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Alors j'quittais ma place pour me porter t'en avant et je matais mes potes. Un r'gard circulatoire m'suffisait.

— C'est Blanchet, m'sieur !

Et Blanchet conv'nait de l'en effet de c'que j'l'accusais. L'idée lu s'rait pas v'nue de nier. Signé Béru, y l'était coincé.

Ça étant dit, mon lapin joli, j'oserais pas prétendre que c'est d'détecter les pets qui m'a orienté vers la police. Mon don, ça constitue les pr'miers cinq-ptômes et l'aurait pas été suffisant. Le gros déclic, c'est tout un machin. Il est pas inutile qu'j'te le raconte, vu qu'un bonhomme, c'est toujours intéressant d'apprendre son pourquoi-comment des grandes circonstances d'sa vie.

Y'avait une bicoque, en haut du village, près des ruines d'là tour qu'on appelle la tour de la Pie. Une vraie délabrance ! Un gars originaire d'chez nous, qui vivait aux Sudes amériques, l'avait héritée et laissée tomber en couille. Et puis, un jour, on a appris qu'é v'nait d'être vendue à un artiss peintre de Paris. Fectiv'ment, y l'a faite arranger le barbouilleur. L'côté : crépissure blanc, fenêt' à p'tits carreaux. Et y l'est v'nu s'installer, lui et sa bergère. Un drôle de couple. Le peintre trimbalait un sacré carat, son pedigree d'vait z'aller chercher dans les soixante-dix berges. L'avait de longs tifs blancs su' les épaules, une barbiche, une longue moustache un peu moins blancs, qui lui f'saient ressembler au cardinal d'Rich'lieu-Drouot, de grands yeux bleus qui paraissaient r'garder derrière les choses. Y portait un costar de v'lours potelé, et une ch'mise en toile à matelas. Sa bergère, t'aurais cru sa p'tite fille. J'veux bien qu'on m'les coupe si elle aurait dépassé sa majorité. T'sais, dans les bouquins d'contes d'fées, que ça représente Cendrouillon ? Eh ben ça ! Une éch'velure blonde comme blé d'au moins un mètre, et pis une robe manière chasub', en toile de lin rugueuse, et rien d'autre, t'entends, ma perruche ? L'avait des sandales de corde pour sortir, mais dans la maison, elle marchait à pieds nus. Et l'hiver, tu sais quoi ? Elle portait une grande pèlerine et des chaussettes. On aurait dit une sorte d'espèce de grande écolière à l'air sauvageon et triste. La première fois qu'j'l'ai vue, elle m'a remué l'âme, c't'môme, de sa petite mine pâlotte.

Y s'sont mis z'à vivre bizarrement, ces deux. Lui, il peindait, qu'y pleuve ou vente, dans la nature, des paysages d'chez nous. Sa techenique, c'tait des p'tites touches d'couleur, pas plus grosses que des crottes d'oiseau, mais qu'à force d'les accumonc'ler, ça finissait, quand tu t'reculais, par r'présenter quéque chose qu'on se doutait pas au moment qu'y les posait sur sa toile. Pendant qu'il s'en allait barbouiller, de-ci, d'là, il bouclait sa môme dans la maison : une pièce qu'y lui avait arrangée esprès, av'c des barreaux aux fenêtres et une porte de fer peinte imitation bois. La jeune gonzesse, elle passait l'temps à écouter des disques d'phono, ou bien elle tissait un tapis dont il représentait une chasse à courre, pleine de gaziers à gapettes rondes, pareilles à des moitiés d'ballon d'rugby, et des clébards en train d'courir, les quat' patounes à l'horizontable.

Curieux d'nature, chaque fois qu'j'avais un moment d'vant moi, j'fonçais jusqu'à la maison d'là Tour et j'regardais la môme à travers ses barreaux. Quand é l'vait les châsses, j'y souriais, mais ell' n'faisait pas attention à moi. Une fois, j'ai enhardite à lui dire bonjour : elle n'a rien répondu. Par contre, ça n'paraissait pas lui incommoder qu'j'la contemple. Ça m'f'sait l'effet qu'elle jouissait pas d'toute sa raison, ou bien que la vie lui disait pas grand-chose et qu'son monde, c'était juste une pièce pleine de tableaux d'son vioque, une tapisserie qu'elle aurait d'quoi tisser cent ans et des disques de Tino Rossi qui s'rinaient « Bohémienne z'aux grands z'yeux noirs ». M'rappelle plus combien d'temps j'sus été d'là sorte rôdailler par chez eux, à mater cette merveillieuse gamine. J'r'vois des saisons différentes. Y'a eu l'été, et puis l'automne et aussi des moments qu'j'me pelais les burnes dans la neige et d'autres où les pêchers s'couvraient d'fleurs roses qu'taquinaient les abeilles.

