Au bout d’un instant, quelque chose remue derrière une touffe de cactus mal rasés. La femme réapparaît. Je la rejoins.
Dedieu ! Y’a des nanas qu’il fait bon sauver ! Cette môme, espère, mériterait d’être éclairée au projecteur. Ce que je vois d’elle me donne envie d’en savoir davantage et ce qui me déboulonne l’aorte, en priorité-double-taxe, c’est avant tout sa blondeur. Dans la pénombre, tu pourrais penser qu’elle a les cheveux blancs, cette Ninette.
Mais attention ! C’est de la grand-mère grand luxe. D’une deux-douzaines d’années environ, avec une queue de cheval (et moi donc, quand je la regarde !), un regard qui doit être vert pâle ou bleu ciel-de-printemps. Une poitrine électrisante. Un ventre admirable, recouvert d’un fin duvet blond qui scintille à la clarté lunaire comme un nani machin dans le chose trucmuche de la rosée (d’Anjou). Ici, tu mets la métaphore de ton choix ; selon tes humeurs poétiques, ton vague à l’âme, ta tension artérielle, ton bagage universitaire et la grosseur de tes testicules. Je peux causer de son ventre, à cette jouvencelle, car elle est fringuée de la manière ci-dessous : un short extrêmently short, et une liquette aux pans noués au-dessus du nombril (je devrais dire son nombrille biscotte le fin duvet scintillant). Pour terminer, des espadrilles. Mais ça, c’est pas gênant et elle peut les conserver en toute circonstance, sa voûte plantaire n’étant pas destinée à participer à mes félicités sexuelles. Note que la godasse féminine a son rôle à jouer lorsque ta partenaire porte des escarpins à talons aiguille dont elle t’éperonne les noix en bouillavant, exercice très stimulant, recommandé aux jockeys, ou bien quand elle a des bottes montantes. Mais enfin, là n’est pas la question, du moins pour l’instant, car mézigue, tu me connais ?
Passons.
— Et alors, mon trognon, j’y dis familièrement, qu’est-ce qui vous est arrivé ?
Elle murmure :
— Vous parlez anglais ?
En anglais.
— Oui, que j’y fais, dans le même idiome. Vous êtes Anglaise ?
— Non, Suédoise.
Si j’étais un auteur facile, je m’empresserais de te dire que c’est à cause de sa nationalité qu’elle m’enflamme, mais tu parles que je vas m’en garder bien, qu’ensuite on se torpille sa réputation et compromet son avenir littéraire. Et alors, c’est quoi, la vieillesse d’un romancier, s’il n’est ni membre, ni décoré, ni reçu ? La gueule rigide des z’huppés auxquels on te présente, mon neveu ! Leur haut-le-corps. La main tendue à regret, molle et moite de répulsion, et qu’ils s’hâtent de se torchonner au bénouze pour décamoter la merde qui pourrait subsister de ta dernière prestation épistolaire.
Le regard de poisson en conserve, tout rond, tout ailleurs, plein d’un méprisant cloaque. Compte qu’ils vont t’appeler cher maître, ces birbes, avec leur bouche en forme de pince à sucre. Ils font semblant de t’ignorer la carrière. Se gardent de toute allusion. Ils te préféreraient gandousier. Là, p’t-être, ils consentiraient à te causer boulot. Te demanderaient au moins si ça marche, les affaires. Mais écrivailleur de calembredaines, c’est pestilentiel, dégradant. Ça rejaillit sur l’espèce entière. Tout le monde en subit les éclaboussures. Le romancier, pour être respecté, faut qu’y soye aussi homme de lettres. Bien tartant, pompeux, verbeux, docte. C’est pourquoi je cantonne dans la bienséance, tu remarqueras. Je me fais oublier le passé. Je me virginise le style en déployant les grands artifices. Pas bête, hein ? P’t-être qu’un jour je serai amnistié. On me laissera mourir dans le rang, en bout de file, en bout de table, mais parmi. Je serai gracié à force d’application. Ils diront : voyez, il avait bon fond, ce Santonio. Il était récupérable. L’âge lui a dessillé les yeux. Il a compris où se trouvait la vérité. Regardez comme il suce bien, à présent. Comme il dit bien bonjour en écrivant. La manière cérémonieuse de son style. Vieille France, pratiquement. Il n’aurait écrit qu’un livre, on le mettrait à l’Académie. Et moi je déconne tandis que la sublime blondine continue de me fixer avec ses grands yeux couleur de lacs scandinaves. Mon feu l’inquiète. Je renfouille. Ça lui calme l’anxiété. Elle me narre ses mésaventures. Son blaze : Ulla Hopp ; profession : secrétaire de direction. Elle est partie en vacances en stop. Destination : Palerme. Tout a bien marché jusqu’à Messine. Elle a réussi à parcourir plus de deux mille bornes rien qu’avec trois pipes et un broutte-minou, ce qui est donné, tu admets ?
