Le palpitant m'cigognait quand j'ai cogné à la porte d'là dame Mouillet, en haut. J'intimidais fabul. C't'ait un endroit aussi privé que t'aurais dit l'Elysée, l'appart'ment du maître. Personne y foutait jamais le pied.
La v'là qui vient m'ouvrir.
J'ai idée, cette femme, qu'elle s'traînait une cosse monumentable. Songe un peu qu'à onze plombes du mat', é l'était encore en c'h'mise de noyé, av'c une longue jaquette d'laine en guise d'robe d'chamb'. Et les tifs pas coiffés qui lu pendouillaient su'les épaules. Et j'sais pas quoi d'mollasson dans l'regard. En tout cas, elle avait une paire de nichons copieux. Un peu dévaleurs sous l'tissu de la roupane, mais qui m'séchaient la gorge. Et son parfum me crépitait sous la peau. Ell' sentait l'lit chaud, la femme.
La v'là qui m'considère d'un air étonné.
— Que veux-tu, garnement ?
— C'est m'sieur Mouillet qui m'a dit de monter vous lire mon pouèm'.
Elle chope le calhier qu'j'y tends. Elle lit, sans sourire ni rien, comme tu lis l'étiquette d'un médicament. Me rend le calhier. Ses yeux esprimaient du vague, juste du vague, comm' d'habitude.
J'osais pas allusionner à propos du biscuit, bien que ça m'eusse eu tenté de bouffer un biscuit du maître, pas en tant que biscuit, mais en tant que tel, comme y disent à la tévé.
— Viens un peu par ici, elle me fait.
Bon, la v'là qui reclaque la porte et m'entraîne dans sa chambre en grand désordre, comme quoi, je voyais juste : elle avait un poil dans la main, la p'tite madame Mouillet. Et on racontait que Mouillet f'sait lu-même la cuistance après la classe. Et la vaisselle ensute, tout ça…
Elle s'assoye au bord du lit.
— Dis donc, elle me fait, je t'ai vu, l'autre jeudi, dans le sentier qui longe le ruisseau, avec ton ami. C'est du beau.
Putain d'Adèle ! Si j'm'attendais que les choses tournicassent d'là sorte. C'est ben pour dire, la vie : toujours l'inattendu qui s'produit et te dépourve.
Elle m'avait vu, moi et mon pote qui s'filait des petites pierres blanches sous la peau du zob !
J'en suis demeuré absent de malheur.
Pourtant, l'espoir me pointait que, si elle avait encore rien dit, é n'dirait p't'être rien. A moins que l'coup d'mon pouème m'eusse remis dans sa mémoire ?
Elle me sourit.
— Ne crains rien, polisson, je n'en parlerai pas à Mouillet.
— Merci, j'ai soupiré.
Elle me tend la main.
Je tope. Au lieu de toper, elle m'attire à elle.
Et très bas, très bas, elle me dit :
— D'après ce que j'ai pu voir, tu es un phénomène.
Tu penses, déjà, j'la connaissais la musique.
— Oui, m'dame, j'sais : j'sus monté comme un âne.
— Tu veux bien me montrer pour moi toute seule ?
Facile. Elle était flemmarde mais obligeante, maâme Mouillet, à preuve : elle m'a elle-même estrapolé Popaul du tiroir. A peine il était dans sa main tiède, mes aïeux, comment y f'sait le beau !
Elle le caressait doucement en murmurant :
— C'est pas croyable. C'est pas croyable : un gamin !
Puis, d'sa voix chuchotrice qui m'portait aux sens, elle a demandé :
— Tu as déjà fait l'amour ?
C'tait gênant pour une question, non ?
— J'sais pas si on peut y app'ler comme ça, m'dame, en tous les cas j'ai déjà biqué, oui.
Elle s'est renversée sur le lit.
— Fais-moi !
La chère dame ! J'd'mandais pas mieux. Elle s'est retroussée en remuant les reins. Elle avait des cuisses ultra-superbes, maâme Mouillet. Elle dirigeait mine d'rien les z'opérances. Mais quand y'a fallu supprimer les intermédiaires, et qu'on soye l'un à l'autre, ça bloquait.
— Je suis trop étroite, elle soupirait.
Elle s'est levée, d'une détente, a couru dans sa cusine, et quand elle a r'venue, sa main droite cont'nait une grande ploque de crème à raser en plein moussage.
