Elle a eu un cri. De douleur. Je la ramène en équilibre contrôlé. Et pour dès lors, la brave femme reprend du service rapide. J’ savais pas qu’ils étaient doués pour le jumping en Sicile. Avec tous ces mulets. Elle en veut. En reveut. En prend.
J’y en donne.
Sûr qu’après cette manœuvre, elle aura des échardes à l’intérieur des cuisses. Qu’elle marchera Louis XV, Madame-Sans-Homme. La façon qu’elle s’ouvre à la vie, fatal !
Sur la fin, elle frénétise. Se met à réciter un J’ vous salue Maria. Et puis elle se déchire carrément, comme une étoffe. À moins que ça soye sa culotte qu’ait achevé de fendre ? Oui, ce doit être la culotte qui déclare forfait. On emberlife dans des pâmades. Elle pousse un cri pareil à celui de la mangouste qui vient de trouver sa mayonnaise. C’est douloureux, en somme, le superpied. Trop de plaisir s’exprime en plainte. Elle se reprend. Descend de monture, se rassemble doucement. Moi, si tu tiens à ce que je précise, je reste sur ma faim. Toujours aussi ferme sur les prix, en os massif pur fruit, le gourdin taillé dans la masse. Embarrassé, ne sachant plus qu’en (ni qui) foutre.
Note, ce sont des choses qui arrivent. Encore que, ordinairement, c’est plutôt la dadame qui remise ses envies pendant que le julot, libéré, va se faire un shampooing au chauve à col roulé.
Hébété, je me redresse.
— Merci, murmuré-je.
Polie, elle proteste :
— Non, c’est moi…
Chacun a apporté sa contribution personnelle. Elle m’a donné la liberté, moi je lui ai apporté un moment de reluisance.
On file jusqu’à la porte. J’entrebâille.
Et alors, tu devineras pas qui je trouve debout dans la cour. Je te le dis ? La veuve ! Parfaitement ; la personne que j’ai cru calcer est là, un fusil dans les mains, l’air farouche, louve en colère…
Ma réaction, c’est de bredouiller, dans ma langue maternelle : « Mais alors… »
Puis de me retourner.
C’est la grand-mère qui est venue me délivrer.
Of course, l’impression que tu ressens, d’emblée, c’est pas la joie.
Non, c’est autre chose de beaucoup plus nuancé. Ça ressemble à la découverte d’une frustration. Et pourtant, très vite, ça devient de la joie. À preuve, v’là que je me mets à rigoler comme un perdu.
La jeune veuve paraît sidérée d’apercevoir sa mère.
Les deux dames jaspinent dans leur patois. Vite vite ! Et je t’y vais de la menteuse. Et je te postillonne. Et je t’égosille. Vont-elles en venir aux mains ?
Non. Progressivement, la môme au fusil rengracie. Elle finit par hausser les épaules. D’autant que sa grande fille se pointe à son tour, attirée par l’algarade.
Nouvelle salve de blablatage, à trois, cette fois-ci. Et puis la vieille, grâce à son autorité, finit par les museler. Celle du milieu s’éloigne, la jouvencelle sur les talons.
Je pose une main éperdue de reconnaissance sur le bras de ma sauveuse.
— Puis-je vous demander, madame, les raisons de votre conduite ? Je veux dire, concernant ma délivrance.
Elle caresse ma main.
— Mon garçon, me dit-elle, je me venge. Et de la plus merveilleuse des façons.
— De quoi, madame ?
— De mon époux, l’abominable Cesarini.
— Vous aviez donc de gros griefs contre lui ?
Elle hésite. Puis :
— Écoute, garçon, ce sont nos parents qui nous ont mariés, alors que je détestais cet homme cruel et que j’en aimais un autre. Un jour, à une noce, je me suis trouvée assise au côté de mon Angelo.
Elle se tait un instant, mais le besoin de se confier l’emporte :
— Il y a eu une panne de lumière, au milieu du repas. Nous mangions des spaghetti. Généralement, à cette époque où l’électricité venait juste d’être posée, les pannes duraient des heures et l’on devait allumer des chandelles. Mais cette fois-ci, elle n’a duré que quelques minutes. La lumière est revenue brutalement. Trop brutalement. Tous les convives ont poussé un cri, car nous mangions le même spaghetti, Angelo et moi, chacun par un bout. Le spaghetti de l’adultère ! Aldo s’est levé de la table. Il a prié Angelo de sortir avec lui dans la cour. Quand il est rentré, un moment plus tard, il tenait à la main son couteau rouge de sang. Il est venu l’essuyer à ma robe. Puis il m’a saisie aux cheveux et m’a enfoncé la tête dans le plat de spaghetti. Et depuis lors, pendant quarante années, mon fils, tous les jours que Dieu a faits, il a recommencé. Le soir, avant de gagner ma chambre, je dois cuire un plat de spaghetti et Cesarini, avant de se mettre au lit, me plonge la figure dedans. Au fil des ans, ma soif de vengeance a grandi. J’attendais mon heure. Grâce à toi, elle est venue. Voilà pourquoi je t’ai délivré. Et je te remercie de m’avoir comblé avec ton tempérament ardent de Français. Tu m’auras appris des sensations que j’ignorais. Certes, mon mari est un bouc en chaleur, pourtant, sans toi, garçon, je serais pratiquement morte vierge.
Des larmes de reconnaissance extrêmement éperdue brillent dans son regard.
— Mais que va-t-il dire quand il saura ?
— Ce qu’il voudra. Nous prétendrons, ma fille, ma petite-fille et moi que des hommes sont venus te délivrer en son absence.
— Où est-il ?
— Je l’ignore, Aldo ne me met jamais au courant de ses activités. Après qu’on t’eut enfermé dans le cercueil, il est reparti avec sa bande.
— Et mon ami, le gros bâfreur ?
— Ils l’ont emmené avec eux.
Mon Dieu ! Mon cœur saigne aux quatre veines. Je me signe aux quatre coins. J’enseigne le désespoir par correspondance et par gestes. Béru ! Pourvu qu’ils ne lui fassent pas le coup de l’Etna ! Un coup d’Etna (surtout quand il se produit le 18 Brumaire) ça ne pardonne pas.
Un ronflement de moteur retentit. J’ai un geste de qui-vive. La dame mansuéte et revancharde me calme d’un geste.
— Laisse, c’est ma fille. Elle va te conduire en lieu sûr, sinon il ne faudrait pas une heure à Aldo pour te remettre la main dessus. Ici il est comme un roi.
Effectivement, une petite Fiat 600 déglinguée sort d’un hangar.
J’hésite. Me planquer ? Mais Bérurier ?
Et puis il m’apparaît que je lui serai plus utile libre qu’embastillé.
Alors je vote un baise-main (je ne suis plus à cela près) à la dame et je m’installe auprès de sa fille.
Elle conduit bien, vite, sec.
Elle a les mâchoires crispées. Je la contemple à la clarté de la lune inondante. Dire que j’ai cru me la farcir, tout à l’heure, cette sublime, et il s’agissait de maman ! Tu parles d’un quiproquo ! V’là peut-être pourquoi je ne suis pas allé au fade ? Je suis resté à la masse à cause d’un quelque chose de confus qui me tarabustait la glandaille. Plein d’appétit, de convoitise, je remets le couvert au plan du madrigal.