— Ben, oui. Pourquoi ?
— Et vous, v's'êtes qui donc ?
— Pourquoi me questionnez-vous ?
— Parce que je suis de la police.
On a z'eu un p'tit temps creux.
— Comprenez, m'a dit la blonde, je ne refuse pas de répondre à vos questions, mais j'aimerais savoir ce qui les motive ; c'est mon droit, non ?
Leurs droits !
Y'n'pensent plus qu'à ça, d'nos jours.
Oh, fichtre pute, encore cette bande !
— FACE 2 —
Oui, j'disais : leurs droits.
C'est marrant, quand j'tais chiare, on n'me causait jamais de mes droits, mais seul'ment de mes devoirs. A présent, tout a changé. Un mouflet, dès qu'y peut piger, on l'esplique qu'il a une chiée infinie d'droits, et qu'y doit en profiter, pas s'laisser plumer. Qu'il a droit, à dix-huit piges, d'dire merde à papa et d'lu montrer son cul si l'vieux voudrait faire valoir. Qu'il a l'droit d'avoir le droit. L'droit d'exiger. L'droit d'laisser vadrouiller ses instinctes. L'droit d'rien foutre, et bien d'autres. Tous les droits. Voilà, ça c'est ce qu'on lu rabâche. Ses droits d'locataire, de malade, de français, de citoilien, d'enc… de frais. Alors tu penses qu'il fringue, le gus ! Y n'sait plus qu'en fout' d'tous ces droits qui en pleuvent.
Bon, y les prend, pas laisser perd'. En use, abuse, s'en amuse. Mais en loucedé, y'a la vague traîtreuse qui vient y'enlever l'sab' sous les pinceaux. Ses beaux grands droits francs et massifs lu sont grignotés à la sournoise par une profusance de minuscules interdictions. Ce qui lu est si larg'ment tendu lu est repris par des savants piqueurs de troncs ! Sa liberté, son argent, son temps, sa santé. Y' n'lu reste plus que la certitude qu'il a des droits, en fin du compte. Et l'droit d'les éguesiger ! Un point, voilà !
Alors, oui, la blonde a l'droit d'savoir.
Mais en l'lu accordant, ça va m'donner l'droit d'lu d'mander. Elle est très tout à fait d'accord, la nursse. Elle l'annonce ell'-même : donne-moi l'droit qu'je, j'aurai l'droit qu't'as !
Aut'fois, les droits, on partait à la conquête ; maint'nant, on n'sait plus où les fout'. Faut dresser des listes. On les a tous, positiv'ment, sauf, p't'êt' bien, çui d'êt' heureux simplement.
— Cette petite n'est pas la fille de Xavier Johnson, ma belle demoiselle. Elle a été kidnappée v'là quéqu'jours et j'm'demande comment il se fait qu'vous la gardassiez dans c'te masure.
La gonzesse prend ses vapes.
— Kidnappée, Martine ?
— Oui. Ell' n'vous cause jamais d'sa maman ?
— Pas beaucoup. Comme vous pouvez voir elle est dans un état mental déplorable.
— Parce qu'on l'a droguée !
— Mais c'est fou. Je fais partie de « Baby-Service » et j'ai été engagée le plus régulièrement du monde.
— Venez avec moi, vous avez une voiture ?
— Oui, où allons-nous ?
— Reconduire cette mouflette chez sa mère, et ensuite à la P.J. pour prendre vot' déposance.
— Mais, je n'ai rien à dire !
— Vous avez à dire que vous fûtes engagée par Xavier Johnson pour garder ici une fillette qu'il prétendait la sienne et qui l'est pas. C'est peu d'chose en appâts rances mais croiliez qu'ça produira son effet dans les baveux d'd'main.
— Mon Dieu, quelle aventure !
— Ah, ça, elle est mimi, ma poule. Allez, couic : fringuez-vous, d'même qu'Martine, et on va fouetter l'cocher nacht Pariss !
Elle fait qu'branler l'chef, la souris. Elle a des ch'veux assez longs av'c la raie au mitan.
— Vous voyez les deux vieux qu'habitent ici ? j'questionne.
— Monsieur Johnson m'a bien recommandé de ne pas me montrer d'eux car ils sont gâteux et, paraît-il, faiseurs d'embrouilles.
— Vous avez t'été engagée pour longtemps ?
— On m'a dit une quinzaine.
— Et quand vous voulez sortir ?
— Madame Rozier me remplace !
La salope ! Elle m'a drôlement bité, cette morue. Ainsi elle est dans l'coup. J'ai idée qu'j'viens d'ôter l'couverc' d'un sacré pot d'yaourt.
