Calmé, malgré ses brisures, le client rentre dans son pantalon d’abord, chez lui ensuite.
Mon pote l’escogriffe ordonne aux assistants de se déguiser en absents, ce qu’ils font en maugréant, à la fois soumis à la volonté de ce dur et troublé par les menottes qui l’entravent.
Bref, on reste seulâbres avec la sainte famille Fauchemane : grand-père, mamma, mamz’elle l’épongeuse et l’escogriffe, lequel doit être soit le frère, soit l’époux de cette dernière.
J’empare un siège, m’assois, et place la valise sur la table, près de la bassine à aubergines épluchées.
L’ouvre.
Elle contient du tout-venant : limouilles, baveuses, slips, rasoir électrique, trousse de toilette. Je dépiaute le fond de la valise, démasquant un petit mécanisme extra-plat, logé dans une lamelle de polyester. Puis je montre mon appareil à cadran. L’escogriffe regarde. Quelque chose commence à lui faire de l’aurore boréale au fond du cassis. Je stoppe le mécanisme du petit émetteur fixé à la valise. Illico, mon récepteur devient noir et muet.
— Compris ? demandé-je.
Bérurier clape de la langue et murmure, pénétré :
— C’est technique.
Notre homme hoche la tête. Une question lui vient, normale, honnête, si j’ose dire.
— Pourquoi ?
J’en comprends le sens.
Pourquoi vouloir le piéger ? Si j’étais Italien, il admettrait la feinte policière. Mais il le voit bien que je ne suis pas un compatriote. Alors, pourquoi ? Pourquoi venir d’ailleurs pour le confondre ?
J’empoche mon petit appareil.
— Spionaggio ! je laisse tomber froidement.
La gragravosse pousse une plainte et se signe. Elle devine la toute grande béchamel. Le vieux soupire un truc en guirlande dont la traduction littérale devrait donner « sacré bon Dieu de bordel de merde ». Quant à la fille blonde, elle s’approche, fascinée, en tenant sa robe à trois lires contre elle, histoire de planquer l’essentiel de sa nudité. Ce que voyant, Béru la contourne, mine de rien, pour pouvoir explorer la face cachée de sa lune.
Le type au lingue répète :
— Spionaggio ?
— Si.
Un silence.
La mamma se met à larmoyer :
— Spionaggio !
Et elle re-signedecroise, manière de conjurer le plus gros des forces funestes dont elle sent passer le courant dans sa taule.
J’allonge paresseusement mes bras sur le couvercle de la valise.
— Quel est ton nom ?
— Donato Convolvolo, me répond docilement le volvoleur.
— Écoute bien ce que je vais te dire, Donato. Ton trafic, je m’en tamponne. Tu pourrais faucher n’importe quoi à l’aéroport, depuis le bandage herniaire du chef d’aérogare jusqu’à un Boeing 747 que ça ne ferait pas bouger ce petit doigt.
Il regarde mon petit doigt dressé.
— Tu me suis ?
Opinage du gars.
— Bon. Tu veux me dire la date d’aujourd’hui ?
Il réfléchit et propose :
— Le 2 juin ?
— Exact, fiston. Nous sommes le 2 juin. Le 24 mai dernier, une valise a été volée dans ce même aéroport de Catane. Une petite valise noire samsonite, qu’on appelle en bon français un attaché-case. Cette valise, Donato, tu vas m’aider à la retrouver. Si tu y parviens, je te donnerai cent mille lires. Si tu n’y parviens pas, tu ne verras pas le 2 juin de l’année prochaine parce qu’il y a des choses dans notre job qui ne se pardonnent pas.
La mamma glapit « Madonna ! »
Tombe à genoux.
Récite à cent vingt à l’heure l’avant-propos du « J’ vous salue Marie ».
Me supplie d’épargner son fils (tu vois : c’est son fils). Elle me donnera tout ce qu’elle possède, sa grande fille nous taillera des pipes, elle nous tricotera des pulls, dira des neuvaines, des dix-huitaines, des trente-sixaines à notre intention. Elle fera brûler des cierges. Voilà : son mari est mort dans un accident de Vespa, y’a cinq ans. Ils étaient sans ressources. Il a fallu se retourner.
Les larmes forment un rideau de pluie autour de sa grosse face bouffie. Elle tord ses poignets potelés, elle potèle son menton, se remonte les nichemards à pleines brassées, entrecoupant ses gestes d’oraisons, de prières, de suppliques.
Je profite d’une quinte de toux de la dame pour lui dire ces paroles désespérantes :
— Madame, ce n’est pas moi qui commande, et s’il faut tuer, ce n’est pas moi qui tuerai. Je ne peux rien pour lui, c’est lui qui doit s’arracher à ce merdier. Lui seul.
Donato est très pâle. Pourtant, sa cervelle conserve sa liberté de manœuvre.
— Je ne suis pas le seul voleur de l’aéroport. Le 24 mai, justement, on était à un mariage de notre cousin à Syracuse. D’ailleurs, je ne suis de jour que les dix premiers jours du mois. Les dix autres, je suis de nuit, et les dix derniers de repos.
Mon rire silencieux, dont j’affûte la cruauté, le réduit au silence, lui remet des inquiétudes couleur de crêpe au cœur.
— Je m’en fous, Donato. Si tu n’y étais pas, tu dois trouver qui a volé la valise en question. J’en ai une toute pareille dans le coffre de ma valise, ainsi que la photo du type à qui on l’a prise. Dans votre activité, vous avez des règles, et même des horaires, tu viens de me l’avouer ; alors déniche-moi le voleur si tu souhaites devenir vieux.
La mamma se jette sur son grand garçon en le suppliant d’accepter. Sinon, elle nous aidera, elle. Elle fouillera tout Catane, maison après maison, pour nous la retrouver, cette putain de chierie de valise.
Le gars rebuffe en patois sicilien. J’entrave que pouic. Leur converse est véhémente. D’un coup de poing, je leur coupe la diatribe.
— Parlez italien !
Mais ils se taisent.
— Donato ! appelé-je au bout d’un petit broutillard de moment.
— Si, signore ?
— Vous ne paraissez pas d’accord, ta mère et toi ?
Il hausse les épaules.
— Elle ne comprend pas, dit-il.
— Quoi donc ?
— Vous lui faites peur, alors la situation lui échappe. Ce n’est pas si facile que ça, ce que vous demandez.
— Il me semble que rien n’est plus aisé au contraire… Retrouver le voleur qui m’intéresse est un jeu d’enfant pour toi.
Il crispe ses mâchoires.
— Mais après ? demande-t-il. Chez nous, on ne donne personne. Ou alors on le paie. Je ne suis pas certain que les vôtres me tueront si je ne vous donne pas satisfaction ; mais je sais que les miens le feraient si je les trahissais. Vous voyez, je vous parle net.