— Écoutez, les gars, on n'va pas s'tirer la bourre, c'est pas sérieux. Y'a un terre-plein d'entend'ment à trouver, quoi, merde ! V's'allez pas chahuter mon moustique, ma grignette. C'est ma tout' p'tite, ma fille, mieux p't'être pisqu' j'l'ai pas faite moi-même. V's'avez pas l'droit. Dieu vous maudirait. Et si Dieu aurait la sottise d'pas eguesister, la Justice vous piqu'rait et crèv'rait la paillasse, nom d'Dieu d'merde de bordel à cul ! Une fille d'flic, c'est plus chérot encore qu'de la viande d'flic ! Chez les archers, on tire à vue, un mec qui fait une chose pareille, et ça s'appelle d'là légitime défense, vous n'avez qu'à ligoter les baveux, vous voirez. D'allieurs j'vous interdis d'lu toucher un ch'veu, Marie-Marie. Qu'é rentre av'c une moindre égratignure, et vous s'rez saignés comme des gorets, tas d'fumiers !
J'm'éponge la sueur qui dégouline partout d'moi, des porcs de toute ma peau malade d'trouillance : pis qu'j'serais sous une averse en plein champ, parole !
Et eux continuent d'sourire. Le porte-man fait tournicoter mon feu autour d'son indesque.
Alors, j'sais plus c'qui me prend : v'là qu'j'me fous à pleurer.
Comme un con, ma chérie.
Exaguetement comme un con.
DOUZIÈME BOBINE
— FACE 1 —
— Mais enfin, j'leur aye d'mandé ; qu'est-ce v's'attendez d'moi ? Excepté nos deux livrets d'caisse d'épargne, un brin d'assurance vie et quéqu' terres qui m'vient d'mes parents, j'ai pas les moiliens d'payer une rançon.
— On t'a pas parlé de rançon, gros sac, m'a répondu l'élégant.
— Bon, alors ?
Le porte-man bâille sans mett' sa main, c'qu'est guère poli d'vant une dame. Y fout sa paluche sous la roupane à la Martin et agite l'bout d'ses doigts dans la babasse à Germaine pour faire un bruit pareil à quand tu marches av'c des bottes trop grandes pour tes pinceaux. L'élégant s'marre du gag. La Germaine rougit un peu d'confusance, mais s'laisse faire, vu qu'l'aut' doit z'êt' son julot à n'plus en pouvoir. Tu parles d'une équipe !
— Explique-lui un peu, Germaine, il fait, l'porte-man, ce gros connard me bat les couilles.
Maâme Martin s'écarte, pour s'r'tirer d'autour des doigts à son mec. Elle s'lève, m'contourne et s'appuille su' mon épaule, en vieille copine.
— Cher gros Bérurier, elle attaque, en savourant bien, je vais tout vous dire.
C't'à c't'instant, môme, qu'j'ai compris qu'ma dernière heure touchait à sa fin. Quand des criminels s'plaisent à t'raconter leurs manigances, c'est qu'y vont t'praliner l'chignon incessamment. Mais, j'te jure, j'm'en tamponnais. La seul' chose qui comptait, pou' moi, c'tait d't'arracher, p'tite. Que vite tu r'gagnasses ton gîte.
Alors j'ai écouté la Germaine Martin, et y'm'semblait qu'c'était une vieille potesse, malgré la dégueulass'rie d'c'qu'é m'causait. Une vieille potesse, pisqu' p't'être, ton salut découl'rait d'c'qu'é décid'rait…
— Gros Bérurier, ell' m'a dit, vous avez découvert la vérité un peu plus vite que votre tête d'abruti ne pouvait le laisser supposer, et je vous en félicite. Pourtant, j'pense avoir bien joué mon rôle. Mais passons. Pour que vous saisissiez bien par la suite ce que nous attendons de vous, il faut que vous connaissiez la situation. J'ai été une épouse bafouée, ridiculisée, et molestée. Il m'a fallu beaucoup de patience pour supporter la vie commune avec Martin, si peu commune d'ailleurs… C'était un être odieux. Je n'ai pu endurer tout ce qu'il m'a infligé que grâce à mon désir de vengeance. J'ai mis le temps qu'il fallait à prendre ma revanche, mais je l'ai prise, et complètement. Et Dieu vous a mis sur ma route pour que vous paracheviez mon œuvre.
Tel quel, elle a attaqué, la veuvasse. Un ton métallique. Tu sentais la toute grande peau d'vache, cette médéme ! La vipère sans pitié qui d'vait flécher ses enn'mis à tout va en leur enjectant la bonne dose de v'nin !
Le grand porte-man, é d'vait l'exciter, la Germaine, car y s'a l'vé pou' venir encore y fout' la main dans l'ogne. Y l'aimait bien, c'bruit d'clapotis qu'é produsait, la Martin, à l'aid' d'sa figasse. Y l'écoutait, l'œil dans l'sirop, comme t'écoutes l'galop d'un canasson, dans l'crespucule. Ça lu titignait l'tympan, le gentil floc-floc de ses méchants doigts dans la moniche à Germaine. Un chien mouillé qui gratte ses puces, tu vois ? La vie, quoi. Moi aussi, j'ai aimé fourgonner la chatoune aux dames, et j'm'en aye pas privé. J'pars content. A c'titre-là, les culs n'ont pas eu d'secrets pou' moi. On s'a compris, eux z'et moi. On a eu d'l'estime, pour nous. Et c'est c'te grande loi du cul qui m'console de disparaître. Toutes les moules du monde qui clapotent aux unissons. Les russes, les ricaines, les albanaises, les luxembourgeoises, les suisses, les allemandes (ces connes), les anglaises (même), les turques, les mongoles, les autres, les nôtres, toutes ! Merde ! Le beau cul rayonnant qui veut tout dire. L'cul pour manar, comme le cul pour pédoque, çui qu'a du poil autour, et çui qu'a seul'ment d'là merde. Le cul d'not' destin, l'cul d'l'humanité qui propage. Et tu voudrais qu'j'aye peur d'crever, entouré d'là sorte, par c't'armada monumentable ? Oh que non !
