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Il consent deux pas dans ma direction ; j’en opère deux autres dans la sienne, l’oblige à pirouetter afin d’ausculter ses vagues, récupère le ya monumental qu’elles recelaient pour en enrichir mon arsenal.

— Asseyons-nous, maintenant et bavardons, mon fils.

Il opte pour une attitude hermétique. Le côté : je n’ai rien à vous dire, je vous ignore, et quoi que vous fassiez je vous compisse l’honneur. Mais moi, franchement, ça ne m’impressionne pas. J’ai des arguments. Faut toujours en avoir, c’est le meilleur matériel de dissuasion et de persuasion qui existe, l’argument, quand il est en bon état.

Ulla a attaché le mulet à un arbrisseau, dans un rond d’ombre. Le faux bourrin bat des oreilles pour chasser les mouches. De temps à autre il piaffe. Ça produit un bruit rond, sec, de branchage brisé. La chaleur devient insistante. Je contemple Aldo. Il essaie de soutenir mon regard, puis finit par détourner les yeux. Ulla s’assied sur un tronçon de poutre fusé. Ses cuisses, mon pauvre ami, tu les verrais, tu ne penserais plus à ton tiers provisionnel. Je m’arrache à la félicité de l’instant. Les moments de rémission, tu les vis à l’improviste, toujours. Il ne sert de rien de vouloir les organiser car ils sont imprévisibles. C’est une harmonie de tes glandes, de tes pensées et de l’ambiance. Un accord général si précaire qu’il s’effrite sitôt que tu l’as réalisé.

— Eh bien, grogne Donato, vous vouliez me dire quoi ?

Bon, ça, l’impatience. Elle dénote une faiblesse à exploiter.

— Tu sais ce qu’est devenue ta frangine, Donato ?

Là, j’ai mis juste. Ses yeux se font pointus.

Il ne répond rien.

— Tu le sais ou tu ne le sais pas ?

Un haussement d’épaules. Vague. Selon moi, il se doute du destin de la môme mais préfère n’en pas parler.

Je désigne l’Etna, posé sur l’île, droit devant nous, avec ses pentes noires et ses vapeurs blanchâtres tout au sommet, comme un monstrueux rond de fumée tiré d’un cigare géant.

— Oui, elle est là-haut. Tu aurais vu ce valdingue affreux. C’est un vieux fumier, le père Cesarini. À mon avis, il manque d’humour et prend l’honneur trop au sérieux. Le sens de l’honneur, c’est une plaie de l’humanité, je me demande s’il n’est pas préférable de n’en pas avoir du tout.

Il m’a écouté.

A regardé l’Etna et s’est signé. Il se gaffait du coup, mais n’en était pas sûr. Je viens de lui confirmer le décès prématuré de sa frelotte. Un coup de buis sur la noix ! Un coup de flou. Si je te disais qu’il a des larmes aux yeux, le Donato ?

Je laisse filer du silence. Ulla, qui ne jacte pas très bien le rital, se désintéresse de la converse et tresse trois tiges de fleurs déjà sèches, de ces fleurs du sud, si sobres qu’elles ont l’air artificielles, même quand elles sont sur pied.

— Vois-tu, Donato, je n’aurais qu’un mot à dire au Dom pour que tu ailles rejoindre ta sister, là-haut. Et c’est pas Haroun Tazieff qui pourra aller te récupérer avec son slip d’amiante et ses lunettes de soleil en choseblic renforcé.

La menace le distrait de sa peine.

Il froncelessourcile[4] et sa bouche s’écarte pour une muette interrogation.

— Ça concerne la valise, toujours et encore, mon biquet. La valise for ever. Je vais te rappeler ton comportement après ma visite chez toi, fils. Tel que je l’ai reconstitué dans ma magistrale cervelle à force de réflexions. Tu sais, dans mon job, faut savoir rassembler des puzzles. Tu essaies d’emboîter les petites pièces biscornues. Une fois, mille fois, jusqu’à ce que ça cadre… Et ça finit par cadrer. Le tout est de ne pas se décourager.

