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T'aurais vu Tonton, ma fille, c'te mastroïani qu'il a fait preuve, comme on dit puis. Espère, j'm'étais pas présenté à la pêche aux fraises sans mon sucre en poudre. Pourtant, j'sus pas du genre paperasses. Seulement là, comprenant que j'aventurais dans un monde délicat, car chez les politicouilles, le tam-tam d'esbrouffe fonctionne cinq sur cinq et un coup de grelot à Untel est vite passé, j'avais préparé mon dossier. J'estirpe un rouleau de papier chiotte de la valise à casse-graine qui m'sert d'attaché-caisse dans les grandes occases. Il était tout écrit d'notes et renroulé dans le contraire du sens de torchage.

Ça r'présentait le résumé d'ses dépositions : la liste des amis, ennemis, fournisseurs, parents, p'tites amies ; des clubes dont il appartenait, que sais-je ?

Elle m'écoutait numérer en n'hochant son chef de garce. Ricanant. L'côté : « Et alors, gros malin ? ».

Quand j'ai eu tout déroulé, ça f'sait un fameux kilométrage de papier-cul sur la moquette.

Elle l'a remué du bout de sa mule et a dit :

— Vous voyez bien qu'on ne m'a rien épargné. Vos confrères ont tout voulu savoir, tout ! Jusqu'à la fréquence de nos rapports sexuels, quelle inquisition !

— Vos rapports ! V's'appelez ça des rapports ! Une fois par mois, j'ai grommelé, y n'vous chouchoutait pas, Martin. Faut que vous eussiez eu une âme d'élitre pour pas vous embourber le facteur des recommandés ou l'livreur d'chez Fauchon. C'ci dit, on vous a d'mandé une quantité de trucs, sauf un.

— Lequel, par exemple ?

— Le pourquoi v's'avez pas accompagné vot' bonhomme jusqu'à sa tire, en sortant du théâtre.

La v'là qui ravale sa salive, qui tournique les châsses comme les p'tits sujets d'un appareil à sous, et finit par répondre :

— Nous nous y trouvions en compagnie d'un couple d'amis, les Lauzinche. Nous devions souper avec eux. Comme leur voiture se trouvait plus près du théâtre que la nôtre et que je bavardais avec Mauricette Lauzinche… Vous trouvez la chose anormale ?

— Voui, maâme…

— Et pour quelle raison, s'il vous plaît ?

— Pour deux raisons, maâme.

— On peut savoir ?

Elle traczait, Poupette. J'la voyais crisper du naseau, un tantisoit ; pas heureuse, tu comprends, gosse ? J'y filais tout soudain les miches sur l'gril, à c'te veuvasse. J'y incommodais sa dignité par mon air d'en avoir deux (et just'ment : j'en ai deux) !

— Les raisons que j'vous cause, chère maâme, sont les suivantes ci-dessous : numbère oigne, la voiture à m'sieur Lauzinche s'trouvait garée au parkinge George-Cinq, ce qu'est beaucoup plus loin du théâtre des Champs-Zé qu'la rue Jean-Goujon, si v'z'auriez t'un plan de Paname je vous y démontre ; numbère deux, il avait comme pompe un cabri-au-lait Mercédès à deux places. Ce qui v's'a t'obligée d'entasser à trois dans c'te charrette. Il eût z'été plus fastoche que ça soye t'au contraire la mère Lauzinche qui vous suivate jusqu'à vot' guindé à vous, laquelle était plus proximiteuse et plus espacieuse. Un monde qu'mes chosefrères ayent pas tordu le pif sur c't'anomalie !

Là-dessus, je m'ai levé pour mater des photos de léadères politiques encadrés autour d'là cheminée, la laisser rechoper ses esprits.

