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Cette armée collabore avec les services de renseignements des grandes nations, lorsque ceux-ci essuient un échec, ou hésitent à accomplir certaines missions par trop salissantes. Les mercenaires de l’espionnage des temps nouveaux, voilà ce que sont les gens du « Code Z ».

La chose qui me surprend le plus, dans cette révélation, c’est de trouver une vieille actrice à la tête d’une section.

— Oui, madame, on connaît, bredouillé-je. Et vous faites quoi, au sein de cette honorable association de malfaiteurs, le ménage ou la comptabilité ?

Elle quitte son tabouret, rajuste la ceinture de son peignoir et déclare :

— Nous parlerons lorsque vous serez sérieux.

Elle a un grand geste, pareil à celui de Napoléon posant pour le Pont d’Arcole.

Les gars, sauf le Noir, sortent sur ses talons.

Le sang bouillonne de plus en plus fort dans ma tête.

Une cataracte.

Vais-je pouvoir endurer ce supplice longtemps encore ?

Des vertiges, des vapeurs m’emparent. Ma jambe gauche doit mesurer au moins deux mètres, à présent. Comment se fait-il que je ne traîne pas par terre ?

J’attends encore un brin.

Puis je décide que, non vraiment, plutôt la mort… Et je fais semblant de m’évanouir.

C’est pas duraille à imiter, l’homme inconscient, dans mon état.

S’apercevant que j’ai perdu connaissance, le Noir va héler sur le pas de la porte. Miss Linda et sa clique reviennent, sans se presser. J’ai droit à un seau d’eau revigorant. Pourtant, je continue de feindre l’évanouissement. Cela les incitera peut-être à me désuspendre ?

Eh bien non. L’oiseau se contente de me cramponner sous les ailes et de me soulever, de manière à chasser le sang de mon cerveau.

Je m’obstine. La vieille vient soulever mes paupières. Elle a les mains froides. Elle porte à présent une robe imprimée, genre Hermès, que ça représente des têtes de bourrins.

— Il truque, dit-elle. Allez chercher le nécessaire.

C’est le Japonoche qui s’y rend. L’oiseau me tient toujours à l’équerre et, si ça ne soulage pas ma jambe, du moins cela dissipe le torrent de sang qui déferle dans ma tête.

Le matériel ! De quoi s’agit-il, encore ?

Par l’imperceptible fente de mes paupières, je vois le Jaune revenir avec une grosse boîte d’acajou ressemblant à un coffret humidificateur pour cigares. Il la pose à terre, l’ouvre. Me semble retapisser des cadrans, des fils électriques, des ventouses de caoutchouc noir. On me coiffe d’un casque en plastique à armature métallique. Le Jap s’affaire sur la vilaine boîte. Lui, c’est le technicien du groupe. Le petit bricoleur maison. Il branche des fiches, me place des ventouses sur la poitrine et aux poignets. Tu crois qu’il va me payer un électrocardiogramme ?

Un petit sifflement retentit, léger, impertinent, comme celui de mon compteur quand je coursais la valise volée par Donato à l’aéroport de Catane.

Mille picotements partent à travers ma chair endolorie. Comme si une caravane de fourmis m’investissaient. Ça me chatouille un peu. C’est à la fois soulageant et désagréable, à l’instar (disent mes confrères) de certains massages électriques.

Tout à coup, une voix m’atteint, par les écouteurs placés à l’intérieur du casque. La voix de Linda Benson, mais réverbérée, présente au point que j’ai la sensation de me parler à moi-même. Cette voix arrive directement à mon cerveau, sans emprunter le chemin de mon sens auditif. Elle se forme en moi. M’accapare. J’essaie de lutter contre elle. En vain. Elle se substitue à ma volonté. À mon intelligence, même ! Elle devient un aspect de mon individu. Sa dernière manifestation cohérente. Si tu piges pas, fais semblant et continue, va y avoir de l’action dans pas longtemps.

— Cher ami, vous me recevez bien, n’est-ce pas ?

— Oui.

— Tant mieux. Vous allez me parler, cela vous soulagera. Ensuite, vous vous sentirez bien, vous aurez un bon lit, très doux, dans une chambre très fraîche. On vous donnera à boire des choses exquises. D’accord ?

— Oui, oui, d’accord.

Prononcé-je réellement les réponses, ou me contenté-je de les penser ? Je dois fatalement les articuler puisqu’une conversation s’organise.

— Je vous aime beaucoup, vous savez, commissaire. Et vous aussi vous m’aimez beaucoup. Voilà pourquoi on n’a rien de caché l’un pour l’autre. On doit tout se dire. On doit s’aider…

C’est tout juste si, quelque part, dans l’arrière-salle de ma gamberge, subsiste un certain état d’alerte. Tout juste si un sentiment de méfiance m’avertit qu’on me berne. Tout juste si ma putain de conscience professionnelle regimbe encore pour tenter de ne pas céder aux paroles chatoyantes du serpent.

Mais, malgré cette infime veilleuse, je sais que je suis vaincu et que je vais tout dire.

TOUT !

Alors je dis tout, mon pauvre.

On est des flics.

On est des bœufs.

On est parfois des saints.

Mais, pire que tout cela : on est des hommes. Le hic ! Des hommes. Tu ne peux rien contre. C’est la maronnade assurée. L’enc… sur facture.

Quand je pense qu’une insulte d’homme consiste à lancer à un antagoniste : « T’es pas un homme ! » Alors qu’au contraire, l’injure serait de le traiter d’homme. Que peut-il y avoir de pire dans la hiérarchie flétrissante, hmm ? Mais je te sens qui insurge, pauvre clapoteur ! Misérable ergoteur ! Pommade, tu veux que je dise une bonne fois ? Eh ben, t’es un homme, mon gars !

— Quand avez-vous retrouvé la valise, et qu’en avez-vous fait ?

— Je n’ai pas retrouvé la valise. Quelqu’un l’a volée.

— Qui ?

— Je l’ignore. Les Siciliens m’accusaient alors que je n’y suis pour rien. Et d’ailleurs, je me moque de cette valise.

Imperturbable, la voix de la vieille femme, avec ce nasillement yankee que des cours de diction n’ont jamais atténué.

— Pourquoi vous moquez-vous de cette valise ?

— Parce qu’elle ne contient rien qui puisse nous intéresser, vous et moi.

— Qu’en savez-vous, commissaire ?

— Quelqu’un de chez nous avait réussi à intercepter les documents avant qu’elle ne soit volée.

Merde, proteste mon moignon de conscience, ça y est : tu t’es lamentablement affalé, San-A. Tout est fichu. Ta mission est anéantie. Tu viens de faire cocu le Vieux.

Il y a une légère période de silence. Les autres se sont rapprochés. Ils regardent Linda Benson avec des mines de rats malades.

La voix reprend, avec un frémissement angoissé.

— Si cela est, pourquoi êtes-vous venu en Sicile pour tenter de la retrouver, commissaire ?

— Afin de donner le change, répond ce connard de commissaire. Mes chefs ont pensé que d’autres s’y intéresseraient et finiraient par découvrir que l’homme volé était suivi, ce jour-là. En remuant tout Catane pour récupérer l’attaché-case, nous voulions donner à croire que nous n’avions pas les documents, puisque nous les cherchions. C. Q. F. D. !

Et voilà comment, moralement, professionnellement, on fait faillite, mon lapin.

C’est la déchéance. J’ai été eu ! Dans les grandes longueurs !

Le fameux Santantonio s’est mis à table.

De bel appétit.

Il en a croqué à belles chailles, le veau !