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Réfléchis, mon trognon, avant d'accepter aussi.

Maâme Martin, je l'ai attendue qu'elle manifeste.

C'est des cas, comme à la pêche, qu'ayant filé ta ligne au jus, faut s'en remett' au bon vouloir du poissecaille.

Je défrimais la bouille d'un illuste socialo (à Martin Martin dont les convictions ne sont pas éloignées des miennes) quand elle m'a rapproché, c'te dadame.

— V'le connaissez ? j'y ai demandé en montrant la photo au bazu.

— J'ai dîné avec lui plusieurs fois.

— C'est quoi t'est-ce, comme homme ?

— Un bavard !

Tiens, elle aussi pensait pareil.

— Comme les autres, pas vrai ? je lu ajoute.

Elle a souri un chouille, léger, pas trop s'livrer.

— V'voyez, je lui fais, d'après moi, les zélus, on d'vrait leur permettre d'agir, mais pas d'parler. C'est juste le peup' qui aurait droit au crachoir, pour dire c'qui va et ce qui n'va pas.

Elle a s'coué la tête. D'un seul coup, J'la trouvais jolie, ou plus xactement, agréabe.

— Personne ne devrait parler, elle a soupiré.

Ça m'a frappé. C'est vrai, au fond : personne. C'est tellement superflu, la jactance, tellement embrouilleur, confusant…

On d'vrait agir, tous, agir et n'rien dire. Jamais. Garder sa voix pour chanter ; ou pour aimer, c'qu'équivale…

La connerie, c'est la discussion. Qu'en finit pas, qui peut pas en finir. Y z'aiment tellement la parlote que c'est d'venu un spectac'. J'te prends la téloche, par exemple. Tous les soirs, recta, t'as une ou deux chaînes pour te filer un numéro de baverie. Des gus aux prises, qui démordent pas leur morcif. L'un qu'est pour Dieu, l'aut pour l'diable. L'un pour l'ouvrier, l'aut' pour le patron. L'un pour les naissances, l'aut' pour l'avorterie. L'un pour l'amour-papa, l'aut' pour les belles enculades entr' messieurs. L'un pour l'équarrissage des comateux, l'aut' pour leur jouer les prolongations au poumon d'acier. Blanc et noir, bas et haut, chaud et froid, pine et cul, gauche et droite, toi et moi. Ah oui, surtout : toi et moi ! Y restent sur leurs oppositions après d't'avoir fait chier deux heures. Qu'y s'agirait d'politique ou de ciné ; mon quantasoi, ton quantamoi. Tu connais, toi, le blaze du croûton qu'a déclaré un jour que « d'là discussion giclait la lumière » ? Oh, cet œuf, ma nièce ! D'la discussion sort fatalement le brouillard, la nuit, la merde et, pis que tout : le temps perdu. Alors, perds pas ton temps, souris : discute jamais, agis !

La dame Martin, c'était une agisseuse. Sa manière de décider, d'en prendre son parti : le sien, pas çui d'son mari ; c'tait pas l'genre d'héritage qu'elle lui convoitait, soye sûre ! La politique, elle en avait ras le bol, la chère p'tite. Traînée dans des banquets, n'augurations, soirées officiantes, elle déjantait d'la patiente, sûr-certain. En avait le poignet luxurié de toutes ces pognes serrées à tort et travers, le dos de la paluche eczémateux de trop de baise-louches mondains. Dans l'fond, son veuvage allait la reposer. Elle m'a regardé, d'un œil trouble, troublant. A c'moment, j'ai repensé à la notairesse de Saint-Locdu-le-Vieux. Elle lu ressemblait à s'en bouffer les gesticules. Toute une historiette, gamine. A t'narrefier au passage.

J'avais dans les quinze ans et je chargeais la bonniche au notaire, une belle rougeaude qu'avait pas inventé l'eau chaude, ni même l'eau tiède, et qu'est-ce elle en aurait fait vu qu'é s'lavait tout juste à peine ?

