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— Vous y demeurerez jusqu’à ce que vous parliez.

— Je n’ai rien à dire.

— Alors jusqu’à ce que vous trouviez quelque chose à me dire. Ça n’a l’air de rien, mais c’est une épreuve qui a toujours donné d’excellents résultats. Je n’ai connu aucun échec. Les plus coriaces ont craqué le quatrième jour. Mais en général ils ne tiennent pas jusque-là. Je vous préviens que non seulement il faudra me dire la vérité, mais qu’en outre vous devrez me fournir la preuve que c’est bien la vérité. Je passerai vous parler une fois par jour, pas plus. Si vous ne me parlez pas demain, il vous faudra attendre après-demain, et ainsi de suite, compris ?

Mutin, il se penche sur la bière et expulse dans mon sarcophage une énorme goulée de fumée âcre.

Je tousse.

Tu seras tout seul dans ton cercueil ! Un titre de la black série, ça, hein ?

Mais qui ne se justifie pas. Car y’a plein de peuple dans ma bière, mon gars. Des gens que j’ai connus, cru oublier. Des gens que j’aime ou qui me sont antipathiques. Des vieux, des jeunes, des femmes, des hommes. Les v’là qui me surgissent dans le cercueil, en foule. Une tronche d’hôtelier venant s’informer à ma table comment je trouve son poulet au vinaigre. Une vieille dame biscornue et quasi aveugle que j’aide à traverser le boulevard Haussmann un matin d’hiver. Une fille s’installant sur un divan pour l’amour, trop complaisamment à mon gré, trop vite, trop rapidement impudique. L’impudeur, l’homme aime à l’enseigner, il a horreur de la trouver toute prête. Il veut corrompre soi-même. C’est sa marotte, le goût du déflorage. La virginité le fascine parce qu’il n’aspire qu’à la faire cesser. Et puis voilà des copains, copines… Gueules de raies en tout genre. Tapeurs acharnés. Ragoteurs de pissotières. Branleurs hâves. Les mecs, jules et julies. Des paumés, des redondants. Un dentiste. Parole : un tire-molaires qui puait comme une carie dans sa blouse sale. D’autres : des gens à mine sérieuse, des compasseurs professionnels. Des oncles, des tantes, des tantes suceuses, des pourlécheurs d’oigne. Tout ça en grand rassemblement dans mon cercueil, que je te dis, comme un Ier Mai de la Nation à la République. Des connards de compagnie. Mouches à merde excitées par ma mise en bière. Radinant au pas de charge dans les éthers, pour un matage de complaisance. Va-t-il crever, le San-A. ? Achtung, on veut lui retraverser la pensée une dernière fois, se rappeler à son bon souvenir avant qu’il dérape dans la glaise. Qu’il nous restitue un grand coup avant de crever, ce caïman goinfreur de sensations. Alors ils défilent. Et quand je les chasse, ce sont de nouvelles bouilles qui prennent la relève.

Je n’ai pas peur. À force d’en subir, tu deviens fataliste. Ta vie tourne cuirasse. T’as déjà vu des carcasses de homards dans des poubelles de Ier janvier ? Eh ben, c’est moi. Me reste les apparences, la carapace, mais la substance, dis ? Barrée en sucette. Gloutonnée par tous ces vilains voraces, mise en pièces, déjà déféquée. Un souvenir de substance, des lambeaux qui s’agrippent à la coquille pour témoigner. Aux fins d’analyses. Biopsie. Juste de quoi se dire que ce fut de la bonne moelle, vachetement substantifique. Mais qu’elle n’est plus. Ne se reformera plus. Et que tu finiras à l’état de carapace vide. Heureusement qu’ils ne bouffent pas la tronche. C’est incomestible. Y’t’ font cadeau de tes pensées, c’est chouette à eux, non ? Ton gambergement, ils sont pas preneurs. Ça n’a pas bon goût. Tu peux tisser tes idées noires en père peinard, les emmitoufler de toile d’araignée. Cadeau ! Ça ne possède aucune valeur marchande. Ça ne fait rien aux glandes. On peut pas se les bourrer dans l’anus. Alors ils te les abandonnent généreusement.

Non, franchement, je m’ennuie pas dans mon cercueil à trou. J’y respire (mal) une odeur de bois neuf qui, doucettement, chavire pour laisser place à la mienne. L’odeur d’un homme emboîté, illico, c’est cadavérique. Faisandé. Je m’empuante. Voilà pourquoi ils n’y tiennent plus, les mecs ainsi traités par le vieil Aldo. C’est pas la faim qui les réduit, non plus la soif. Mais leur puanteur. Ils s’enfument de leur fumet. Bouah ! La folie les gagne… Ils se puent au nez, tu comprends ? Ils reniflent leur avariage, leurs relâchements. C’est vite pas tenable. Ils ont besoin de se fuir dans un bain de mousse et des flots d’eau de Cologne. Le parfum n’a été inventé que pour rendre aux hommes leur confiance en eux.

