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Une moche sueur à basse température me serpente depuis la nuque jusqu’à la régulière.

— Pourquoi me racontez-vous cela, boss ? Vous brûlez votre gars ou alors vous avez l’intention de me neutraliser définitivement, comme on dit avec élégance dans votre job ?

Il sourit.

— Vous avez entendu parler de l’aéroport de Roissy en France, mon cher ? Hier, on a retrouvé La Baule la gorge tranchée dans les cabinets flambant neufs de ce magistral aéroport. Pour le brûler, maintenant, il faudrait un crématorium !

Il rit.

Il boit.

— On continue ?

— Faites.

— Ce que vos chefs ont omis de vous préciser en vous expédiant ici, c’est qu’ils ne voulaient donner le change qu’à nous autres, Ricains, à propos de cette valise. En réalité, leur plan consistait à négocier la restitution des documents à l’U. R. S. S. en échange de certains avantages d’ordre nucléaire, car à Paris, on en a assez de faire partir à Mururoa des pétards moins spectaculaires que ceux du 14 Juillet. Question de prestige. On a besoin d’un boum, si j’ose dire, chez vous.

Là, il se place la lampée du siècle. Un demi-glass de grand-mère. Gloup ! S’il ne lui pousse pas des étincelles dans le caberlot, c’est que celui-ci marche à transistor.

— Drôle de salade, ronché-je.

— Russe, pouffe mon vis-à-vis. Vous suivez le labyrinthe, cher ? La France vole à un agent double des documents russes qu’il allait livrer aux Amerloques. Mais l’agent français travaille pour les Américains et remet à ceux-ci le produit de son vol. Il fournit aux françouzes des machins très secondaires que vos éminents chefs, triomphalement, s’empressent de restituer aux Russes.

Je rigole.

— J’imagine la frime des Ruscoffs.

— Pendant que vous y êtes, imaginez également celle des Américains, mon vieux, car les documents étaient bidons.

Parvenu à ce point de racontage, faudrait marquer un temps mort, comme je préconise parfois, mon chou bleu. Que tu reprennes tes pauvres esprits surmenés. T’es là, je te déméninge avec mes récits de corne-cul. T’en perds la boussole, le latin, et ce qu’est pire, l’appétit. Ça embrouille à telle allure que tu vas plus savoir qui est qui d’ici cinq minutes. T’as une brèche dans la chambre noire. Tu fissures de la pensarde. Tu te crois dans Tintin, et encore, je déconne : Tintin, c’est facile à suivre.

Le mieux, tu sais quoi ? Je sirote mon glass, sans me presser, au petit trot de la glotte. Il est comme la bite dégustée par Marie-Chantal : il a un goût. Bon : c’est pas du scotch, mais du bourbon. Donc, c’est plus doux, moins chatoyant, selon moi.

— « Four Roses », jette mon terlocuteur, comme s’il suivait pas à pas ma pensée. Pour un buveur de cognac, ça n’est pas le pied, évidemment.

En tout cas c’est le sien, vu qu’il recharge ses batteries. Je me décide à enchaîner.

— En somme, quoi ? je hasarde.

— En somme, nous valsons en plein bal des dupes, San-Antonio. Tout le monde feinte, double, baise tout le monde. À ne plus savoir où nous en sommes, ni ce que nous cherchons. Le tout sur un fond de massacre. Les vilains du « Code Z » travaillaient pour les Russes, ce qui tendrait à laisser croire que ces pauvres gens ont bel et bien perdu leurs sacrés documents, à moins évidemment qu’il s’agisse aussi d’une ruse à grand spectacle destinée à nous égarer. Que sont les documents devenus ? comme le chanteraient vos vieux poètes. Qui les détient ? Qui a récupéré la valise ? Vous ?

Le regard qu’il porte alors sur ma personne achèverait de faire basculer la tour de Pise sur un monceau d’appareils photographiques japonais.

— Non, pas moi.

