J'sus pas fana du wouisky, t'auras observé, gosse. Pour moi, c'est quasiment un remède. Juste c'que j'lu reconnais, c'est d'éclaircir les idées, le wouisky. J'comprendrais qu'on le vendasse sur ordonnance et qu'y soye remboursé par la Sécurité. La seule vraie boisson, cherche pas, c'est le picrate. Le vin, Marie-Marie, le cher vin. Voilà pourquoi j'ai du respect pour tous les pays qu'en produisent.
La flotte, c'est fait pour naviguer et s'laver le fion, deux points, c'est tout ! Alors, j'te recommande : bois du rouquin, ma chérie, et t'apercevras qu'y 'a pas meilleure façon de faire sa prière.
Ainsi donc, la Claudette revient av'c les baveux dont il me fallait pour capituler l'affaire. Ce Martin Martin, il n'eusse point été scrafé qu'on n'aurait causé de lui qu'dans le Vermot à la liste des députés. Député de Paris, pour comble. Un anonyme, comme qui dirait. Ancien radical relégué à la Majorité. Y fut trois heures ministre de la Marine Marchande sous la Quatrième. Il a un grand fils marié, et médecin. Une fillette d'un second mariage av'c sa escrétaire, car tu peux pas savoir l'à quel point que ça s'épouse en secondes noces, une escrétaire. Si t'aurais le vouloir de marier un riche chmol, mets-toi escrétaire, ma mignonne ; loque-toi de feurst couality et joue les bêcheuses pudiques. T'restera plus que d'attendre que ça biche. La présence continuelle d'un jupon, à moins qu'il s'agirait de la pire tarderie, je défie un mironton d'résister longtemps. Ça lui énerve le sensoriel, tu comprends ? Au début, il essaie de s'permett' des primautés, des charres, des gaudrioles, c'est le moment que la moukère doit chiquer à la fille-sérieuse-qui-crèche-chez-sa-vieille-et qu'a — un — n'idéal — trop — élevé — pour — s'laisser — calcer — sur — un — burlingue. Pour lors, le patron grimpe en mayonnaise. Il décarre dans les cadeaux princiers, les invitations chez Maxim's, les bisous au bout des jolis doigts fuselages. T'reste plus qu'à le ferrer des miches, un soir d'après champ', de première, sans chialer ta peine. T'y vas à l'envapage, momaque. L'abandon de l'instant, bicot les violons et les vaperies de l'alcool. Sors-lui le grand jeu aux brèmes biseautées. Tu te le gloutonnes dans le style égarement de mes sens qui font relâche de trop d'excitation. Le grand don de mon corps z'en folie ! La lyre, le big soleil ! Feu au cul à volonté ! Que ça lui court-jute le mental et la glandaille, pareillement. File-le sur les rotules, vides-y les rognons, démantibule-z'y la fougue plumardière. Que ça devinsse une carpette, t'entends, fifille ? Un vrai paillasson mouillé. Et alors, dès l'lendemain, tu t'reprends, comme disent les bouquins de grand-mère. La démission, très sèche : « Vous, z'un homme marié, m'embraser la cressonnière pour ensuite profiter de ma faiblesse ! Adieu, j'me retire de c'monde de perdisance, je m'engage nonne au Caramel, je vais en Alaska soigner les lépreux, fourbir les paturons aux vieillards dans les hostos d'Afrique, tout ça… » Si tu sais bien piloter ton kroumir, j'lu laisse pas six mois qu'il introduise une insistance en divorce pour te driver, tout chaud tout bouillant, à la mairie de son arrondissement. Plus ils sont riches, plus ils sont faibles du palpitant, ces loquedus, ma grande. Un gonzier qui se croit fort est toujours faible. Sa force ne lui vient que de sa prémonition sociable, c'est dire qu'elle équivale à zéro virgule zéro. Basée sur le bazar habituel des truqueries à la bouffe-moi-le-zob. L'homme qui se promeut s'en va de la vie véridique. Suffit de tortiller un peu des meules devant lui pour que pète son disjoncteur et qu'il surchauffe.
