J’éprouve un vague sentiment de pitié pour Donato. L’élan pour lui expliquer sa gourance m’empare.
— Tu as tort de tirer sur la corde, fiston. Y’en a pas d’assez forte pour résister. L’auber que tu vas pouvoir engranger avec cette combine pourra juste permettre aux tiens de t’édifier un mausolée avec des petits anges de marbre blanc. La lutte est inégale. C’est pas un petit cave comme toi, un minus chouraveur d’aéroport, un piqueur de pébroques et de Kodak qui peut se permettre d’affronter ce que notre monde compte de plus soi-soi en matière d’organisations occultes. Si tu veux mon avis, t’es déjà scié. Mort en puissance. T’aurais la carotide tranchée et tu serais seul sur une île déserte, tes chances de t’en tirer seraient mille fois meilleures. Tu peux pratiquement parler de toi au passé, pendant que tu peux parler. Quand je te regarde, j’aperçois déjà plus que ton squelette, pauvre pomme !
Soudain, mon enrognement tombe, à cause un bruit de moteur qui enfle à toute pompe.
Je risque une tronche à l’extérieur de mon espèce de grotte, et j’avise un hélicoptère peint en jaune, comme ceux qu’on utilise dans les pays de fortes cultures pour pulvériser des insecticides.
Pourquoi l’idée me vient-elle que cette machine nous est destinée ?
Donato sort pour mater.
— Rentre, nom de Dieu ! je lui glapis.
Il devient vert comme un champ de betteraves sucrières.
— Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ? il demande en paumant ses amygdales en cours d’élocution.
— Ta fête, connard, et aussi la mienne.
L’appareil descend carrément sur nous. Son vrombissement devient infernal.
Je déballe mon pistolet mitrailleur, ôte le cran de sûreté.
— Vous croyez qu’ils vont…
Une vraie lope, Convolvolo.
— Hé, dis, le bersaglier, ressaisis-toi, m’emporté-je. Je t’ai offert un beau Flaminaire, c’est le moment de t’en servir.
Mon calme le rassérène quelque peu. Il biche son feu et se met en posture défensive, embusqué derrière un enchevêtrement de toiture effondrée et de terre.
— Couchez-vous ! dis-je à ma copine Ulla, en lui désignant le fond de la caverne.
C’est pas une compliquée, la Suédoise. T’as des gonzesses, sitôt que tu leur dis quelque chose, elles veulent absolument en connaître les mobiles profonds. Elle, non. Docile, la v’là qui s’allonge sur le sol où des insectes noirs caravanent, indifférents à nos problèmes.
Le licoptère descend de plus en plus bas. C’est un petit zinc à deux places. Je me dis qu’on ne risque pas le diable, après tout. Sitôt qu’il se sera posé, si je vois un mec belliqueux se pointer vers nous, je l’étale d’une giclette. Nous sommes à l’abri tandis que les types de l’appareil sont exposés.
L’ombre de l’engin plane sur le sol galeux. Son bruit nous concasse les tympans. Donato rentre sa tête dans les épaules.
L’ombre tournique, disparaît un court moment pour revenir, plus noire, plus menaçante.
L’envie me titille de sortir pour aller faire un carton dans les pales de l’hélicoptère. Tu sais que privé d’elles, ça deviendrait un caillou. Mon honnêteté foncière me retient. Après tout, je ne connais pas les intentions des deux passagers. Certes, je ne les imagine pas cordiales, mais après tout, sait-on jamais ?…
Et alors, bon, que je te raconte tout bien…
Tandis que l’ombre se tient presque immobile devant nous, un machin tombe pile devant l’entrée de notre antre.
Ça ne fait pas beaucoup de bruit. Un plouf de sac de ciment chutant d’un échafaudage, tu mords ?
Aussitôt une fumée âcre se met à moutonner.
— Ils veulent nous asphyxier ! j’écrie. Filons dans la campagne.
Je fonce en premier.
Donato sur mes talons.
Le nuage est fulgurant. En deux secondes le voici gros comme le Graf Zeppelin. Je me retiens de respirer. Faut échapper à cette couche nocive, coûte que coûte… Derrière moi, Donato pousse un cri et cesse de galoper. Moi, je fonce sans renifler. Seulement, tu sais ce que c’est ? L’exercice te donne une vraie fringale d’oxygène. À la huitième enjambée, je peux plus me retenir de garder la bouche close. Cela me file un monstre vertige. Tout se gondole (sauf moi). Le plancher des vaches devient mou comme un marécage. J’arrive plus à retirer mes pâturons. Ils prennent racine. J’entends des grelots. J’ai le temps d’apercevoir le mulet qui s’écroule entre ses brancards qui se brisent. La carriole se renverse. Je tombe à genoux. Des deux poings je comprime ma poitrine. J’étouffe. Je crève. Y’a panique générale à mon bord. Démantèlement complet. Une force impitoyable me ruine, m’oblige à me coucher dans un cloaque sans nom.
À travers la fumaga, j’aperçois une forme qui s’approche. Je suis encore suffisamment conscient pour reconnaître Ulla. Ses sublimes cuicuisses dorées, sa blondeur. Seulement son beau visage, je ne peux pas l’admirer vu qu’il est caché par un masque.
À gaz !
Good night, gentlemen.
La cloche, dans le ciel qu’on voit, doucement tinte…
Et si on la teignait, cette cloche, hein ?
On pourrait dire que la cloche teinte tinte.
Et on ne serait pas plus avancé.
Ding, dong !
Premier service.
Religieux.
Je vois processionner des moines en bure brune, scalpés du plafonnier, comme sur les gravures anciennes. Les mains dans les manches, la tête inclinée sur cette terre qui les attend et dans laquelle, probable, tout comme un chiare en vacances va faire des pâtés sur la plage, ils creusent leurs tombes, à pelletées songeuses. Méditant sur l’inanité des choses, laquelle, par réaction, engendre la gloire de Dieu. Bon, je t’arrête la philosophie en eau bénite avant qu’elle tourne en eau de boudin. Plus t’approfondis, plus tu fais du home-trainer. La philosophie, ça n’est qu’un exercice qui te laisse sur place. Donc qui n’est valable qu’au plan de l’assouplissement des méninges. Et puis merde, qu’est-ce j’ sus là à te causer, comme si toi et moi pouvions comprendre ce que je pense ! T’as bouffé quoi, à midi ? Une choucroute ? Elle était bonne ? Et ta nana, elle brosse bien ? Ah ! tu viens de changer ton poste de tévé ? Tu te laisses biter en couleurs, maintenant ? Bravo ! Fallait qu’un jour l’autre t’en arrives là. L’enculage en couleurs, c’est tellement mieux pour le cerveau ! Tu veux ma pensée ? Ça le lave plus blanc.