plein travail dont il a b’soin de bien s’coaguler pour y arriver.
— En plein travail ! Que fait-il donc ? s’écrie ma curiosité piquée au tu sais quoi : vif !
— Il écrit ses mémoires, révèle la Gravosse, non sans une emphase pleinement justifiée d’ailleurs par l’importance de l’événement.
— Ses mémoires ! Mais je croyais que la comtesse de Ségur s’en était chargée.
La Berthe rebarrit de plus rechef.
— Ecoutez, commissaire, j’sais qu’mon homme a trempé l’biscuit d’ici et là et qu’il s’est embourbé jusqu’à des princesses même, mais c’est pas l’homme à confier sa vie à une comtesse. Votre comtesse de Ségur, qu’il l’ait empafée de première, je dis pas, un homme comme lui, avec une bite comme elle ; mais question confidences, fume ! Elle aurait pu l’pomper jusqu’à l’os que mon homme, jamais d’au grand jamais il l’aurait fait la moind’ confidence privée et personnelle à la personne dont vous faites alluvion.
7
Il faut surtout pas que j’oublie d’envoyer ce livre à M. le ministre. Je suis, donc je suce.