C'est la vie.
La cartomenceuse, à la Martin, ell' d'vait lui réclamer le beau pactole, à la manière qu'elle a duré, leur conférence astreuse. Elle n'lu plaignait pas l'embellie, c'te bourrique. C'était nettement l'bigue jeu, av'c le riche financier d'trèfe, la frivole dame de cœur en chaleur, celle de pique, nocive à pas y croire, et l'val'ton de carreau, doux facteur aux yeux de pédoque, qui ram'nait dare-dare la joyce nouvelle qu'allait tout changer au destin de médème. Un vrai beurre ! Moi, l'av'nir, ça n'm'a jamais tenté. Je me l'ai toujours fabriqué soi-même, à la fortune du pot. L'tout fut sans doute un rien biscornu, mais y n'doit rien t'à personne, si bien que je te vas mourir prop'ment, pour solde de tout compte, comme y disent à ma banque où qu'j'laisse traîner trois ronds, de-ci, de-là, pour dire d'avoir un carnet de chèqu' et l'air de m'en servir.
Pendant les déconnages d'ces pauv' femmes, je phosphoraissais tant et plus, et y m'venait un sentiment d'plus en plus bizarre. J'pourrais pas t'espliquer, Marie-Mon cœur. Non, j'pourrais pas. C'qui m'turlupinait, c'tait l'silence au téléphone. Qu'les salop's men qu'avaient tubé t't'à l'heure ne rap'lassent point m'disait rien qui vaudrait. J'pigeais pas qu'ils prissent du temps à s'décider. Ou alors, ça signifiait qu'y chocotaient et, pour l'coup, j'flambais plus, rapport à la môme Martine ! Si é s'f'sait étendre, ç'allait être ma fête. Pas au niveau d'mes supérieurs rachitiques, mais à çu d'ma conscience. Dans not job', on la muselle autant qu'on peut, c'te garce, mais quand y'a rien à fiche, c'est ses gueul'ries qui nous infectent mieux.
Je balançais ent' deux conduites.
Ou bien j'restais à tome pour visionner la suite.
Ou bien j'poursuvais mon enquête.
Et, dans la logique du chose, c'était quoi-ce, poursuiv' mon enquête ?
Ecouter les protangondistes d'là vie à Martin Martin, non ?
J'avais débuté par sa vouaillefe, fallait continuer par sa maîtresse, la fameuse Betty Rosier.
Alors, j'n'ai fait ni une ni trois.
Poum ! Le bignou !
Où j'vois les progrès d'ma vie, c'est l'téléphone. La terreur qu'y nous inspirait, aut'fois, et la manière que j'm'en sers bien maint'nant : comme d'un vélo ou d'une fourchette.
En brousse, tu penses, d'nos jours encore, c'est une denrée positiv'ment ignorée, l'bignou. S'en servir c'tait un vrai ramadan. Aussi, j'm'rappellerai toujours d'mon premier coup d'turlu.
Il a consécuti au décès de Gracieux Bozon, un grand-onc' de maman qui t'nait le grand bazar du centre au chef-lieu. Un tantôt, le fils au facteur nous apporte un télégramme : « Tonton Gracieux décédé ».
Maman pleure un p'tit coup, par politesse, car franch'ment, l'oncle Gracieux n'méritait pas son prénom et y'avait pas plus teigneux qu'cézigue. Et puis on s'met en quête pour les funérales. Fallait savoir quand, où, comment. Mes parents concertent, tous les deux, et puis décident d'téléphoner au bazar du centre pour savoir. Papa, ça l'effrayait, le bigophone. Y'n's'en était jamais servi, m'man non plus. Et les deux décident que c'est moi qu'je dois t'aller à la poste pour. J'avais pas quatorze ans, j'crois bien. Attends : l'onc' Bozon est mort la même année qu'Brunette, not' vache rousse, qu'avait trop bouffé de luzerne fermenteuse et qu'on a dû abattre pour faire boucherie. Oui : j'avais quatorze ans puisque je passais en première division du cours élémentaire.
Moi, c'te mission, j'rechigne. Téléphoner ! Un gamin ! J'les suppliais de n'pas me faire ça ; mais y sont été intraitabes, mes parents :
— Faut qu'tu t'apprennes, Sandre ! Pas encroûter comme y'en a, surtout déluré comme t'es. Et pis la postière t'espliqu'ra.
Bref, y'a fallu que j'alle.
Maâme Courjus, la postière, était une personne bien servable, aimable et tout. D'originaire méridionable. Très brune d'peau, avec une légère moustache. Et boulotte comme deux pommes l'une su' l'autre. Sympa.
C'est elle qui m'a cherché l'numéro du grand bazar du centre et qui m'l'a d'mandé, œuf corse.
