Ce que je voudrais trouver aussi rapidement, c’est ce qu’est le « bain quatre ». Mais là, j’ai beau chercher, échafauder, tripatouiller ces deux mots, ils gardent leur mystère, probablement qu’ils correspondent à quèque chose de propre à ces bonnes gens et qu’il est impossible de deviner.
La noye étant tombée délicatement, je décide d’abandonner cette nécropole flottante pour gagner des lieux plus hospitaliers, comme on dit quand on cherche ses effets.
Me v’là qu’arpente la coursive.
Je visionne une dernière fois le ventre du barlu fantôme. Et je remarque que, tout comme à bord d’un paquebot de ligne, les cabines sont numérotées. Oh, il s’agit d’une simple petite plaquette ovale apposée au-dessus de la serrure et comportant un chiffre en réserve. La « 4 » est celle où fut assaisonné le cuivré. Ces mecs, si j’étais moins feignasse, j’aurais pu leur affubler un nom, tu vas me dire, mais pour l’usage que je fais d’eux, ça ne vaut pas le coup de se cailler les cellules grises, hein ?
Bien. Je passe outre. J’outrepasse.
Cabine « 4 ».
Le bain « 4 ».
Y’a une salle de bains dans cette cabine ?
Moui.
Banale, rudimentaire.
Presque tout de suite, une chose particulière m’attire l’attention. Je vais t’expliquer. Le bec verseur du robinet est très long et descend jusqu’au fond de la baignoire. C’est pas banal, tu conviens ? Je l’ouvre. Et aucun liquide ne coule. Pourtant, un chuintement retentit. On dirait que du gaz s’échappe. Et puis, attends, je t’oublie le principal : cette baignoire comporte un couvercle. En plastique blanc. Il est accroché à la cloison par un piton. Moi, ça me cigogne les esprits, cette combine. Alors, tu sais quoi ? Je vais récupérer le cuivré qu’est raide comme ma zézette dans la main d’une âme sœur et je l’installe dans la baignoire. Qu’ensuite j’ajuste le couvercle par-dessus.
La marmite norvégienne. Faut laisser mitonner à feu doux. Attendre un peu. Ou longtemps, j’ignore. Le gaz continue de siffloter dans le récipient émaillé. S’agit-il d’un gaz asphyxiant ? Cette baignoire bizarre sert-elle à liquider des contestataires ? En ce cas, c’est pas en y plaçant un gus déjà mort que j’en aurai la preuve. Alors, pourquoi tenté-je une expérience avec le cuivré ?
Histoire de passer le temps, je m’équipe. Le sol sicilien est malsain pour moi et je préfère me couvrir. En dix minutes, me voici transformé en arsenal ambulant. J’ai un pistolet mitrailleur accroché à la ceinture, deux « feux » extra-plats dans les vagues de mon bénouze, deux autres dans celles de mon veston, des calibres plus confortables, ceux-là. Je te cause pas des munitions de rechange, et, pour compléter mon équipement du parfait petit scout, je glisse dans mes chaussettes deux couteaux très effilés de la lame avec leur gaine de cuir souple. De quoi tenir un siège (et non pas un cierge, comme une vieille frappe de mes amis prédilectionne).
Je retourne à la cabine number 4.
Je soulève le couvercle, en me retenant de respirer, pour si des fois le gaz de perlimpinpin possédait des propriétés nocives.
Et je fais bien de me retenir de respirer vu que je manque d’air, tout à coup.
La baignoire est vide.
T’entends, visage de nœud ? Vide ! V.i : vi ; d.e : de ! Anéanti, le cuivré, désintégré absolument. Disparu de ce monde. Non avenu. L’oubli est plus concret qu’il ne l’est à présent. À sa place, y’a la transparence, le rien intégral. J’ai transformé sa carcasse en prototype d’absence complète et définitive. Tu te rends compte, l’importance de cette invention ? Pouvoir faire disparaître totalement un mec, sans qu’il subsiste de lui la moindre dent en or, le plus minuscule poil de derche, la plus petite boucle de ceinture ?
