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CHAPITRE IV

Elle va d’une démarche souple et aérienne. Tu donnerais ta bite à couper qu’il s’agit d’une femme à part entière.

La porte ne l’arrête pas, si je puis dire, car elle en actionne le loquet délibérément, sans sonner ni même toquer, ce qui serait la moindre des choses.

Elle pénètre dans le couloir, s’arrête devant la patère que m’man a héritée de tante Marthe, y accroche l’imperméable qu’elle tient sur le bras ; puis elle s’arrête à l’orée de la cuisine pour me dire très simplement, d’une voix infiniment quotidienne :

— Le temps de monter ma valise et de me recoiffer, je suis à toi.

Tu en as déjà vu des méduses ? Pas celles qui radeautent, celles qui te charognardent la peau. Eh bien un banc de méduses ne sera jamais plus médusé que ma pomme. La Katerina, je te parie le truc de l’autre jour, qui t’a tant fait jouir, chérie, contre celui d’un officier de carrière, qu’elle connaît les lieux aussi bien que je connais ta jolie culotte rose à bordure de dentelle noire, ma poule. Avec une tranquille détermination, elle s’engage dans l’escalier, prend le couloir, ouvre la seconde porte à droite qui est celle de ma chambre.

Conchita, presque aussi envapée que bibi, me langoure un regard teinté de reproche.

— C’est une amie de vous ? elle bredouille.

En guise de répondre, j’automate jusqu’au premier floor. Il est obligé de se cramponner à la rampe, l’Antonio, pour compenser son abasourdisance. De ma démarche léthargique, je rejoins la (ou le) Russe (ou Russe). L’aimable arrivante a déjà ouvert sa valtoche et en sort des robes qu’elle étale sur MON lit. Puis elle ouvre MA penderie pour y butiner des cintres.

Elle murmure, tout en rangeant ses armures :

— Tu veux bien demander à Conchita de me faire un café, chéri ?

Alors moi, je me dis que de deux choses l’une : ou bien je lui savate les meules à coups de tatane avant de la flanquer par la fenêtre, ou bien je la biche par les épaules et je lui supplie d’annoncer la couleur, pas me laisser mourir en état de point d’interrogation.

Comme toujours, je me décide pour un moyen terme :

— Le café, tu le veux avec trois sucres, comme d’habitude, mon ange ?

— Ce serait gentil, répond Katerina.

Elle passe dans la salle de bains et commence de s’y défringuer. Tu comprends sa russiance à ses dessous. Lingée à l’ancienne, ma pensionnaire. Une combinaison de satin rose, comme désormais n’en portent plus que les bourgeoises âgées et leurs bonnes portugaises, soutien-gorge, culotte consciencieuse. Je louche sur le slip, y décèle à l’endroit pubien, un renflement qui peut être produit, soit par une zézette modeste, soit par une touffe luxuriante. Je connais aussi des friponnes qui ont la motte en relief, bombée charmant. Toutes les conformations, voire malformations se trouvent dans la nature.

— Et mon café ? insiste miss Moscou.

— Je vais te le commander, ma bien-aimée.

Je la laisse à regret. J’ai l’impression de marcher dans de la barbe à daddy. Et puis aussi de rêver. Tu veux parier que je me trouve encore à l’hôtel Bofstrogonoff ? Je vais me réveiller, retrouver la réalité. Le coup de grelot de Gériatrov, mon voyage au côté de Katerina, m’man partie pour Moscou avec Toinet, la fiesta andalouse, tout cela appartenait à un bioutifoule cauchemar à grand spectacle, pour comédie musicale américaine. L’arrivée de Katerina at home, c’est le point d’orgue.

— Conchita, vous voulez bien nous faire du café ?

— Si.

Elle enclenche le perco italien que j’ai offert à Félicie pour la fête des Mères, et que seule Conchita sait manœuvrer ; m’man continue en douce de faire son caoua avec sa vieille cafetière émaillée.

Bon, il va bien falloir qu’on bavarde un peu, la Russe (ou le Russe) et moi, non ? Ce genre de situation fait très joli au premier acte, seulement si tu passes pas la vitesse suivante, le moteur chauffe et les spectateurs se mettent à tousser.