Sitôt qu'on avait terminé un labour, ou bien d'herser, j'laissais mon Vieux filer d'vant, assis su' le cul de Gamin, not' bourrin. On avait une vieille couvrante toute lisse de frottement et de poils à Gamin qui servait à l'monter en âme à zone lorsqu'on allait aux terres ou bien qu'on en r'venait. Bon, tandis que l'papa rejoindait la ferme, mézigue, j'traçais jusqu'à la tour de la Pie. Et j'regardais la fille, et ça m'f'sait du bien et du triste dans tout l'corps. Et j'crois qu' j'aimerai toujours Tino Rossi à cause d'elle et d'ces instants passés d'vant les vilains barreaux de sa croisée.

J't'en arrive le point épique, Marie-Chérie.

Un tantôt, tandis que j'étais là, raide comme un épouvantail par beau temps, une voix m'fait sursaillir.

— Elle vous plaît ?

C'tait la Barbouille, d'retour en inopinance, son chevalard pliab' sous l'bras, d'là peinture verte dans sa barbe, j'm'rappellerai toujours.

J'vais pour me carapater, mais y m'r'tient par le bras.

— Elle est belle, n'est-ce pas ?

J'me branle le chef, comme on dit familièrement.

— Comment t'appelles-tu, mon garçon ?

— Alexandre-Benoît.

— Tu as quel âge ?

— Quinze ans et demi.

— Bigre, tu en parais au moins vingt. Les filles t'intéressent à ce qu'il semblerait. Tu as déjà connu : des femmes ?

Connu, j'pigeais mal ce qu'il voulait en v'nir. Il m'a fait un geste av'c son bras : le signe zob, si t'aurais entendu causer, mon trognon… Bon, j'y étais. Tu parles qu' j'avais déjà connu ! La fille Marchandise, dans l'creux d'un saule, debout ! Alice, la frangine à mon copain Durieux, d'l'épicerie, qui prenait de la bite à tout va dès qu'un garçon lu d'mandait, plus des autres qu'à quoi bon les nomenclater, vu qu'à l'heure où j'cause elles sont mariées et archi-mères d'famille.

— Ben, bien sûr, j'lu réponds, au Vent-Gogues, crân'ment, qu'ça servirait à quoi d'faire son mijoré ?

— Viens !

Et y m'fait t'entrer chez lui. Ça sentait l'huile de lin et la térébenthine, comme à la droguerie du chef-lieu. Il pose son fourbi, tire une clé d'sa fouille et ouv' la porte d'là pièce que s'trouvait sa nana.

Elle se lève d'devant sa tapisserie, arrête le disque et vient l'embrasser à pleine bouche, c'vieux birbe.

— Merveille, y lu fait, allonge-toi sur le divan !

Elle obéit. Y va la rejoind', lu passe la main sous sa robe, remonte. E'n'portait pas de culottes. C'est fou le nomb' de souris qu' j'aurai rencontrées sans slip, au long cours d'ma vie, Marie-Marie. Elle avait un p'tit trésor miraculeux, tout blond, à croquer.

— Viens nous rejoindre, Alexandre !

J'sus été, rouge comme un n'homar thermidor, en marchant au pas de l'oie.

— Tu vois comme elle est belle, Alexandre ?

— Oh, oui, m'sieur ; ça pour êt' belle…

— Touche, comme c'est doux, et suave…

J'n'demandais pas mieux. A c'moment, elle a mise à roucouler comme une colombe, la jolie tapisseuse.

— Elle aime, tu vois. Merveille est une petite biche faite pour l'amour. Tu veux la prendre, Alexandre ?

— C's'rait volontiers, je glapoute, s'lement j'crains de lu faire mal !

— Lui faire mal ? Crois-tu donc qu'elle soit vierge ?

— Oh, non, m'sieur, mais à ce qu'on dit, j'aurais tendance d'êt' bien monté pour mon âge !

— Alors rien ne pourra lui causer un plus grand plaisir. Allons, fais-lui, mon garçon, fais-lui bien.

— Mais…

— Quoi ?

— C'est vot' dame, non ?

— Ne t'occupe pas de ça, mon petit paysan. Fais !