J'la regardais linger Martine, la blonde. Elle était bath d'corps. L'genre grand châssis qu'y faut pas avoir froid les yeux pou' manœuvrer. É m'dépassait d'au moins la tête. Not' qu'le plumard nivelle tout. Moi, n'empêche que si j'aime les gros gabarits, j'sus pas estrêment partant pou' les géiantes. Surtout l'aventure dont y m'est arrivée av'c une : la môme Lencoffier qu'était la fille d'une cousine à Alfred, not' ami coiffeur. J'sais plus comment t'est-ce la conversation était v'nue su' elle dans la conversation… Une chose l'autre. J'croye qu'c'est à cause de l'idée qu'on avait caressée, moi et Berthe, d'ach'ter un clebs. J'voulais un Sarah-Bernard, Berthy préférait un caniche-nain, comme quoi ça tient moins d'place, seul'ment merde : faut le toletter tout bout d'champ, et ça jappe après une ombre.
Alfred m'dit :
— Avant d'vous arrêter l'choix, vous d'vriez v'nir chez mes cousins Lencoffier qu'ont un chenil du côté d'Enghien.
Oui, c't'ainsi qu'on a am'né à causer d'eux et d'Ninette, leur fille géiante. Une chose l'autre. Alfred m'raconte les Lencoffier et c'te croix qui leur est pointée av'c c't'enfant qu'a mis à croatre sans embellir dès l'âge d'cinq piges. A dix ans, é m'surait un mèt' quat'-vingts ! A quinze, deux mèt'. Et elle s'est terminate l'excroissance av'c deux met' dix, la gosse. Elle eût été douée pour' l'basket, encor', y'eût t'eu d'mi-mal ! Mais y paraissait qu'é chiquait dans le nymphatique. Maâme Rétamée su' son divan. Ell' passait sa vie à lire, la Ninette. Alfred, y l'avait failli s'brouiller av'c ses cousins en leur surgérant qu'é pourrait p't'être exhiber à la Foire du Trône, la môme. Y voiliait très bien la présentation, Alfred : un fil d'étendard d'vant la baraque, su' l'quel qu'on mettait un slip, un soutien-loloches et les bas à la géiante pou' saliver l'client curieux, l'inciter à mater l'monstre. La publicité, y s'y est toujours connu, Alfred. Y l'a l'sens du commerce, étant italien d'originaire.
Bon, on parlait. Et puis, une chose l'autre, y' me narre qu'sa p'tite cousine lu fait des confidences comme quoi qu'elle s'languit d'connaît' l'amour, c'te pauvre grande vache, mais qui tu voudras qu'aille hasarder su' un monument pareil ? Y suppose, Alfredo, qu'é doit avoir une babasse à s'engoncer des fiasques de chianti d'deux lit', vu l'panorama général de mad'moiselle.
Et c't'alors qu'l'idée lu vient :
— Mais dis voir, Sandre, toi, av'c ta biroute colosse (Berthe l'avait mis au courant pour ma queue d'âne) pourquoi n'essaierais-tu pas d'là régaler, cette enfant ?
Au début j'proteste : j'ai beau êt' baraqué du zob, d'là à affrontalier les baleines, tu permets ! Y' répond que qu'est-ce j'risque d'essayer ? Et pis, une chose l'autre, j'finis par accepter l'espérience.
Et Alfred assur' qu'y va m'arranger l'coup en loucedoche, sans mett' les parents au parfum d'ma tentative avant qu'é soye homologationnée ; qu'on s'ra toujours à temps par la sute, si j'la régale, miss Lencoffier, d'apprendre la bonne nouvelle à ses vieux.
Alfred, j't'en cause pas pisque y fréquente beaucoup la maison, mais y'a des détails sur lui qu'je dois t'donner, d'autant qu'moi mort, y risqu'ra d'incruster at notre home vu qu'son appart'ment au-dessus d'sa boutique merlande, y l'a toujours trouvé trop contigu. C't'un garçon, tu voyes, Marie-Marie, pas bête, plein d'idées, mais qu'y faut s'gaffer car y l'est foutraque. Et alors, j'peux t'dire que Ponte Pilastre d'vait z'êt' son cousin, parce que pou' c'qu'est d'se laver les pognes après un postiche, y n'a pas b'soin d'Cadum.
Quéqu'temps écoulent après not' converse, et v'là qu'un matin, à la Poule, y m'tube.
— Sandre, tu pourrais-t-il te délivrer c'te aprème ? C'est rapport à ma petite cousine. Ça boumerait sur les choses d'trois plombes ?