Dedieu de Dieu, l'effet qu'ça m'a produit quand elle m'a promené c'te drogue légère et tiède su' le mât d'Gascogne. La mousse à raser du père Mouillet ! Je pénétrais vraiment dans ses intimités, on pouvait dire, non ?
Dès lors, y'a plus n'eu aucun problo. C'est pour ça que j'sus en m'sure de garantir, que dans les cas d'ce genre, une savonneuse est prépondérante.
En r'gagnant la classe, j'avais l'impression d'avoir été sacré roi de quéqu' chose. Le maît', j'le considérais av'c des daims, doré de l'avant. De songer qu'j'en avais une bien plus mahousse que lui, et que j'avais utilisé sa crème à raser sans qu'y s'en doutasse jamais, merde, ça m'f'sait un effet !
A dater, j'l'ai plus jamais r'gardé comme au paravent, l'père Mouillet. Y'n'm'effrayait plus. Même s'y prenait son air teigneux, j'lu sout'nais l'regard, hardiment. Et, j'sais pas, mais l'existe une phénomène qui fait sentir aux aut' ta supérieurité ; à preuve : y n'm'a jamais plus puni. On aurait cru, tout à coup, qu'y m'craindait, ou plutôt m'respectait, comme si ma queue d'âne s'était mise à jouer un rôle dans nos r'lations.
Le vilain barbu à la Betty Rosier, y m'détoisait méchamment. Puis il a grom'lé à sa vieille :
— Qu'est-ce qu'il raconte, ton gros copain, avec son histoire de savonneuse ?
— Suis ses conseils, c'est un homme d'expérience, a riposté l'acteuse.
Et toc, bien envoyé. D'vant tout l'monde : poum !
— Si vous auriez d'là crème à raser et d'l'eau tiède, j'déclare, vous lu pratiquez une chouette lotion verginale au prélavable du tournage, et vous verrez l'résul'tat.
— Essayons toujours, a grinché l'aut'.
L'accessoireux s'est r'mué le derche pour trouver c'qu'il fallait. C'tait pas la première fois que je fréquentais su' un plateau d'cinoche. Y'a une chose dont j'ai toujours admiré, c'est la rapidité qu'les régisseurs et leurs aides s'procurent la chose qu'a besoin l'metteur en scène. N'importe quoi, y l'obtient dans les minutes suvantes, c't'homme, comme s'il s'rait le bon Dieu.
La Rosier, pendant qu'on allait à la crème Palmolive, elle s'inquiétait du scénario, vu qu'ça la turlupinait d'pas jouer dans l'film. Y commençait à s'faire vach'tement tard pour elle, question boulot. A part des dames patronages ou des directrices d'pensionnat, on lu trouvait plus grand-chose dans ses cordes, au cinéma. É f'sait une dame d'là Haute dans un salon, ou bien su' un champ d'courses ; des fois aussi, une gouvernante d'maison d'couture, mais ça n'lu m'nait pas loin, ces panouilles. Ell' s'en contentait pourtant, afin de pas qui soye dit de dét'ler. Pouvoir dire à ses potesses, au thé chez la marquise : « Mon film, mon réalisateur, ma maquilleuse », tout ça qui la fiche si bien dans une converse entr' fumelles.
Alors, Xavier, malcontent, rouscailleur, entr' deux engueul'ries aux gensss du plateau, y lu f'sait un papier d'son chef-d'œuvre : un officier français en mission à Tahiti ou autre, l'pays était point précisé, tombait amoureux d'une moukère bien salingue. Y la ram'nait en France, son séjour fini, l'épousait et puis s'produisait un fâcheux accident d'bagnole qui lui privait l'usage du paf, c'pauvre militaire. Pendant un temps, y pensait lu r'valoir son impussance en lu babiolant le frifri ; et j't'groume, et j'te carre ce qui m'tombe sous la main comme produit d'remplacement ; matraque d'C.R.S., robinet d'tonneau, carotte primée au comic' agricole, étui à cigare, tout ça. Mais la fleur d'Banania c'est pas av'c un coton-tige qu'tu l'apaises l'sensitif. Les bricol'ries d'son soldat, si j'oserais dire : é s'en tamponne. Lu faut du matou d'première, de la belle biroute vivante et bien fraîche. Alors ell' s'met à débraqu'ter tout ce qui lu passe à portée d'chaglatte. Elle devient un vrai véritab' piège à zobs. Te les rafle d'un geste, comme un gamin chope des mouches déjà sonnées par une plaquette Vapona : zoup ! Par ici la bonne soupe ! Rien dans les mains, rien dans les poches, tout dans l'prose !