Marion, ell' s'appelait. Son défaut, c'tait ses guiboles, mastardes comme des pylônes à haute tension, violacées de l'intérieur tellement qu'elles frottaient l'une cont' l'autre à force d'êt' mahousses. J'passais par le jardin au notaire pour me rabattre dans sa cuistance à la Marion. J'm'pointais dessus en catiminette et j'y balançais la paluche sous les abat-jour du temps qu'é f'sait sa vaisselle. Froutttt ! Directo à la moulasse. Elle t'avait un de ces z'hangars à fourrage, la pouliche, youyouille ! Av'c une culotte qui pendait loin dessous, à force que des mains villageoises y pr'naient leurs z'aises.

Un tantôt, c'tait dimanche je me rappelle, je me mets en tête de l'embourber sur le coin de table. Jusqu'alors j'avais cantonné dans les primatiales lutines ; ça n'était pas été plus loin que trois quat' doigts dans la cramouillette, vu qu'on n'pouvait pas s'ébattre s'lon les normes tant elle l'avait évasive. Moi, j'hardais comme un seigneur. Dans ton liv' d'histoire que j'ai z'eu la curieusité de feuiller l'aut' jour, y'a une gravure qui représente un suissaga baraqué king-kong en train de charger l'armée de Charles le T'aime-les-raides à Morat. Il a les bras nus et il tient à deux mains un pieu de trois met' diamétré comme un poteau télégraphiste.

J'devais lu ressembler dans l'office à Maît' Bugnazet, au Suisse de ton bouquin. Quand elle m'a aperçu av'c ma lance de fantassin, Marion, t'aurais entendu ce cri horrib' !

— Non, Sandre ! T'es trop fort, t'vas m'défoncer la vertu ! J'veux pas ! Non !

J'avais beau la basculer sur la table, elle gesticulait des cuissots, la salope. Et v'là qu'la porte ouvre et qu'maâme Bugnazet, la notairesse, paraît. Sal'ment dramaturgique, la rombière. Plus vioque que maâme Martin, plus importante aussi. Une personne pas commode, et moins qu'souriante. Elle nous contemp', elle renife. Puis son regard arrive sur mon zigouigoui désemparé qui battait la mesure, tout seul d'vant moi. J'eusse dû dégoder, bien sûr, par politesse et respecte. J'tente de l'remiser dans mon bénouze, mais quand il est expansé d'là sorte, pour l'faire rentrer au bercail, cézigue, faut lu raconter des histoires tristes ou bien le plonger dans l'eau bénite. J'arrivais pas. C'que voyant, la dame notaire me fait comme ça, sévère :

— Suivez-moi, mon garçon ! Quant à vous, Marion, j'vous r'tiendrai la moitié d'vos gages.

J'y file le train en glaglatant atrocement. La v'là qui m'entraîne jusqu'à son boudeur, au premier. Tu crois que j'allais profiter du voyage pour déshisser du cacatois ? La peur, pourtant, c'eût dû me ramollir, non ? Eh ben pas du tout. J'continuais de tangoter du paf en scaladant les marches.

— Entrez, mon garçon !

J'entre, gêné d'là terre qui immatriculait mes godasses (oublille pas que j'venais de traverser le jardin et c'tait l'automne).

Elle referme et s'assoye dans un fauteuil, d'vant moi.

— C'est du prop', elle soupire. Une chose pareille sous un toit aussi respectable que le nôtre ! Vous savez d'puis combien de temps maître Bugnazet est notaire à Saint-Locdu ? Cent vingt-deux ans, mon garçon.

— J'y aurais pas donné c't'âge, je balbutie, en pleine désemparade.

— Si je lui dis tout, il va aller trouver votre père, c'est évident, voire vous conduire directement à la gendarmerie !

— Oh, non, maâme, j'v'z'en suplille…

Quel âge avez-vous ?

— Pas quinze ans, maâme.

— Et vous vous mettez déjà dans des états pareils. Mais, mon garçon, quand on a quinze ans, on se satisfait tout seul, on n'ennuille pas d'honnêtes filles.

J'pigeais pas ce qu'elle entendait. Elle le voye à mon étonnement des yeux.