— Alors pourquoi tous ces gens sont-ils persuadés que vous la détenez ? Il n’y a pas de fumée sans feu, bon ami. Les Siciliens, qui ont flairé la bonne affaire, croient ferme que vous l’avez récupérée, et les copains du « Code Z » également. Pour ma part, je vais vous dire…

— Disez, boss, disez !

— Je ne suis pas certain que vous l’ayez, mais je pense que vous êtes bien placé pour l’avoir ?

— Expliquez-vous, ça m’intéresse…

Il va pour, seulement, tu sais quoi ? Le capitaine pour bateau pirate aperçu à l’arrivée radine en trombe dans le salon.

— La police portuaire italienne ! annonce-t-il. Leur vedette pique droit sur nous.

— Et alors, nous sommes en règle, non ? objecte mon hôte.

— Lui aussi ? demande, en me désignant, le gros sac déguisé en officier de marine.

— Moi aussi, certes, fais-je, mais n’oublions pas, cher boss, qu’ici la maffia est souveraine et… qu’elle me recherche.

— Well, well ! rétorque pertinemment l’homme aux favoris gris frisés. Malcom, conduisez notre ami dans la planque si vous en avez le temps.

L’officier de marine m’adresse un hochement de menton comminatoire. Je le suis. On dévale dans la coursive. Il m’entraîne au pas de charge jusqu’à la cabine du fond.

Je regarde le logement, surpris. Une planque, ça ? Elle est sèchement meublée de l’essentiel, à savoir d’un lit et d’une penderie fermée par un rideau. Deux hublots l’éclairent. C’est alors que mes sens hallucinent, camarade. Magine-toi que le commandant Malcom fonce droit au hublot situé le plus près de la poupe. Il biche la poignée de cuivre, tire un bon coup. Le hublot s’ouvre, avec ses rivets, ses boulons et tout. Il s’agit en fait d’une trappe verticale. Au lieu de la mer que je voyais danser le long des golfes clairs, une seconde auparavant, j’ai plus qu’un trou sombre. Et alors, tu vas comprendre, c’est du travail d’illusionniste : derrière le hublot, on a aménagé un système optique dans un gros conduit coudé, comme pour un périscope. Si bien que la mer, mon pote, elle est pas juste derrière le hublot, mais un peu plus à droite. En face, c’est effectivement une cachette sombre, prise dans la courbure de la poupe. Oh, y’a pas de quoi s’y installer avec sa femme et sa belle-mère. Mais quoi, un julot normalement constitué peut y tenir. Le commandant m’aide à m’insinuer dans le goulet et il referme le hublot, ce qui m’oblige à me tasser sur mes cannes, biscotte l’appareillage optique qui en mène large. Un peu diabolique sur les bords, hein ? Là, espère, c’est vraiment la planque idéale, sans discussion. N’importe quelle pomme pénétrant dans cette cabine, je la mets au défi d’y flairer du louche. Il sondera le plancher, le plafond, les cloisons internes, mais jamais la coque du barlu, du moment qu’il voit la mer derrière. Chapeau, ces Ricains, quand ils se mettent la cervelle en position de suractivité, on peut leur faire confiance quant au résultat.

Me reste plus que d’attendre la fin de l’alerte, en espérant pour mon futal qu’aucune envie de licebroquer ne me prendra.

Dans ma guitoune, la vie est contractée jusqu’à sa plus simple, mais plus belle expression : moi. Il m’est impossible : d’y jouer au tennis, d’y embroquer une fille, ni de m’y faire une réussite, à l’instar de notre bon de Gaulle qui est mort juste après qu’il en eut fait une (à propos, on n’a jamais su s’il l’avait réussie ?).

Je respire à un trou gros comme une pièce de deux francs percé dans la paroi. Cet orifice me permet de visionner la petite rade, le port au loin, avec ses pêcheurs raccommodant leurs filets. Mon bide émet des glouglous désespérés, car la faim me tenaille. Mais il n’est point l’heure de l’omelette au lard, fiston.