Elle a une amie qui, l’an dernier, sur le même périple, a dû se respirer seize passes complètes dont une douzaine en plein air, même qu’elle s’est planté des épines de pin dans les miches qu’ont dégénéré en abcès, te dire !
Bon, en fin de journée, un vilain l’a chargé à la sortie de Messine. Au bout de vingt bornes, il a exigé la gâterie de péage. Bon, elle n’avait rien contre, Ulla. Elle sait vivre. À son âge (en définitive elle a 25 berges), elle n’ignore pas le prix du kilomètre. Quand tu ne paies pas de ton morlingue, tu dois payer de ta personne, it is la règle du game, non ? Où ça irait, sinon ? Fort de ces conventions aussi collectives que tacites, elle accepte donc de lui décoiffer Popaul, à l’aimable tomobiliste. Il exigeait qu’une petite pompe expresse, vite-fait, à la speed limit. Les Ritals du sud, faut leur reconnaître qu’ils sont en manque de ce côté-là. La pipe, c’est mal vu chez les Méditerranéennes. Elle te bouffent des trucs à l’huile qui feraient dégobiller un mulot, mais des pafs, ça jamais ! Alors, tu penses, un Sudiste qui voit s’annoncer une belle Scandinave délurée, s’il s’empresse de lui faire déguster son panoche ! Bravo. Le mec déballe Coquette. Et alors, la gentille Ulla pousse un cri de terreur, d’horreur, de répulsion, de tout ce que tu voudras. Elle a cru voir une illustration de planche médicale en couleurs, chapitre des maladies vénitiennes. Il avait le chibre en déconfiture, son chauffeur. De la zobanche hautement délabrée, meurtrie par les vilaines fréquentations. Un panais qui partait en c… somme toute ! De quoi gourer un mycologue. Lui faire croire à une amanite monstrueuse et déliquescente. Un objet pareil, c’était incasable. La plus ringarde pédale, sevrée de rond depuis vingt ans, aurait refusé l’admission, prévenu la police. En guise de pompiers, c’étaient ceux de la caserne Champerret qu’il lui eût fallu, au signore, histoire de lui éteindre l’incendie.
Tu penses, l’Ulla, en matant ce champignon anatomique, sa panique, si elle a pris le dessus ! Elle s’est vue ensemencée de bubons, la pauvrette, couverte de plaques vertes, comme la carte du delta amazonien. Voir Palerme et mourir ! Comparé aux zobs sous cellophane de ses compatriotes, tu juges ? Bien aseptisés, eux-zautres, bien neutres, proprets comme des chalets suisses, pas flambards, sans initiatives, certes, mais d’une fraîcheur irréprochable. Pasteurisés, dépourvus de microbes au tout jamais. Rose pâle comme des queues de cochon, avec aussi des poils blonds, mais sans danger. Elle a dit non. Il a insisté. Plus elle regimbait, plus il voulait lui coller son sorbet framboise en digue-digue dans le clapoir. Il a dû stopper ici, en rase camberousse pour perpétrer ses violences. L’empoigner par la nuque pour la forcer d’y aller au potage. Il la traitait de chichiteuse. S’enrognait. Sa biroute gesticulait, postillonnait. Dans un sursaut, elle a réussi à sortir de l’auto, la môme. Et puis, Saint-Christophe-Antonio ou San-Christophe, l’a sauvée. Seulement le chetouillé s’est barré avec son sac tyrolien. Si bien qu’elle est à la route complètement, la chérie. Plus de fringues, d’argent, ni de papiers. Le dénuement total. Un short, un slip, une liquette, une paire de sandales, voilà tout son viatique. Et tu veux faire quoi avec ça ? Aller où ? Le consulat de Suède ? Y’en a un à Palerme, seulement ? Ses vacances sont mortibus. Finies à peine que commencées. C’est la faillite. Elle pleure.