Y’a de l’estompe dans le défilé. Je dois somnoler. Je romps par petits intervalles avec la réalité. Comme si je tombais dans les ténèbres infinies du mental. Glissade. Emergency ! Le toboggan salvateur (Dali).

Et puis, soudain, l’alerte. Un heurt. Quel heurt est-il ? Un glissement. À tâtons, quelqu’un cherche les vis papillons du cercueil. Les actionne à l’aide d’une pince. Je voudrais demander qui vient ici si tard, mais n’ose. Retiens mon souffle à deux poumons. L’absence de lumière, le côté furtif et maladroit de l’interveneur me donnent à penser que l’individu agit en cachette du bonhomme Cesarini.

Alors, quoi : un miracle ?

Et pourquoi que non ? Tu te rappelles, le premier de Jésus ? Il est allé au plus pressé : il a changé l’eau en vin : Primior vous l’offre !

Une sixaine de minutes. Le couvercle bascule. Il y a une période d’attente. Je sens un souffle, à quelques encablures du visage. Ne bouge point. Alors, une main inquiète (les mains inquiètes ont ma préférence) se pose sur ma figure pour vérifier que je vis toujours. Une main de femme. À la ténue clarté filtrant par la verrière, je reconnais la fille d’Aldo : oui, la veuve qui m’a accompagné au téléphone. Je jubile de l’intérieur. Donc, ma caresse fut un bon placement. Elle a fait son chemin dans le sensoriel de la dame. Qui sème le vent récolte la tempête, et qui s’aime d’amour récolte la passion.

Alors je saisis cette main investigatrice, si délicate. J’en baise le creux, tu comprends ? Mfffou, mfffou ! Bonnard ! (Non : le peintre Bonnard ne se prénommait pas Sylvestre, quelle idée ! c’est Anatole France qui s’appelait Sylvestre). J’ sais pas si ça vient de ma claustration, voire de l’obscure angoisse que je viens de ressentir, toujours hait-il (comme j’aime à dire), que j’entre en bandaison, comme le cardinal Daniélou entrait en religion. J’attire la belle Sicilienne à moi. Pour commencer elle résiste. Mais tu résisterais longtemps à San-A., toi, madame ? Quand sa main couvre ta main d’ondes salaces, quand son souffle rauquit, que ses effluves capiteux t’investissent ? Elle vient. Je lui fais pas monter la bière, c’est elle qui vient à la bière. Merde ! attends, gode pas si vite : j’ai oublié, que j’étais ligoté. Bon, ça ne fait rien, avant que je lui prenne la main, elle m’aura déligoté, ça te va ? Banco, je te poursuis la séance.

Donc, disais-je, je l’attire irrésistiblement à moi. Elle se plaque contre le gisant que je suis, si farouchement, qu’une partie de ma personne cesse véhémentement d’être horizontale et que la v’là dressée comme un petit coq belliqueux (j’ai pas dit belle queue). Tu parles d’un pouvoir d’achat, mon neveu ! Youyouille, si je lui accomplis pas les désirs, je vais ressembler à un jouteur. La dame, tu sais quoi ? Elle acalifourchonne le cercueil, ni plus ni moins. Cheval d’arçon. Pour lors, je mets flanverge au ventre ! Rrrran ! Tu sais qu’elle a tout de suite pigé, la signora ? Te s’est troussée jusqu’au-dessus de la ligne de flottaison. Haut les cœurs, bas les fesses ! Dans ces pays aux mœurs timides, les dessous féminins, laisse que je te raconte, eh ben y’n’ suivent pas la mode parisienne. La culotte de cette chérie, c’est pis qu’une culotte de veuve. Tu la verrais, illico tu l’expédierais au musée du slip. Le cache-babasse à travers les âges ! Elle représenterait le XVIIIe siècle. Longue, serrée aux genoux par des rubans, et fendue du dessous. La vraie aubaine ! Un jour, dans un claque, j’ai vu un vieux chpountz affublé de ce sous-vêtement antédiluvien. Il se prenait pour sa grand-mère. Fallait qu’on lui dise madame, il pâmait, exigeait qu’on le traitât de salope. Un velours ! Moi, la culotte de la dulcinée me parachève l’émoi. C’est rare de rencontrer des frangines équipées façon french-cancan pour la lonche ! Ne pas rater. Je me repère à l’aveuglette. Cette botte de fourrage, Seigneur ! La flore méditerranéenne, y’a que ça. C’est généreux, abondant ! T’as l’impression d’une chagatte en friche. Tu te sens devenir pionnier téméraire. Dompteur de forêts tropicales. Et puis alors, t’as pas besoin de Lesieur pour ce qui est de la lubrification. Elle est prête au panard, la donzelle. Tu peux la visiter sans poser ton sac tyrolien. Qui m’aurait dit qu’un jour je me ferais violer dans un cercueil. De cette manière équestre surtout. Au plus fort de l’emmêlée, elle a les talons qui glissent et elle me tombe assise sur les flaoutches. Dedieu, le bel embrochage. Ce que je sens, au bout de ma rapière, ça ne serait pas son pancréas, des fois ? Ou alors son duodénum, dites, docteur ?