Et su' mon oreiller, une courte bafouille de ma bonne femme :
« A ce point, je te croyais tout de même pas. Va vivre avec cette personne puisque t'es aussi dégueulasse qu'elle. Adieu pour la vie. Ton ex-Berthe. »
Oh, pardon ! C'retour au carbuto, mon lapin ! Ce tourbillon dans la fosse à merde !
Juste à c't'instant, le téléphone sonne : Bozzola !
— Tu as été parfait, il chuchote. Nous allons recommencer dès qu'elle sortira de la salle de bains, tu veux bien rappeler et continuer ?
Il raccroche.
Mets-toi à mon emplac'ment, moustique. J'rendais service à un ami, et par méprisance, mon épouse me quittait ! C'est dur ! Ça t'chahute le moral.
Aussi, plein de rage ressentimeuse, je rempogne mon bigophone et…
D'Dieu : la bande !
SIXIÈME BOBINE
— FACE 1 —
C'est curieux : j'vois plus personne. J'm'demande quand t'est-ce y m'buteront et pourquoi qu'y z'attendent. Note, j'sus pas pressé. Chaque minute compte, chaque seconde. La vie, c'est pas tout à l'heure, mais tout d'suite. C'est pas demain, mais maint'nant. Les gens sont nœuds dans l'genre. Y'n'profitent pas. Y gâchent le temps. L'usent à attendre qu'y soye passé, tu saisis ? La plupart vit que dans la fonction d'un machin qu'y z'ont prévu et ils poireautent av'c impatience jusqu'à ce que ça vient. Et quand ça vient, bon, bien, y traversent c'moment prévu, comme un chien d'cirque son cercle de papier, hop ! Et finito, y s'retrouvent tout désorientés de l'aut' côté du cerceau, sans plus savoir où sauter à présent, cherchant déjà un aut' cerceau. Parole !
C't'un machin, l'présent, que je voudrais dire à ceux qu'ont une grav' maladie, un cancer par exemple. J'aim'rais leur expliquer mon n'opinion parce que j'sais qu'il est bon. Y z'apprennent qu'y viennent d'morfler un chouf' et du coup, c'est l'atterrement : y se jugent foutus, maudits. C'est la glaglate noire, l'arrêt de leur eguesistence. Z'ont la certitude qu'y font plus partie des autres, qu'y sont d'venus à part. Merde ! Oui : merde, j'crains pas de leur déclarer en face. Un cancer, c'est, tu sais quoi ? Une aventure ! Une grande aventure. Une occasion qui t'est offrie d'envoyer l'destin s'faire fout'. Si t'en veux pas, t'en veux pas, bordel ! T'es maît' de décider, non ? Çui qu'afflige, qui désespère, c'est qu'il en veut bien, qu'il acepte, Çui qui use son n'énergie à désespérer, il lu reste ballepeau pour lutter. Tu n'peux pas faire l'un et l'aut', impossib' ! Un cancer, j‘veux courroucer personne, ou alors les cons, tant pis, un cancer : c'est l'présent qui t'tend les bras. C'est enfin la s'conde qui s'met à ressembler à quéqu'chose. C'est la vie qui vit, quoi ! La vie de tout d'suite. Et tout d'suite, quand t'es vraiment installé d'dans, ça dure, putain d'Dieu ! Tout d'suite, ça n'en finit pas, parce que c'est ça, l'éternité : tout de suite. Pas t't'à l'heure, hein ? TOUT D'SUITE ! Un gonzier solid'ment planté dans l'immédiat, l'av'nir, il peut l'voir venir. Il est paré pour l'accueillir puisqu'y n'cesse pas d'un moment à l'autre, d'un maintenant à un plus tard. Tout est lié, tout continue, solide, bien plein. Y'a pas de trous pour les courants d'air du désespoir. Ton chouf', tu lu pisses contre. Tu lu dis non une fois pour toutes. Non et non ! Allez voir plus loin si j'y s'rais ! On a déjà donné à la Croix-Rouge ! J'ai à faire, moi ! D'aut' trucs plus accaparants à fouetter ! V'nez pas faire chier l'monde à pareil âge ! Et tu l'voiras s'débiner, ce vilain camarade. Lâcher prise, pas fiérot. Chercher d'aut' poires lamenteuses pour aller y jouer les cracks invincibles. Là, j'dis pas en l'air, croye-moi. J'ai vu de ma visu des cas. Ma meilleure potesse, tiens, qu'il a voulu lu taquiner l'nich'mard. Ma doué, sur qui y s'était branché, l'frère ! La sérénade qu'é y'a faite, la Madelon. Elle est pas été lu servir à boire, j'te garantis. Faut dire qu'c't'une gonzesse qui s'en laisse pas compter, ou alors, elle compte av'c toi ! En quéqu' s'maines elle l'a eu fait sa fête, à Césarin. Dehors, tout d'suite, ‘spèce de p'tit con ! Et poum ! Terminate. A l'instant que j'te bonnis, elle vide sa boutanche de Château Pétrus en fumant un cigare gros comme ma bite !
