Ces gentils moinillons passent. Une vraie troupe silencieuse. Ce qui frappe, c’est leur jeunesse. Le plus vioque doit pas dépasser 35 piges. Une espèce de pépinière. Un séminaire, quoi ! Mais un vrai, là qu’on fabrique les prêtres avant leur mariage ; pas ces réunions d’étude d’à présent, comme on les appelle.
Séminaire…
Moi, y’a une huitaine d’années, je reçois une invitation de l’Escarpit de Bordeaux (et du Monde) big boss de l’Intelligencia d’Aquitaine. Un exquis, celui-là, et qui pense beaucoup plus loin que lui-même, ça se voit à son regard. Donc, voualà qu’il m’écrit pour me demander de participer à un séminaire en mon honneur. Le séminaire San-Antonio ! Messe à six plombes ! J’ai cru que j’allais quitter le désordre pour entrer dans les ordres. J’ savais pas encore l’extension. Séminaire. Je m’imaginais déjà cul soutané, grimpant en chaire pour bourdalouer le bordelais. Les prédications de Nostradardus ! Je me voyais en bossueur de force ! « Mes bien chers frères, mes bien chairs fraîches… » C’est des trucs commak qui t’inculent le vocabulaire ; que t’es bien obligé de compulser ton Larousse au reçu d’une telle proposition. Peu à peu, t’apprends le langage moderne. Tu finis par dire « planning », « au plan de… », « par parenthèses » et tutti frutti. Tu causes bien, quoi ! Very important. C’est pas avec tes fringues que tu restes dans le coup de la mode, c’est à ta jactance. L’homme suranné est celui qui s’applique à parler Pléiade. Et pourtant, les julots d’aujourd’hui se masturbent devant Proust. Enfin moi, ce que je t’en dis, c’est vraiment pour ne rien dire, tu conviens ?
Cela dit, comme on dit, tu dois te demander d’où sortent ces moines complètement burés, dûment tondus, et préservés des taches d’humidité.
Eh ben, mon canard, ils sortent d’une porte aussi basse que romane, traversent le jardin fleuri où je me trouve (à l’intérieur d’une cage de fer qui dut être un chenil, jadis) et pénètrent dans une immense chapelle.
Moi qui opère un retour des pommes de grande classe, je les hèle :
— Hello, les padres, les fratelli !
En passant mes bras à travers les barreaux, comme un gorille réclamant des cacahouètes.
Les agitant d’implorance.
Eh ben, ma vacca, crois-moi ou va faire prendre ta température avec l’Obélisque de la Concorde, mais y’en a pas un d’eux qui m’accorde un regard.
Comme si j’étais muet, absent, non avenu.
Vu qu’il en sort toujours, l’idée me vient de les compter, à partir du grand blond qui me passe devant.
J’en dénombre 38.
Après quoi le cortège s’achève sur un plus vieux moine qui sert de voiture-balai.
Le jardin reste alors vide d’humains (si tu m’exceptes, ce qui serait un comble). Des abeilles bourdonnent. Le soleil cogne. Des fleurs, bien disciplinées par un jardinier compétent, sentent aussi bon qu’elles le peuvent dans leurs massifs bordés de buis.
J’examine ma geôle. Elle est haute d’un mètre vingt, ce qui, comme je ne suis pas le nain Piéral, m’oblige d’y demeurer assis ou agenouillé. Le sol est de ciment. Les barreaux pourraient contenir la fougue d’un rhinocéros et la porte basse ferme grâce aux soins éclairés d’une très formidable serrure.
C’est dans cette curieuse cellule que je suis revenu à vous, mes chéries. Mon attention ne se trouvant plus mobilisée par les moines, je la consacre à la serrure. Tu vas m’objecter qu’entre un moine et une serrure, il n’existe pas de commune mesure, et j’en conviendrai volontiers ; pourtant, il se trouve que je porte à la seconde un intérêt au moins aussi soutenu qu’au premier. Certes, j’ai été fouillé. L’on m’a ôté toutes mes armes, sauf une toutefois : mon sésame, que j’avais logé dans une minuscule poche ménagée dans la couture verticale de mon pantalon.
Je feins l’immobilité et m’acagnarde contre la porte. Ma main droite, pleine de dextérité, comme son nom l’indique, se met à jouer du sésame dans le trou de la serrure, en virtuose.
