Quant à pour ma part, je m’emmène au sprint également. C’est alors que je pige plus. Faut admettre aussi que quand ton sensoriel tourne à plein régime, il ne te reste pas lerschouille d’esprit de déduction.
La petite Thérésa part en avant sur le sol. Caoutchoutée par son spasme ? À ce point, tu crois ? Note que j’ai vu des mémés se faire reluire jusqu’à l’évanouissement. Des survoltées du réchaud qui s’affalaient, carbonisées par l’orgasme. T’as bien des entraîneurs de fote-balle qui perdent connaissance lorsque leur équipe se qualifie pour la montée en first.
Seulement c’est l’odeur qui me chiffonne les narines.
Ça sent la poudre. Et pas celle d’escampette, je te jure. Je me retourne, tout glandu, tout flageolant, le panet dérouté de se retrouver si promptement à l’air libre, vibrant, perdu, commotionné. Sur le moment, je ne vois presque rien. Très vaguement une silhouette plus sombre que l’obscurité. Mais l’odeur de poudre envahit le local. Et la silhouette a une voix. Même qu’elle est anglaise.
— Lève les pattes si tu ne veux pas en prendre une autre dans la tête.
J’obéis machinalement. Je suis fasciné par la petite Thérésa, allongée sur les sacs, la face tournée vers le sol, l’arrière de la tronche en compote.
— Sors !
La silhouette recule, s’arrache à la pénombre pour gagner, à reculons, la lumière. Il s’agit d’un Noir. Très grand, vêtu de sombre, coiffé d’un chapeau de toile. Il porte de grosses lunettes de soleil sur le front, d’un froncement de nez, il les fait retomber devant ses yeux. Une profonde et courte cicatrice creuse une étrange fossette à son menton carré. Je vois briller une pierre à son petit doigt, une topaze. Il tient un curieux pétard à la main. Extra-plat et pas gros. J’ai encore jamais vu de feu semblable. Il n’a pas de silencieux et pourtant ne produit aucune détonation. Il est si plat qu’on pourrait s’en servir comme signet pour marquer les pages de ce livre.
Le Noir porte une fine moustache. Dans ces cas d’exception, les gens, tu ne les captes pas en bloc, mais par bribes. Ainsi, je remarque sa pochette de soie violette, sa chemise violette, ses chaussettes violettes, lesquelles composent un ensemble assez harmonieux avec son complet léger, gris anthracite.
Il me fait signe de gagner la maisonnette. Un autre gus s’y tient. Par opposition, il est blafard, avec une tête d’oiseau au grand nez crochu, aux joues creuses sur lesquelles végètent quelques poils qu’il doit prendre pour des favoris.
Le vieux grand-père est « out », lui aussi. Il gît, le visage dans son assiette de soupe. Et c’est tout rouge à cause de ce vilain trou qu’il a à la tempe et d’où sourd une espèce de reptile pourpre.
V’là des messieurs qui travaillent dans le sérieux, sans s’occuper des préambules. Ils tuent d’abord, et ensuite font les sommations. Ce qui me turlubite, c’est qu’ils ne soient pas Siciliens. Je devine qu’on s’enfonce allégrement dans des complications inextricables, d’où je risque de ne pas extriquer.
Mes deux nouveaux amis ne mouftent pas, se contentant de me braquer avec leurs étranges armes.
J’attends qu’un certain paquet de secondes se soit déguisé en minutes, et, la patience n’étant pas ma vertu archiépiscopale, je demande :
— On reste pour l’autopsie, ou quoi ?
L’oiseau s’arrête de mâchouiller de la gomme. Il se la cale entre la joue et la gencive et dit :
— Ferme ta sale gueule ou je te crève ! avec une voix de châtré qui prêterait à rire si j’avais le cœur à rire, mais je l’ai pas.
Un ronflement de voiture. Par le chemin cabossé, s’annonce une grande tire ricaine, noire avec une bande crème depuis les phares jusqu’au pare-chocs arrière.