Pour ce Martin Martin, ç'a été ça : l'escrétaire zélée, ensorceleuse, à jupe fendue sur le côté. La collaborateuse indispensable que t'installes d'autor dans tes meubles. Une fois devenue maâme Martin, changement de décor. Bagouze au doigt, la v'là patronne ! C'est elle qui fait chier le cheptel, pour lors. Y'a pas pire engeance que les troufions promotionnés générais. Et comme, au surplus, cette vache à pédale connaît tous les p'tits secrets du gus : ses anciennes gerces, ses pots-de-vins, ses chetouilles, ses mauvaises r'lations, il est coincé définitif, le malheureux. Peut plus remuer un poil sans qu'elle monte à l'essai, la gourgande ; te le drive d'une main ferme. N'a seulement plus besoin de loncher avec. Lui pond un chiare pour se postuler la dynastrie, juste. Qu'alors, cette crêpe Martin adulée du peuple se réfuge entre d'aut' cuissots compatissants. Dans l'eau-cul-rance celles d'une actrice un peu tapée, la Betty Rosier, que tu lis son blaze en province perdue, sur les affiches des tournées Dupaf pour qui elle interprêtre « Poil de Betterave », de Jules Corbeau, ou « La Biche en Voyage », de Monsieur Perrichon. Y achète fourrures, bagnoles, robes et bijoux, payés par la caisse du parti à son fourreau d's'cours. Bonne guerre. Toujours été et sera toujours, tant que le monde sera con, donc monde. La vie…
Curieux que j't'esplique Martin Martin en ce moment. Attends, y'm'semb' qu'on vient…
Non, c'était le vent.
J'ai z'eu chaud de ne pas pouvoir finir.
Mais en fait, finir quoi-ce ? Et à quel quoi bon-ce ? Est-ce que tu seras-t-il plus avancée une fois que j't'aurai bien vidé mon cœur à la louche, et ratissé le fond de mes âmes pour crépir la tienne, mon enfant ? J'voudrais tant et tellement ! A cette minute, tu sais, ma musaraigne bleue, je revois tes petites taches de rousseur qui brillent au soleil, autour de ton nez, et je me sens tout chaviré, ma gosse, tout chaviré par ce bonheur qu'on a z'eu et que j'te laisse finir seule av'c ta tante Berthe. J'le vivais sans savoir, comme si ce serait été naturel qu'on s'aimasse et qu'tu fusses gentille. C'est à présent que j'comprends. Alors, la seule chose que je peuve faire, c'est de bien t'esprimer, escrupuleusement tout ce qui me passe par la tronche. Tout, comme ça se présente. D'ailleurs, j'ai jamais eu d'ordre.
Et puis, Martin Martin, bon. Son bigntz de député. Ses présidences. Ses r'lations publiques et privées. Les banquets, la chasse, le golf pour les journaleux. C'est huppé, comme sport, le golf. Le mironton qui quinquage, fissa il s'inscrit à Saint-Nom-la-Breloque, s'harnache pied et cape et se met à n'causer que de trous comme les fabricants de gruyère. Faut une panoplie pour tous les âges. Il accumuloncelle les cartes de membre, les décorations, les résidences s'condaires ou tertiaires. La fin des fins, c't'un vieux château branlé au fond des campagnes que tu fais rafistoler par les Beaux-z'Arts de l'Hôtel de Ville comme monument hystérique, avec moquette, chauffage au mazout, serrurerie de Bricard. A la santé du contribuable !
Martin Martin possédait son p'tit Versailles comme tout un chacun. Je crois qu'y devait t'être à peu près heureux. A sa gueule, on le voit Si t'as l'occasion, mate une photo de lui. Il crevait de contentement, m'sieur le ministre. Parce que tu sais : trois heures d'un ministère inabouti suffit qu'on t'appelle m'sieur le ministre jusqu'au Père-Lachaise. Sa deuxième épouse vanneuse pour les mondanités, sa comédienne pour le grand t'écart et la gloire pour tous les autres moments. Il était paré. N'importait que maâme Martin-bis soye une adjudante, non plus que la Betty Rosier figurasse au palmarès des vieilles tarderies parisiennes, de celles qui restent les dernières dans les raoutes histoire de sucer les r'tardataires. Les pipeuses-balais, somme toute. Que tchi, pour cézigue-pâte. Il croyait avoir réussi sa vie en pleine pothéose, messire Martin. S'prenait pour un grand duc républicain. L'avait du pouvoir et de l'artiche. Quand t'est-ce il inaugurançait un nouveau groupe scolaire, une petite bougresse le galochait en lui refilant un bouquet. C'est quoi, la gloire, sinon qu'on t'off des fleurs devant des caméras ?
Un ruban tricolore, c't'un bon bouclier, t'sais, Marie-Marie.