Je sens obéir des clicziques dans la serrure. Je brouillave des urlupes, dégage des moulavons, fais coulisser l’argache connexe.
À cet instant, un fort sifflement métallique retentit dans le jardin. Je reconnais en ce bruit, le branchement d’un haut-parleur. Un organe féminin s’élève dans la paix virgilienne du lieu.
— Oui, c’est cela, monsieur le commissaire, ouvrez votre porte et venez nous rejoindre dans la chapelle.
Puis le silence.
Il est toujours très désagréable de passer pour un con, même vis-à-vis d’une poignée d’abeilles affairées. Je suis plus marri que l’immaculée conception. Tu juges d’une organisation, Gaston ? Il doit être truffé de caméras, le couvent. Drôle de boutique, mon révérend.
Sans plus me cacher, je délourde le chenil et sors dans le jardin. Un panorama prodigieux m’attend. Je découvre que je réside dans un monastère situé au sommet d’un éperon rocheux dressé dans la mer. Un gigantesque récif, pour te dire. Et il est vraisemblable que la terre végétale du jardin a été amenée ici avec les pierres ayant servi à bâtir l’édifice. Aussi loin que la vue puisse porter, c’est la grande bleue, vraiment, authentiquement bleue. Tu crois que les abeilles se sont pointées ici toutes seules ou bien qu’on les y a installées ?
La voix du haut-parleur résonne à nouveau :
— Venez vite, commissaire, vous admirerez le panorama plus tard…
J’ai beau mater autour de moi, je ne distingue aucun objectif.
Soumis, je me dirige vers la chapelle.
Il y a tout d’abord une première porte, bon.
Et puis alors, ça forme comme un tambour d’église. Tu sais ? Je continue d’ouvrir les lourdes qui s’interposent. Cela me permet de déboucher (drôle d’expression : tu me vois réellement déboucher, avec une ventouse de caoutchouc, à manche ou un tire-bouchon ?) dans l’église.
Tu sais, la cathédrale de Chartres ?
Ça !
Mais sans autel, et puis avec le sol garni d’un épais tapis de corde.
Les moinillons se sont déburés et ont accroché leurs robes à des portemanteaux fixés aux murs, sous les vitraux représentant la vie édifiante de saint Nichemard-le-Pieux. On le voit aux différentes périodes de sa mission terrestre : quand il était pêcheur et que ça bichait, et puis quand il a été visité par l’archange Vazymou, lequel lui a préconisé d’affréter un bateau de guerre pour aller faire le siège de Saint Throppée. On voit tout bien, en couleurs ensoleillées : sur les remparts, l’escalade, les gus avec des chaudrons d’huile Lesieur bouillante que les assiégeants profitaient pour se faire des frites. On voit saint Nichemard guérissant la blennorragie du prince Couldu, distribuant des boîtes de conserves aux enfants déshérités, lavant les pieds aux culs-de-jatte, débouchant l’évier de sa concierge, tartinant le caviar de son bienfaiteur, le connétable Potzobanche et lui taillant une pipe dans du bois de sycomore. On le voit quand il va à la selle, pour pourfendre les hérétiques, et aussi au cours de la vingt-deuxième croisade, devant le bureau d’El Al de Jérusalem. Complet, je te dis. Cela bonni, c’est pas les vitraux, le plus surprenant. Oh youyouille, que non ! Où t’as du fadinge dans la pensarde, c’est quand tu vois les moines en action.
Et pas des actions de grâce !
En maillot rouge, ils suivent un entraînement de paras, les mecs, sous la houlette du plus âgé qui fermait la marche et qu’a une frime terrible, sans les vêtements qui lui servaient d’auto. Tu te rappelles le général Massu ? Oui, celui qui ressemblait à un casse-noisettes. Eh ben, lui !
En presque pareil.
Un peu plus pire, tout de même, mais à peine. Il pousse d’abominables cris, ce gus. À s’arracher le corgnolon, la luette, les amygdales et les cordes vocales. En plus, la voûte romane réverbère. Si bien qu’il est impossible de savoir en quelle langue il gueule. D’ailleurs, ce genre d’ordres est apatride. C’est Brutale-lande, le pays d’origine.