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A propos de ruban, va falloir que j'retourne çui du mégalophone qu'arrive à dame.

Tu m'escuseras ?

— FACE 2 —

Ça y est.

Je viens de regarder dans le tiroir : c'est bourré de bobines vierges. Si on me laisserait le temps, je pourrais te tartiner jusqu'à la saint Trou. Tu voyes pas qu'je finis orateur, mine de rien, à force ? Y'a qu'la première bave qui coûte. C't'en causant qu'on devient blablateur : un mot tire l'autre et tu dévides ton moulinet sans seulement prendre garde aux pensées qui en sortent. Tous les n'orateurs sont des espèces de plongeurs. Ils piquent une tronche dans le flot des mots : plouf ! Et puis y nagent. C'sont des papillons qui font la brasse. Et on leur crie bravo.

Moi, de c'moment, personne me crie bravo, sauf ma conscience, gamine. J'démène, j'démène à blanc. J'entends pas d'applaudissements, rien qu'ma voix. Et, te dire si c'est con : elle m'intimide, comme si j'la reconnaîtrais plus, que j'ne l'eusse jamais entendue pour d'bon. Not'voix, à soi, j'la compare à l'œil qui matait Caïn une fois qu'il a eu sulfaté son frelot.

Tandis que je tripatouillais ce mégalophone pour mett' la bobine à cuire sur sa face cachée, un truc carabiné m'est apparu, consécutivement à mon déblocage de la première, un truc que p't'être bien tout en dépend. J'vais te dire sans plus attendre Y nous est arrivé quéque chose de pas ordinaire, à toi, moi, Santonio, le Vieux, Berthe et nos potes, la famille, la crémière, le clodo du square, la concierge, toutim et tant d'autres que la liste est impossible. Quéque chose, ma petite miette, qu'est inarrivable à un Allemand, un Angliche, un Russe, un Arabe, un Jap ou un Ricain ; à peine ça serait envisageable pour un Rital, un Belge ou un Suisse, sauf cas sceptionnels.

Quéque chose de réellement médusant si t'y songes. Quéque chose qu'on est tellement habitué qu'on n'y fait plus attention. Et pourtant !

C'qui nous est arrivé, Marie-Marie, à toi, moi, nos potes et compatriotes, c'est qu'on est français.

C'est con à dire, tellement que c'est simple et évident. Mais n'empêche que, quoi qu'on fisse jamais, on restera français. Français…

Je me répète… J'écoute ma voix que j'reconnais pas… Français. Oui : français. C'est plus confortable pour crever. On canne en ayant mieux ses aises. Et pourtant, nom d'Dieu, y'a pas de quoi se fout' la queue en trompette quand on y songe. Oh là là, ce pacsif de défauts, mon n'veu. Ces avaries ! Ces sacs de nœuds ! C'te couennerie monumentale ! Vanneur, hâbleur, sale con, rouscailleur, cul étroit, gueule-en-pente, bousculeur, cocu ! T'as qu'à laisser la vanne ouverte pour que te dégoulinent les espressions propriées. Cocu, surtout. Le Français, c'est sa principale étiquette. Cocu ostiné. Cocu sur tous les plans. En politique, en sport, en affaire Claustre, en mornifle internationale, en gaullisme, en long, en large, en merde ! Co-cu ! Et fier d'y être ! Sa force, c'est ça : satisfait de son cocufiage. L'espression « cocu content », elle est françouze, ma puce, cherche pas z'ailleurs. Ailleurs, elle resterait incompris. Qu'un paquet d'embrouilles surgit quéqu'part, et tu vas le voir monter à l'assaut, le Franchemane, plonger dans la mêlée et en ressortir triomphant, avec la balayette merdeuse dans les pognes. Quand, dans le monde, un coup foireux se prépare, vite il joue des coudes pour en être absolument, ce tordu. Il marque contr' son camp chaque fois qu'y peut. Il agite son mouchoir d'là côte lorsqu'on lui chourave ses vedettes de guerre à son nez et barbe. Dans le cul, toujours ! Pas pédoque de nature, mais il raffole l'avoir in tze babe véri profondeli. N'importe qui, tout le monde : entrez v's'êtes chez vous. Dans le cul, pléase ! Gênez-vous pas ! Il a le fion en forme d'hangar. Son recteur est un centre d'accueil. Un gland qui traîne ? Vite, vite, vite : au chaud ! Jamais rater une occase de se faire miser. D'I'avoir dans l'oigne. Au plus qu'il prend de la bite, au plus il est sûr-certain d'être le mec le plus intelligent de la planète. Il croye avoir un cerveau monumental, l'Français, alors qu'il n'a qu'un énorme cul. Son prose, c'est le vrai fourre-tout. Il y colle pas seulement les pafs en dérive, mais ‘galement ses idées, son avenir et son passé. Tout, quoi. J'ai dit hangar ? Vaudrait mieux silo ! Le tout grand magasin, son cul. Siège de son intelligence, d'sa culture. T'as tout dans son fion : l'invention de la rage par Pasteur, le Palais de Versailles, les z'halles de Rungis, le pétrole algérien, les zœuvres complètes de Victor Hugo, la rente Pinay, le Marché Commun. En vrac ! Hop ! Bourrez, bourrez, c'est pas la place qui manque ! Le roi des cons, j'te dis.