Le café est déjà prêt. Les hommes sont suicidaires, je trouve. Ils passent leur temps à inventer ce qui les supplée. Un jour, on n’aura plus besoin d’être sur terre : des ordinateurs y existeront à notre place ; ce sera enfin le temps des grandes vacances éternelles. Y aura plus besoin de s’éplucher la biroute pour obtenir la sixième semaine ou les douze heures de travail hebdomadaire, non plus que l’avant-préretraite. On coincera la bulle for ever. Ce sera même plus la peine de copuler. L’espèce s’éteindra à l’ombre de la cybernétique triomphante.

Bon, un petit coup de dérapage contrôlé, c’est comme une application de lait hydratant sur la cervelle. Comme une compresse d’eau froide. J’en ai grand besoin. Remouille-moi la compresse, mignonne !

— Vous prenez le café au salon ? demande Conchita.

— Moi, oui, mais… cette dame l’attend dans sa, heu… dans ma chambre.

Je branche la télé pour savoir ce qui s’est passé dans le monde pendant ma courte absence. Et aussi pour dire de me donner une contenance. Agir coûte que coûte afin de neutraliser le vertige qui m’empare.

Sur l’A2 c’est précisément les actualités. Le gazier de noye raconte les passionnantes tribulations du Conseil des ministres, si riche en péripéties, comme quoi on va voter un train d’impôts nouveaux, augmenter le tabac, l’essence, les capotes anglaises d’importation, taxer les taxes, et encore une chiée de bricoles.

Conchita se fait familière. Comme elle sent que je n’ai pas envie de lui parler de notre visiteuse, elle branche sur autre chose.

— Où on va, Monsieur ? elle répète comme elle a entendu à la boulangerie, chez l’épicier, le dentiste, le marchand de Tampax, le boucher, dans le métro, à l’arrêt du bus et chez sa cartomancienne.

— On ne va plus, ma fille : on est arrivés, tranché-je.

Elle acquiesce et s’éloigne avec le plateau destiné à Katerina. Mais moi, l’Antoine, quelque chose de nouveau me turlupafe. Issu de la TV. Je cherchaille dans ma pauvre cabêche tant cigognée par les circonstances et je trouvaille.

Le Conseil des ministres !

Il a lieu généralement le mercredi (du moins en était-il ainsi à l’époque où j’écrivais cet ouvrage exceptionnel), or NOUS SOMMES DIMANCHE !

Ecoute, j’avais rendez-vous hier avec le camarade Gériatrov. Le samedi 24.

Je contrôle sur mon agenda, et oui c’est bien ça. Donc, nous sommes le dimanche 25, non ?

Je cavale à la cuisine où m’man épluche religieusement son éphéméride en se levant, chaque matin. Toute la vie, j’ai vu fondre l’année contre le mur, près du placard.

Je lis « Mercredi 28 mai ». Y a le nom du saint à fêter en dessous, mais comme j’en ai rien à branler je ne m’approche pas pour le lire ; et le quartier de la lune idem, je m’en tamponne.

Faut pas se laisser couler à pic dans le sirop, ma gosse ! Un petit coup d’élixir de comprenette et ça ira mieux. Attends, le décalage horaire entre Moscou et Paname n’est pas de trois jours, sinon je l’aurais appris en géographie. Conclusion, j’ai eu trois jours de « blanc » quelque part dans mon emploi du temps. Pas besoin de chercher : c’est à l’hôtel Bofstrogonoff que ça s’est opéré. Ma nuit qui m’a paru hachée, a duré 72 heures. C’est pas encore la nuit lapone, mais on y vient ! L’étrange, c’est que je ne me suis pas senti perturbé en me réveillant.

Conchita reparaît, souriante derrière sa jolie moustache de jeune première.

— Votre dame est très gentille, me dit-elle ; elle sait mon nom, et même celui d’Angel, mon ami. Elle sait aussi où il travaille, et combien j’ai de frères et sœurs, alors que je m’y perds ! Vous n’avez pas dit à Mme Maman que vous alliez vous marier ? C’est dommage, Mme Maman aurait aimé assister à la noce. Et Toinet, donc !