Mais v’là qu’un frisson rétrospectif me dévale le toboggan culier. Le message… On ordonnait ni plus ni moins à mes copains de me gommer d’urgence… Sans l’intervention du commando de choc, j’y passais. Bye-bye Sana ! On aurait jamais plus entendu parler de bibi. Félicie se serait consumée dans les attentes, sur le pas de sa porte. Son grand fiston eût été rayé de la planète, changé en air. Dis, le cuivré, sûrement que je le respire, en ce moment.
Affolé à cette perspective, je me barre du bateau fantôme.
Le canot ronronne fort dans la nuit étoilée.
J’ai l’impression que ses pétarades doivent s’entendre jusqu’à Rome. J’hésite sur la direction à adopter. Dois-je rallier le port, ou au contraire aborder dans un coin désert ? La prudence me fait pencher pour la seconde solution. En vertu de quoi, je pique sur un point escarpé de la côte.
Une petite crique me croque.
Je coupe les gaz et saute entre des rochers. Vite se remuer le panier, mon z’ami. Cette situation n’a que trop duré. Jouer les outlaws, c’est pas dans mes emplois. Je me fais l’impression du gars en cavale que le moindre bruit fait sursauter. Va falloir tenter le gros coup et pas lésiner sur mes instincts Bayard. Passer à la contre-attaque d’urgence.
Comme je parviens au sommet de la falaise, j’entends un grand cri de détresse dans le landerneau. J’aperçois, à pas cent mètres de moi, une voiture arrêtée. Une femme vient d’en jaillir et s’enfuit à toute jambes dans la nuit, aussitôt coursée par un individu qui la traite de « charogne » dans la langue du Dante (il pourrait choisir plus mal).
Cet enfoiré va la rattraper si Santantonio n’intervient pas. Mais San-Antonio intervient. Tu connais l’homme ? Tu sais tout de son chevaleresque comportement. La manière téméraire qu’il bondit quand, d’aventure, une faible créature est en danger. Tout de suite, il tire l’épée du fourreau. Un mousquetaire, je te dis. Le dernier. Après lui, finitas. T’auras plus que la tourbe malséante des bousculeurs de dames, des monopoliseurs de places assises, de ceux qui conservent leur bitos dans l’ascenseur.
La moche cohorte des vilains qui ne posent même plus leur pantalon pour limer, tellement qu’ils sont goujats et qui lisent le journal pendant qu’on les pipe.
Santonio, tu parles. Il est le tout ultime rejet de la galanterie françouise. À lui, Auvergne, ce sont les ennemis !
— Stop ! hurle-t-il.
Et de dégainer l’une de ses arquebuses.
Un coup de semonce dans les étoiles. La douille éjectée me taque sur l’oreille. L’automobiliste s’arrête de courir. Puis repart, la tête rentrée dans les épaules, mais en direction de sa pompe, cette fois. Tu le verrais la réintégrer en catastrophe. Bazu ! Démarrer comme un fou, sans seulement prendre le temps de claquer la portière. Marche arrière démente qui manque le précipiter de la falaise. Puis marche avant. Il louvoie. Sa porte claque. Je le vois décrire quelques 8 sur le chemin poussiéreux. Enfin il atteint son plein régime, comme un bananier, et disparaît.
Ne reste plus, à l’horizon, que la lumière orangée de l’Etna, voilée de fumée.
Je scrute la lande.
Ne vois personne.
— Ho ho ! chantonné-je, d’un ton rassurant.
Rien.
— Ben vous pourriez dire merci ! lancé-je, en italien d’abord, ensuite en français et enfin en anglais, que si ça te suffit pas, t’as qu’à aller chez Mister Berlitz pour le papou et le sanscrit moderne.