Et pas qu'elle ! Ah ! mais que non ! Des chiées d'autres qu'j'pourrais dresser la liste. Des zigs qui sont bonne pâte mais qu'y veuillent pas êt' pris pour un con par l'premier cancer v'nu.
Y faut l'sursaut immédiat, catégorique ! Et si par hasard y l'insiste, s'il t'a trop eu, déjà, à la sournoise et qu't'es marron, Mouflette chérie ; s'y s'est planté, le vilain arbre, en t'foutant ses racines partout tellement qu'on n'peut plus les arracher, alors écoute : tu l'ignores. Comme les Trivier (tu sais, la vieille qui pissait d'bout en r'venant d'là messe ?) qui n'causaient plus d'puis des générations à leurs voisins mitoilliens ; pareil qu's'ils auraient pas existé. Comme s'ils fussent d'venus t'invisib' ou transparents ; comme s'ils étaient rien, voilà.
Tu fais comme s'il était rien. Rien ! Et tu continues ton ch'min en père turbable. Tu vis. Au présent ! Comme moi en c'moment. Moi qu'en somme un cancer s'rait un luxe puisqu'il est probab' que j'finirai pas la journée.
Mais j'voudrais t'reprendre. J'ai c'te sale manie d'décrocher quand j'change la bobine. Et j'vais pas r'tirer celle-là du four pour récouter la finale d'l'aut'. J'te parlais d'Bozzola, hein ?
De son avocate… Berthe qu'avait mis les adjas… Lui qui m'redemande une ration de saloperies… Go !
Faut m'imaginer, ma pauv' chérie, dans la peine d'c'te méprise à tante Berthy qui m'croivait pernicieux, fin salaud dépravationné, tout ça. Moi, seul des ormeaux au berthe-caille, attendant son r'tour hypothéqué.
Bon, je refais le numéro d'là menteuse.
Elle décroche.
— Allô ? je gazouille.
Et déjà, mon pote d'vait lui fout' la s'conde face de ramone-moi, parce que tout d'sute, elle s'met à grabouiller des « agrrr agrrrr » ensuqués, c'te rombière. Alors, moi, diabolo, j'me fais un ton pour adjoint t'au maire procédant à un grand mariage et j'lu dis :
— Mad'm'selle Gisèle, vot' conduite est un qualifiable. J'vais d'ores et n'avant, en informer l'bâtonneux, l'garde des sottes, le suce-titube, le pauv' cureur d'là république, tout ça, sans parler des journaux, naturellement, qu'auront droit à l'enr'gist'ment de not' première conservation. Vous d'vriez à voir honte, d'êt' perchée au barreau et de vous livrer à ces déprédations av'c un minus comme Bozzola. V's'êtes qu'une malheureuse fille dont les sens vous hagardent. Si v's'riez catholique, c'que j'doute à la manière qu'vous comportez, v'devriez tout'd'sute réciter une prière, non pas vous laisser miser par un p'tit zob d'sous-préfecture comme j'imagine çui à Bozzola. Allons d'bout, malheureuse z'enfant, et à g'noux pour d'mander au Seigneur Jésus la récession d'vos péchés.
Puis j'ai raccroché.
Ma pauv' loupiote ! Ah ! ça n's'est point fête à tendre. Le turlu s'est mis à r'tentir. J'voulais pas décrocher, me gaffant bien qui c'est-il qu'appelait ; mais il sonnait féroce. Et pis, après tout, y pouvait s'agir de ma Berthe.
Tu penses qu'c'était bel et bien mon pote.
Pas méchant, pas furax ; tout contrix !
— Mais que viens-tu de lui dire ? il murmure. Mon Dieu, Bérurier, que lui as-tu dit ?
— Pourquoi-ce ?
— Elle rit comme je n'ai jamais vu rire personne. Elle se tord sur le lit. Tu ne l'entends donc pas ?
Il a dû brandissionner l'appareil vers la Gisèle car fectivement, sa marade m'est parvenue, à l'avocate. Des grandes gloussées d'pintade folle. Des cris désarticulés. Elle jouait les Hauts-de-Hurlements à plein registre.
Et l'aut' Bozzola, que le panais d'vait flétrir, continuait à m'bredouiller :