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Alors, moi, je joue mon rôle de consolateur. Du coup j’oublie que je suis traqué, noyé dans le sirop de chiasse, coupé de Béru, recherché par la maffia, les services ricains, et consorts.

J’arrondis mon bras. Le preux Sana ! Donnez-vous la peine de bicher mon aile, Mam’selle. J’ai de l’argent, du courage, et un gourdin aussi comestible que s’il sortait de chez Olida. Tant que ma main droite pourra tenir une arme et dégrafer ma braguette, vous ne risquerez rien, ne manquerez de rien et votre horoscope restera au beau fixe.

Elle en pleure de reconnaissance. Et pourtant, en Suède, à part de froid ou des films d’Ingmar Bergman, tu pleures de rien, généralement. C’est du socialisme sec, là-bas. Tout le monde souffle dans le ballon de son self-contrôle. On marche à grands pas juvéniles dans les plantes grasses bordant le littoral.

Je me dis qu’après tout, cette rencontre avec Ulla risque de m’être précieuse. J’ai besoin d’aide. Pour peu que je susse la manœuvrer adroitement.

Après tout, cette rencontre avec elle va me servir d’auxiliaire dans les endroits qui me sont prohibés… Elle va devenir mes mains d’acier, comme celles dont usent les savants pour tripatouiller des chieries radioactives dans des cages de verre.

Elle me demande qui je suis.

Je lui explique sommairement. Agent secret. France d’abord ! Scout toujours… prêt !

Joignant l’humectage à la parole, je ponctue d’une pelle avant-coureuse. À ma façon de rouler la menteuse, elle pige qu’elle n’est pas tombée sur un novice et que lorsque l’heure sera venue pour Lagardère d’aller t’à elle, il ne lui récitera pas les cours de la Bourse.

* * *

Mandolina est une charmante localité, lovée dans une petite baie à une certaine distance de Catane[2].

On y parvient dans la soirée, entre telle heure et telle autre ; mais à peine.

L’Albergo est encore ouverte, et des types y jouent au Tchicalamore, ce jeu typiquement sicilien, qui consiste à en prendre trois et à laisser l’autre, mais obligatoirement dans le sens de la largeur et sans changer d’atout. Un couple grassouillet le gère aimablement parmi une gonflée de marmots somnolents que personne (hormis leur propre sommeil) ne songe à envoyer se coucher. Je demande s’il y a une chambre, vu que nous sommes des jeunes mariés en panne de voiture. La dame aubergiste nous sourit sous sa belle moustache frisée et nous emmène dans un appentis voisin où se trouve aménagée une chambre luxueuse, dont les murs de pavatex sont tapissés de journaux et dont le mobilier de style se compose d’un magnifique sommier, défoncé par des rages de cul, d’une chaise dépaillée et d’une cuvette d’eau ébréchée. J’oubliais quatre clous à tête ronde de gaulois dans la cloison principale, auxquels nous suspendons nos effets et moi mes armes.

Une bougie pour tout éclairage. Mais sa flamme dodelinante exalte fabuleusement les volumes de Ulla. Elle est d’une blondeur forcenée, cette petite mère, au point que, sur son bronzage, sa toison isocèle ressemble à un cache-sexe de satin blanc.

Je remercie avec vigueur le ciel clément de m’avoir envoyé ce ravissant sujet par les voies imprévisibles de Sa providence, et le prie d’agréer l’expression de mes sentiments respectueux. Ensuite de quoi j’éteins la bougie, non que j’aie besoin de son concours, mais parce que nos ébats risquent d’être tumultueux et qu’il me déplairait qu’un fâcheux incendie les écourtât.

Tumultueux, ils le sont.

J’ai déjà eu l’occasion de traiter du comportement plumardesque des demoiselles scandinaves dans le meilleur de mes San-Antonio[3], aussi n’y reviendrai-je que pour mon agrément personnel et la libération momentanée de mes glandes. Mais dis-toi bien, l’ami, que cette séance sera mémorable.

À priori, une dame n’a que trois manières de t’agrémenter la vie : en ôtant sa culotte, son gant ou son dentier. Et pourtant ! Et pourtant… Et pourtant… Oh ! là là ! Oh ! mon Dieu ! Que d’ingéniosité est à déployer chez une nature d’élite. Comme l’inspiration est bonne à subir. Comme la bonne volonté va loin. Comme la pudeur peut être bien neutralisée ! Comme on parvient à faire un tout avec des riens ! Comme des détails innocents s’érigent en grand savoir !

J’ai eu loisir de constater, au cours de mes années de spasmes, qu’une partenaire ardente t’apporte immanquablement du nouveau. Parfois, c’est un granité de peau que tu ignorais, parfois une émission d’ondes inconnues, d’autres fois encore des applications apparemment sans rapport avec l’acte d’amour, mais qui conjuguées avec des auxiliaires classiques découvrent un étage ignoré de ta fusée porteuse. Oh oui, toutes ces belles coquines, reines-magiciennes généreuses, déposent une offrande nouvelle là où ça te fait le plus plaisir.