« Après que je t’ai eu quitté, tu as compris qu’une seule possibilité s’offrait à toi : tout aller déballer à Cesarini, le big boss de la maffia dans ce secteur. Alors tu t’es donné un coup de peigne et tu as mis ton tricot de corps de cérémonie pour te présenter à l’audience du Dom. Et puis ton regard a accroché la mallette que je t’avais laissée. Et alors, une idée de voyou a germé sous tes beaux cheveux bruns, mon lapin. Tu savais que le vol avait été exécuté par Populi, puisque ce digne homme était de service à l’aéroport ce jour en question. Tu t’es dit, petit futé, textuellement ceci : “Et si j’allais chez le baron troquer l’attaché-case dérobé contre celui-ci ? En opérant en douceur, personne ne serait au courant de la substitution. Une fois l’échange effectué, je planque la vraie valise, puis je cours chez Cesarini histoire de le mettre au courant de tout, sauf évidemment de ma petite feinte. Ainsi, je suis à couvert et, avec un peu de chance et beaucoup de prudence, je risque de tirer un somptueux profit de cette valise qui déplace des agents secrets.”

Je m’amuse à souffler dans le canon de mon feu, à la manière des cow-boys désœuvrés.

— Qu’en penses-tu, Donato ? Surtout ne proteste pas ; avant de t’envoyer quérir par cette merveilleuse sirène, je suis passé chez Populi et j’ai questionné son crétin, il a reconnu avoir reçu ta visite une heure environ après celle que je t’ai faite. Il prétend que tu avais un sac de toile dans le dos. Et il paraîtrait que tu l’as envoyé t’acheter des cigarettes, afin de rester seul dans l’entrepôt. Exact ?

Le silence est le plus éloquent des acquiescements, car si souvent il ne suffit pas de nier pour convaincre les autres de son innocence, il suffit par contre de ne rien dire pour prouver sa culpabilité.

— Tu penses bien que si Cesarini apprend ça, tu peux aller écrire la date d’aujourd’hui en face de celle de ta naissance sur votre caveau de famille. Tu as opéré cette substitution au bon moment, c’est-à-dire juste avant que ne se déclenche une gigantesque chasse à courre pour récupérer la valise. Beaucoup de gens se sont mis à la vouloir. On a volé celle que je t’avais confiée et que tu avais troquée contre la bonne, ce qui, soit dit en passant, vaut de sérieux ennuis au pauvre Vittorio-Emanuele. Au cours de ces dernières heures, tu as dû être l’objet de pas mal de visites tracassières. On t’a proposé une telle somme que tu as fini par traiter avec certaines gens, juste ? Comme ça se déroulait en grand secret garanti, tu ne craignais donc rien de la maffia. Et tu pouvais palper la grosse galette.

Je fais tourner mon arme autour de mon index (après avoir pris soin de bloquer le cran de sûreté, je te rassure).

Il est tout maussade, Donato. Véry beaucoup ennuyé. Au moment qu’il accède à la fortune, voilà qu’un dégourdi lui scie la branche. Il souhaite que je tombe foudroyé par les soins de son saint patron, ou autre. Je suis un grain de sable gros comme le rocher de Cancale dans sa mignonne affure. Un sale vilain, briseur de belle cabane. Il allait partir, s’expatrier en Sardaigne, y acheter une villa, un bateau, de l’ambre solaire. Et puis tu vois comme la vie est stupide, indeed ! Sa grosse maman aurait eu tout le confort : le butane, des bas à varices. Grand-père était assuré de toucher son perlot préféré et sa boutanche de picrate empaillée. Et alors, moi, Sana, comme un horrible poulardin, je me dresse, avec la vérité en guise de bannière. Halte-là !

Mais il n’est pas encore quitte.

— Vois-tu, Chérubin, je vais pousser mon raisonnement jusque dans ses derniers retranchements…

Dehors, le mulet hennit mélancoliquement. Il cracherait pas sur un picotin, cézigue. Merde, où je vais lui dégauchir ça ? C’est beau, la traction animale, mais ils ne vendent pas d’avoine, chez Agip ni chez Shell !

— Connaissant les méthodes des gens avec qui tu as traité, mon petit loup, je peux t’assurer d’une chose, c’est que si tu leur avais refilé la camelote complète, tu ne serais plus en vie. Ma conclusion est que tu as conservé une partie du pactole par-devers toi, car t’es un garçon rusé, donc prudent. Tu as compris qu’en lâchant tout le bonheur tu risquerais ta peau et serais sans défense. Quelles dispositions as-tu adoptées, Donato ?

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Du verbe froncelessourciler (premier groupe).