Elle est conduite par un Jaune, style japonouille ou assimilé. Ainsi, les principales races humaines se trouvent représentées. Ne manque plus qu’un Peau-rouge criard pour compléter l’échantillonnage.
Le conducteur a des lunettes aux verres bombés, un sourire courtois, des mains de garçonnet et un costar tellement triste qu’un dimanche d’automne londonien ressemblerait au Carnaval de Rio en comparaison.
Le Noir ouvre la portière arrière et me fait signe de prendre place.
Ce que je.
Il monte à son tour, tandis que l’oiseau s’installe de l’autre côté. Me voici pris en jambon dans le sandwich. La tire repart. Le conducteur branche la radio. Ça joue un joli machin mandolinesque, du genre « Capri, île de rêve ». On pressent des citronniers, des grottes azur, et des gonzesses allongées nues sur le sable.
Moi, j’aimerais bien ça si j’avais le cœur à chantonner, mais je l’ai pas.
— Dites, les gars, je lance en anglais, vous voyagez pour quelle maison, déjà ?
Le Noir me file au plexus un coup de coude si brutal que je ne pourrai pas respirer avant dix kilomètres.
Tu sais que je me mets à regretter le père Aldo, mine de rien ?
Quand je pense que j’ai pas pu m’envoyer en planeur avec sa petite-fille !
Le mauvais sort, ça existe, tu sais.
Imagine une allée de palmiers un peu jaunâtres. Tout au bout, y’a une maison Médicis, dans les tons ocre-rose. Le tout sur une éminence plus riante que le Père Joseph[1] Molto flores. En buissons : des gazibouilles cloaqueux, des torpéduches grenouillères, des aléas multiples, des pontamoussons écarlates, des bivulves vaginelles caduques, et encore d’autres… Un pur enchantement.
La pompe vient se ranger devant la porte principale. On déboule. Ça ressemble plus à l’Espagne qu’à l’Italie, à cause du patio et de la piscine. Un gros mec malsain, chauve par contumace (il se fait raser ce qui reste), vêtu d’un bermuda orange, à fleurs blanches et de longs poils presque blancs, se balance dans un rocking-chair, exactement comme dans un film B. On a eu le souci de la reconstitution au point de poser un grand verre de scotch près de lui.
Par contre, où ça diffère, c’est que dans les films B, ce genre de personnage est le chef, alors qu’ici mes kidnappeurs se soucient autant de lui que du rajustement de l’allocation aux vieillards. On longe la piscine, puis on pénètre dans une grande pièce nue dont le fond est une glace.
Des agrès et un épais tapis-brosse indiquent qu’il s’agit d’une salle de gymnastique. D’ailleurs, une dame s’entraîne aux anneaux. Elle a un maillot-blanc-une-pièce et un turban blanc. Je la vois mal car elle me tourne le dos, mais elle ne doit pas être de la première fraîcheur si j’en crois ce que je distingue dans le miroir du fond. Sa bidoche fait des plis aux cuisses et dans le dos, comme le goudron par grande chaleur.
Les trois lascars s’arrêtent. Ils semblent respecter l’exercice de la dame. Celle-ci réussit un retournement qui ne manque pas de souplesse et se reçoit fort bien, les bras écartés, comme une gymnaste participant à un concours.
— O. K., nasille l’oiseau.
Elle laisse retomber ses bras et s’approche en coltinant sa cellulite. J’éprouve une impression de déjà vu. Certain d’avoir rencontré cette momie antérieurement. Tu sais qu’elle va sur ses septante ans, mémère ? Malgré son ravalement, les carats sont là, tous présents à l’appel. Elle a eu beau se farder au pistolet, ne lui manque pas un mois de nourrice.
Sa bouche craquelée, ses narines luisantes, ses paupières batraciennes, enfoncées, sa peau qui pend aux endroits charnus, tout la trahit. Elle peut faire de l’exercice, du régime et marcher aux produits Carrita, pour se gommer l’irréparable outrage, tintin !
Où diantre l’ai-je déjà rencontrée ?
Et puis ça me revient.
1
Lequel était une éminence grise, je le précise pour le tas d’incultes qui se fourvoient céans.