Moi, tu n’en disconviendras pas, sinon tu prendrais ma main sur la gueule, je déteste tomber dans le scabreux. Une solide éducation à base de catholicisme bien infiniment précieux pour qui doit évoluer dans une société nantie : le sens de la retenue.

Je me retiens donc.

C’est dommage et douloureux comme un besoin de se gratter insatisfait, mais je me retiens.

Car si je ne me retenais pas, rien ne pourrait me retenir. Et alors je me retiendrais plus, comprends-tu ?

Tu imagines, un grand écrivain bourgeois qui ne se retient plus. Qui écrit sous lui ? Sans seulement s’excuser. Putain, ce chantier que cela donnerait.

Donc, jouissant (comme une vache) de ce sens de la retenue propre aux individus évolués, je ne t’apprendrai d’Ulla qu’une chose : elle est contractile.

Toutes les femmes, me diras-tu ? Oui, mais je te répondrai « plus ou moins ». Chez la plupart, ça reste modeste, même si elles mettent tous leurs efforts à l’être. Dans le cas d’Ulla, sa con-traction est intense. T’as déjà vu une solide fermière traire une solide vache ? Eh ben voilà. Ça ! Like this, comme disent les étudiants français qui apprennent l’anglais. Kif-kif pareil. Tu peux pas te figurer, comme sensation, ce que ce mouvement peut donner. T’as l’impression d’avoir engagé ton polux dans une moulinette électrique. T’es positivement happé. On dirait qu’on te l’embarque dans une essoreuse, qu’on te la tréfile, qu’on veut plus te la rendre ; qu’elle est perdue corps (c’est le cas d’y dire) et biens. Que tes deux petites compagnes vont disparaître itou, engloutir à jamais. Tu paniques, tu dépêches de te foutre à marée basse. Tu reprends tes billes pour rentrer chez toi. Pas de ça lisette ! Et puis, irrésistiblement, le frifri de la mère Ulla te réinsère dans son diabolique circuit. T’emmène aux abîmes. T’absorbe comme le boa absorbe son rat : par la tête. Tu repars, tu te rallonges. Cette fois, ce sera la bonne. On te reverra plus. C’est pas seulement tes philippines qui vont se barrer en sucette, mais tout toi. Tu fais adieu de la main, t’envoies des baisers à la ronde. Tu te mets en V, comme de Gaulle, que j’avais toujours l’impression que l’estrade lui cédait sous le poids, au pauvre. Tu te remplis les poumons d’air salubre, t’en fais une forte provision. Un stock. Tu te dis que ça pourra toujours servir. Et t’es tout surpris de pouvoir revenir sur tes premières positions, intact. T’ébroues sur la berge dorée de sa chaglaglatte. T’en reveux. Ça devient indispensable à ton équilibre psychique. Tu retournes à l’happage. Tu frises les voluptés. Joues avec. Roulette russe de l’amour en pâmade. Jouira-t-y, jouira-t-y pas ? Elle t’extrait de toi-même, la Ulla. Te fait pressentir ce qu’est le destin du suppositoire. On dure le plaisir tant que ça peut. C’est elle qui craque du sensoriel, en premier. Qui déclare forfait. « Oooooh Yéééééééé », elle crie. Et puis tout se relâche. Finies les contractions abyssales. Tu te retrouves tout con, tout désorganisé, vadrouilleur, pataugeur. Tu t’arranges bien mal que tant pour t’organiser un panard de secours… au pied levé. Le genre petit fade pique-nique à emporter. La défoutranche au plus juste. Le rabais de l’extase. Sous cellophane. Trois pour le prix d’un. La nouvelle race de magasin ! Tu lâches ton lest en catastrophe. Emballage perdu ! La cargaison à la mer ! Tu finis en solitaire. T’as l’impression d’être le dernier marcheur de Strasbourg-Paris, çui qu’arrive quand tout le monde est rentré chez soi et qui finit pour dire de finir, et aussi parce qu’il a pas d’argent sur lui pour prendre l’autobus. Bon, si ça devait réitérer, Ulla et moi, faudrait que je m’organise. Que je passe outre mon sens des convenances, ou plutôt que je passe devant. Pas attendre la dame, pas trop. C’est une gonzesse sur laquelle tu dois coûte que coûte t’aligner pour en tirer la quinte essence. Avec elle, si on met pas les montres à l’heure, on va au désordre. À la dislocation du cortège avant l’arrivée. Elle est comme les Ferrari, Ulla : c’est dans la minutie du réglage que résident les performances.

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2

Ça, c’est pour te donner un exemple de l’art d’écrire pour ne rien dire.

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3

Les prédictions de Nostrabérus.