Quand t'est-ce ça a sonné, j'ai cru qu'j'allais dégobiller d'émotion, tellement qu'j'redoutais de d'voir m'espliquer dans c'redoutab' appareil.
— C't'à toi, mon p'tit Sandre ! é m'lance, maâme Courjus. Ent' dans la cabine et décroche !
J'ai t'entré, décroché. Et pis v'là que ça s'met à faire « Allô ! » dans la passoire et qu'mézigue, j'en ai la gargante solidifiée comme si elle s'rait en béton. Pas mèche de jacter. Mais alors la panne sèche : pas la plus p'tite broque.
— Eh ben, cause ! que m'hurlait la Courjus.
J'eusse voulu que le plancher d'là cabine fusse une trappe et que j'escamote dans des oubelillettes. T'as déjà vu un gibier coursé qu'a pu d'souff' et qui s'ratatine dans un creux d'buisson ? Moi !
N'entendant rien, la postière quitte son guich'ton et s'pointe jusque z'à moi. Elle m'voit, tout blafard, que je tremblais en t'nant le combinard à la main.
— Mais qu'est-ce tu fabriques, Sandre ?
— J'ose pas, j'lu dis.
Elle sourit, hausse les épaules et entre av'c moi.
— A qui qu'tu veux causer ?
— A ma tant' du grand bazar qu'le mari est mort, pour savoir l'heure d'là sépulture.
Elle me chope l'écouteur des doigts, la Courjus. Et elle s'met à causer. J't'ai dit, méridionable comme ell' s'trouvait d'êt' elle avait la menteuse huilée à l'huile d'olive, et la v'là qui met à bavasser, à condoléer, tout ça, à d'mander le comment qu'il avait cassé sa bouffarde, tonton Bozon. Et c't'infracstructure du myocarme, la façon qu'elle lui avait prise, ce qu'y l'avait dit avant d'canner, le pauv' homme. L'temps qu'il avait eu d'se sentir passer et d'dire ses recommandations, tu voyes l'genre. Brèfle, ce qu'les vivants aiment apprendre au sujet des morts, quoi. Ça taquine la curiosité, un mort. On veut savoir si ça s'est bien passé. Et tandis qu'elle papotait, la Courjus, moi j'avais ses grosses miches sur la cage à serin. Et tu parles qu'j'allais pas rater une occasion pareille de goder à bloc. Au début elle s'a pas rendu compte, not' postière. Elle croilliait p't'être qu'j'avais du contondesque dans la fouille, qui gênait : une clé anglaise ou autre, alors elle trémoussait son valseur, pour dégager, mais au plus qu'é r'muait, au plus qu'y dilatait, Nestor !
Coincé dans l'ang' du fond d'la cabine, j'te lu poussais un cric qu'aurait soul'vé une locomotive, tant qu'à la longue, ça l'intrigue, maâme Courjus, et qu'elle avance sa main lib' par-derrière, pour en avoir l'cœur net. Et moi, soucieux d'là renseigner, complèt'ment envapé, je dégage mon n'hallebarde et la lui flanque dans la main. Ou, pour êt' franc, j'lu mets la main autour. Elle presse. Elle s'tait. Tatan Bozon jactait toute seule, d'puis l'chef-lieu. Elle chialait plus. Les veuves, elles chiaient au début et à la fin d'sa conversation, jamais dans l'milieu ; bien trop p'accaparées à raconter.
La pauvre postière, la v'là qui dégage sa pogne comme elle aurait chopé un pique-feu brûlant. J'ai cru qu'é l'allait raccrocher et me tartiner la poire. Elle a failli. Et puis, son empire sur elle-même l'a reprise, et elle a continué d'parler en t'nant le combinard des deux mains. Bon. Moi, un moment, j'décont'nance, m'demandant si y'aurait des conséquences. Mais toujours ce gros fessier, en guise de cataplasse, j'tenais pas.
Alors j'lu soulève la jupaille à maâme Courjus. En douce. Et j'avais l'guignol qui m'voulait sortir d'dedans. J'me disais qu'il allait filer par en haut ou en bas, mais m'quitter. Pourtant j'continuais, tant pire pour les conséquences. Sûr que je l'aurais, ma tarte, après la communicance. Et qu'elle affranchirait papa à propos d'mes meursses abominabes pour un gamin d'quatorze piges. M'en foutais.
J'l'ai troussée. Elle efforçait de continuer la converse avec tatan Bozon, seul'ment le cœur y'était plus. Elle d'mandait du bout des lèvres si mon onc' avait déjà eu des sintômes prémilinaires par le passé. T'tan lu répondait qu'non ; j'entendais dissinctement sa voix dans la cabine.