Vis, Marie-Marie. Aime bien l'cul. La vie, c'est not' présent à tous. Pas présent au sens d'cadeau, mais au sens de tout d'sute. Comme quoi elle est faiblarde, la langue française, bordel ! Il a raison, l'Antonio. Présent et présent : j'te d'mande un peu ! Forfait et forfait ! Un crime et un abonnement mélangé. Et l'reste qui fout l'vertigo à qui qu'examine d'près, comme l'Antonio, dont au sujet duquel la maniaqu'rie est proverbale question d'là langue.
— Donc, a continué maâme veuve Martin Martin, la vengeance a été pour moi une espèce d'apostolat. J'ai eu un triple but : la disparition de mon époux, celle de son odieuse maîtresse et la chute du fils de celle-ci dont Martin s'était entiché au point de l'aider à faire carrière, ce bon à rien lamentable, en le pistonnant, en lui faisant débloquer des crédits, en lui trouvant des financements. Seulement, elle a poursuiville, je ne pouvais agir seule. Je devais demeurer officiellement l'épouse résignée. Alors je me suis mise en quête de « collaborateurs ». Le soir venu, camouflant mes traits, je me suis mise à hanter certains coins chauds. Et c'est dans l'un d'eux que j'ai rencontré Aldo (elle montre son taste-chatte). Avec lui, j'ai trouvé aussi le bonheur ! Il m'a apporté la plénitude physique, ce chou. Il est puissant, Aldo. Il dispose d'une véritable équipe, car c'est un maître du milieu : le meurtre et la drogue sont ses spécialités. Enfin un homme ! Un vrai ! Et non pas une chiffe bêlant des discours ronéotypés pour électeurs dégénérés. Un criminel de grand style, et pas un petit combinard à pots de vins ! Ma vie a une signification depuis que je le connais.
Tout ça, elle disait, la Martin. Et on sentait qu'elle en mouliait d'orgueil, d'ce malfrat qui la calçait si brillamment ! Elle avait toujours rêvé de ça : un dur. Et maint'nant qu'é l'tenait, é s'croilliait la maîtresse d'l'univers, l'enfoirée. Merde, c'qu'les bonnes femmes sont seringues à des moments !
Elle a continué d'm'raconter bien tout l'plan : l'assassinat du mari, l'faux rapete de sa mouflette logée en cachette dans la grande masure de Rueil-Malmaison où Aldo s'était fait engager comme porte-man. Et puis le reste, moi av'c mon flair qui aide leur plan, en somme. Car fallait qu'quéqu'un découvrisse la môme là-bas, et pusse témoigner. La blonde Madeleine, c'est un pote à Aldo, un trav'lo d'Pigalle. En cas d'emmerde, y pouvait s'changer en julot. Et puis qu'est-ce é m'a raconté encore, la pourriture ambulante ? Ah, oui, leur idée d'avoir barre sur moi en kinedappant ma pupille qu'y croillaient qu't'étais ma fille légitimiste. Le fin des fins : y t'ont faite emporter par la Betty Rosier, qu'par la sute Berthe et toi vous pouviez témoigner. C'est Aldo qu'est allé d'mander à la vieille, pisqu'é le connaissait. Il a v'nu d'là part d'son fils. Gé-ni-al, non ? Tout ça… Et l'élégant qu'avait entré dans les belles grâces d'là bonniche, avoir les possibilités d'effacer la mémé su' place à l'instant choisi. Et pis quoi z'encore ? Tout s'brumasse dans ma tronche. Des heures, des heures à t'jacter dans c'micro, ma belle. l'espère qu'mes bobines t'parviendra un jour ? J'ai trouvé une planque pour elles dans la pièce qu'j'me trouve, à Rueil-Malmaison. Pour la frime, comme y savent que j'enrégist', j'ai déconné dans deux aut', rien d'intéressant, et j'les laisse en évidence. Les aut', j'les fourre à m'sure du fure qu'é sont garnies dans l'coffrage du store. Mes collègues, incessamment, fouill'ront tout ici, et comme c'est pas des manches, y les découvrira, et alors j'espère qu'é t'parviendra après qu'l'Antonio les z'eusse éculdorées. Voilà, j'croye qu'ma jactance n'sera pas paumée. J'croye qu'l'bon Dieu permettra d'là trouver. J'ai toujours eu un bol terrib', moi, Béru. A preuve, tiens, quand j'étais dans les Tiralieurs Sénégalais et qu'on allait au bordel, une bande, les aut' morflaient des chaud'-lances, et pas mézigue. J'gardais un zob d'une fraîcheur indiscutab', beau comme d'là légume frais cueillie.