Merde, v'là la bobine qui déc…

DEUXIÈME BOBINE

— FACE 1 —

Ces photos que j't'allais causer. Marie-Marie, elles représentaient des gonziers célèbres ; chefs de partis, anciens miniss, orateurs à chevrons. Ils s'étalaient, sur leur trente et un, bioutifoules comme des pissotières repeintes, la mine vantageuse, le zœil comme un con qu'est errant. Et t'aurais dû ligoter ces décicassages : « A Martin Martin, dont l'action est un des rouages de la France. » Ou bien : « A Martin Martin, dont la pensée éclaire la politique française. » Sur la tête de ma mère, Marie-Marie, et je plaisante jamais av'c ! La France, toujours. Y's'croiraient en chômage s'ils la mobiliseraient pas à tout instant, c't' pauv' France. Un vrai couteau suisse, la France : elle est bonne à des chiées d'usage. Eux-autres, dans la politique, c'est leur matière première, et même seconde. Y travaillent d'sus comme sur un métier à tisser la connerie populaire. A croire qu'elle leur appartient, qu'c'est leur usine, leur bureau ; qu'y z'en ont la jouissance, le jus de fruité, comme disent les notaires. A tel point qu'j'm'en sens privé, moi, d'là France, quand j'les esgourde. L'assurance qu'ils l'accaparent totalement. La bricolent à leur guise. Te la foutent en pleine poire, comme un torchon mouillé, pour t'fermer le bec si t'aurais envie de ramener. On fait tintin d'France, nous aut' pékins. Tout juste qu'on aye l'droit d'aider à la sauver, temps à autre quand y'a des ratés dans le carburo (et les ratés, c'sont eux, cherche point !) Y's'la refilent, comme belle-maman prête son argentier pour les repas de cérémonie. Mais y z'en causent trop pour vraiment en prend' soin. Chacun y flanque son gnon, son n'ébréchure, sa tache. Comment elle peut t'encore s'traîner, c'te pauv' bête, j'me demande, depuis le temps qu'on y enlève des lambeaux d'chair sous préteste de lu ôter ses poux ! Des fois, j'écoute, j'regarde, et je dis qu'on f'rait mieux d'la fout' en Société, ou — qui sait ? — d'la vendre carrément à quéqu'un de bien qui saurait la gestionner posément, sans toujours l'éclabousser de merde.

Mais non : son destin, qu'veux-tu, c'est les charognards qui promettent montres z'et réveils. Tous ces moustiques, tous ces morbaques, ces mouches à merde, ces taons voraces. Le grand festin des asticots tricolores ! Françaises, Français ! A vot' santé, bande de lavements ! Et ils y croivent, les Françaises, Français. ils y croivent puisqu'ils en ont peur. Tu veux savoir, le drame ? La peur, ma gosseline ! La trouille noire de la marée jaune, que tous, la comprenant néluctable, décident d'y crier bravo d'avance. Pour qu'après, quand elle sera en place, ils puissent dire qu'ils furent pour à outrance. C'est comme des qui se suicident pour ne pas mourir, kif. Des incurabes qu'enjambent la fenêtre après un r'gard à leurs radios. Ils préparent, ils balisent. Ils sont contre, note bien, dans leur intérieur secret, horéfiés d'cette perpective, tant tellement je les voye cramponnés à leurs casbas s'condaires, leurs machines à laver, repasser, traire, cirer, biter ; leurs bagnoles à 90 l'heure ; leurs vouécandes queueleulards sur les nationales ; leurs vacances au Clube. Ça les enchie de craquer ce beau pactole, mais y gaffent pour leurs osselets ! Vivement Mao, qu'on se marre ! Qu'on soye libres enfin pour tout de vrai, définitivement enfranchis de c't'société pourrie qu'est z'un vrai bordel dont le pus dégouline en dessous d'la porte, su l'palier. Y z'ont tous toujours raffolé du rouge, ces mignons. Mouru d'honte de nos excès consommatesques que quand tu songes aux p'tits hindous ça t'coupe l'envie de finir ton entrecôte. Qu'est-ce y z'attendent, les Chin'toques, pour se pointer, dedieu de foutre ? Depuis l'temps qu'on les espère. N'en ont donc pas quine de pulluler chez eux, en égoïsses ? La grande marche, faut qu'elle dirige un peu par ici, quoi merde !

Tu sais, Marie-Marie, j'saurais pas que j'vais canner bien vite, j'hésiterais à t'causer c'langage ; mais j'sens qu'y faut. On n'a plus l'temps d'avoir l'temps. C'est nextrémis, à présent. Et pas qu'pour moi : pour nous tous, gens menés, malmenés, emmenés, surmenés, démenés, manipulés par ces connards à gargarismes tyroliens. Y'nous auront drivés droit aux abîmes, gauchers, droitiers, centreux, la lyre… On dérape su' leurs baves et on catapulque dans les ravins de l'histoire futurs. Just' à cause d'une poignée de nœuds volants, sournois, ostinés que j'sais même point ce qui z'espèrent, ni s'y z'ont réllement un nid d'éal. Ou si z'en ont z'un ce qu' devient l'homme parmi lui. L'homme ! Le maillon qu'a pas d'importance, t'sais l'proverbe ? Uniquement compte la chaîne. Seulement ça t'sert à quoi-ce une chaîne qu'un maillon pète ? J't'pose la question, Marie-Marie. A quoi ? Bon, tampire. On s'ra z'été jusqu'au bout de là qu'ils ont voulu nous mener, c't'à dire aux champs d'hommes. Jusqu'alors, comme champs d'hommes, y'avait qu'des champs de morts, t'as déjà vu, ces magnifiques cimetières de Verdun, avec la même croix qui s'répète à l'infinitif ? Bientôt, et déjà même, y'aura des champs de vivants, tout pareils. Juste, au lieu d'être des cimetières de morts, ce s'ra des cimetières d'vivants. Ils acceptent. Même mouflette encore, tu t'rends parfaitement compte qu'y z'acceptent, n'est-ce pas ?