Y'a qu'une chose qui l'repêche un brin, le Français : il est français.

Comment t'espliquer, petite ?

Attends…

T'es née en plein gaullisse, mon brin d'amour. Ce qui revient z'à dire qu'quand t'as ouvert les châsses, le Grand drivait le barlu France. Le vrai (l'autre, il l'inaugurençait, lui fracassait une quille de champ sur la coque, on pensait pas le fout' si vite au remblai). T'as donc pas connu, aut'ment qu'dans tes emmanuels escolaires, la France d'autrefois jadis. Tu t'pensais que ça baignait dans l'huile d'amande douce, l'État, les affaires, l'argent. La mano dans la mano, olé ! Y'avait Monseigneur Charly, av'c son pique-bise arodynamite, son coup de menton galocheux et sa belle voix mouillante qu'on comprenait plus ou moins, mais qui t'filait son jus. Il gérait la cabane, Mon Général. On savait qu'il chourraverait pas la caisse, que l'artiche c'était pas son blaud, à cézigue. Il gardait la tronche dans les étoiles, Messire Charles Onze, alors on s'en remettait à son vouloir. Y f'sait sérieux. Traitait les Français de veaux, mais prenait pas la France pour une vache. Dans le fond, y voyait juste, je m'aperçois av'c du retard, en bon Françouze que je. Sa force, c'est qu'y savait que la France est formidable, mais que les Français sont des lavedus, des moudus, des troudus. Alors y'n's'occupait qu'de la France. Depuis lui, les successeurs essaient de s'occuper des Français, ce qu'est peine perdue. Et c'est la France qu'en pâtit !

Faut que je te raconte la manière que je lui ai fait la connaissance, à de Gaulle.

C'était quéque temps après la Libération. Déjà, gouverneur provisoire, il avait la marotte des voyages, le Grand Françaises, Français, ça lui démangeait les brandillons.

Ses potes généraux, je cause des vrais, se contentent d'faire la tournanche des popotes, lui, c'était des préfectures. Il venait te je-vous-ai-comprendre à domicile. Balcon de l'Hôtel de Ville. Vive la France ! Tous en chœur ! Haut les cœurs ! Et ça rassemblait vilain sur les places. Marées z'humaines. Z'humides. Vive de Gaulle ! le libérationneur !

Moi, j'étais gamin à l'époque. Mais costaud, f'sant beaucoup plus qu'mon âge, vu que mes vieux c'étaient déjà des gabarits du genre et qu'ils m'ont pas élevé au jus d'endive, espère.

Pendant l'occupation, le soir, je cicognais not'vieux poste afin de choper London. Les Français causent z'aux Français ! Pour capter, fallait pas avoir les portugaises cachetées. Ça nous excitait, le brouillis. Si ç'aurait t'été auditif, je parie qu'aurait pas eu trois pelés pour esgourder les messages de Londres. Le Grand, moi je lui louais un vrai culte de gosse, tu peux pas savoir. Mes Vieux, ça les f'sait chier. M'man, parce qu'elle redoutait qu'on fusse délationné aux Allemands et p'pa, parce qu'il aimait bien le père Pétain que sa moustache blanche et son front calvitié l'inspiraient confiance. Son Vieux, à mon Vieux, avait t'été un n'héros de Verdun, gazé, médaillé, blessé et tout, le vrai Français, quoi, pur jus de pomme ! Pour lui, le Ch'min des Dames, y n'passait pas à Pigalle, croye-le bien. Il chialait, pépé, en racontant ses batailles, les soirs d'onze novemb', quand y rentrait, cointché à bloc, après avoir numéré les blazes à ses potes sur le monument, entre deux conneries de clairon. Y s'étranglait en annonçant çui de son frangin : « Germain Bérurier ! » Et nous, les enfants des écoles, on glapissait en se poilant : « Mort pour la France ! » Tout ça… Loin, non ? Mort pour la France ! Aujourd'hui, j'me demande si c'était vraiment pour la France. Mais quoi, après tout… Hein ? Que ça soye pour la France ou pour le frifri d'Adèle, mort il était le Germain Bérurier : un éclat d'obus dans le cigare, tu parles d'un pense-bête ! Il en a produit des pissenlits, depuis lors, avec sa grande gueule de con tellement conne qu'on n'voyait qu'elle sur nos photos d'famille. Faut dire qu'il louchait sec, le gueux !