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Les ci-devant moines, maintenant, ils ressemblent plutôt à des bonzes, mais ça doit venir de leurs cailloux rasés sur le dessus.

Les exercices auxquels ils se livrent fileraient la diarrhée verte à des dobermanns écumants. La beuglante qu’ils poussent en les accomplissant ressemble à un tonnerre. Ils ont chacun devant soi un billot de bois. Dessus est posée une bûche. Au commandement du chef, ces frénétiques fendent la bûche du tranchant de la main. Et ce ne sont pas des bûches en chocolat !

Hagard, je m’amorce un mouvement de recul. Tout cela est si impressionnant, si terrific. Crois pas surtout que je tourne mauviette, mais franchement, tu serais à ma place, faudrait te mettre une serpillière entre les jambes pour prévenir des catastrophes. Tu relâcherais des muscles inférieurs, gars. Péterais des durites. Éclaterais des joints. Un manchot ferait du trapèze pour échapper à ce spectacle, s’enfuir, façon Tarzan, de liane en liane.

Une main se pose sur mon bras. Je découvre alors la môme Ulla près de moi… Elle porte une combinaison blanche, légère. Le vêtement comporte une seule poche, entre les seins. Un petit appareil également blanc en émerge. Elle a modifié sa coiffure. Ses beaux cheveux de lin sont tirés et plaqués à l’aide d’un serre-tête d’écaille.

— Suivez-moi, dit-elle, ici on ne s’entend pas.

On traverse la vaste nef jusqu’au chœur. Je t’ai déjà révélé qu’il n’existait plus d’autel dans cette église, il a été remplacé par une cage d’ascenseur, très vaste, en acier chromé, drôlement anachronique dans cet édifice pur roman.

Ma compagne ouvre la porte coulissante.

— Entrez !

Je pénètre dans une cabine aux parois métallisées. Je constate, à ma vive surprise (mais je ne suis plus à une stupeur près dans cette affaire), que le tableau de commande s’assortit de six boutons numérotés. Y’aurait-il six étages dans le sol ?

Elle appuie sur le troisième.

La cabine plonge.

— Je suppose que vous n’êtes pas plus Suédoise que je suis Pékinois ? dis-je en lui votant un sourire qui s’efforce.

Elle hausse les épaules.

— Vous vous trompez, je suis Suédoise.

— Et vous travaillez pour qui ?

Elle hausse ses ravissantes épaules.

— Travailler, cela veut dire quoi ?

— En tout cas, bravo pour la feinte du viol, sur la falaise, je m’y suis laissé prendre comme un garnement.

— On surveillait le bateau à la jumelle pour voir si quelqu’un allait s’y rendre, au contraire, on vous en a vu partir, ce qui nous a beaucoup surpris car nos hommes l’avaient fouillé entièrement.

— Les armateurs ont aménagé une planque formidable à bord.

— En effet.

L’ascenseur s’immobilise.

Dommage. J’aurais aimé que ce tête-à-tête se poursuive, j’ai tellement de questions à poser.

Nous déboulons dans une sorte de hall aux murs d’acier largement éclairé par des lampes incorporées dans le plafond. La jeune fille me conduit à une porte sans loquets ni serrures, mais qui s’ouvre automatiquement à notre approche. Elle la franchit, certaine que je vais la suivre.

Je la suis.

C’est un burlingue.

Ultra-moderne et d’une simplicité… monacale. Un grand bureau d’acier chargé d’appareils dont l’utilité n’apparaît pas spontanément, et puis quelques chaises de plastique transparent. Rien sur les murs, rien d’autre au sol qu’un revêtement de caoutchouc.

— Dites donc, la crypte du monastère, c’est les Galeries Lafayette, non ?

Ça la fait ricaner, Ulla.

— Vous avez des bases de comparaison à l’échelle de votre petit cerveau, San-Antonio.

Elle me désigne un siège et prend place derrière le bureau. Cette table ressemble plutôt à une régie de télévision. Elle est garnie d’une foule de touches de couleurs différentes, de cliquets, de boutons moletés. La môme entreprend de manipuler ce bigntz et alors, réellement, ça se met à devenir passionnant. Dans un premier temps, un panneau d’acier coulisse au mur du fond, démasquant un écran de verre de deux mètres sur deux environ. La seconde phase de l’opération éclaire l’écran.

— Je vais vous expliquer, dit-elle.

Sa manœuvre suivante amène une image. Laquelle représente Donato assis dans une sorte de chaise électrique, avec plein d’électrodes appliquées sur sa tronche. Il est ligoté, apparemment inconscient, avec le nez pincé et les joues creuses. On dirait d’un mannequin de cire.

— Opération vide-cervelle ? fais-je froidement.

— Pas exactement. Figurez-vous que nous essuyons un échec, ce qui est moins rare qu’on ne croit. Notre spécialiste prétend qu’il y a chez cet individu un blocage du subconscient consécutif au fait qu’il avait préalablement organisé une version des événements et se l’était en somme si fortement imprimée dans l’esprit qu’il la restitue automatiquement. En bref, il ne dira pas la vérité en état d’inconscience, comprenez-vous ? Sa volonté est montée sur boucle, il répète inlassablement son mensonge, comme un disque rayé.

— Et, bien entendu, vous vouliez savoir ce qu’il a fait de la valise ?

— Bien entendu ! Alors, c’est à ce stade que vous intervenez, Sans-Antonio. Nous vous avons amené ici seulement en vue de ce cas particulier, car nous sommes des gens prévoyants. Vous étiez notre poire pour la soif.

— Votre soif est grande et la poire est grosse, soupiré-je. Mais que puis-je faire ?

— Vous aviez commencé de capter la confiance de Convolvolo, nul doute que vous parveniez à l’accoucher complètement.

— Erreur, ma chère. Donato s’adressait à moi comme au représentant d’un pays susceptible de lui proposer également beaucoup d’argent. Vous avez vu à quel point c’est un garçon cupide ? Au lieu de le médicamenter, il fallait lui proposer des dollars…

— Nous l’avons fait.

— Il a refusé ?

— Oui, car il est prisonnier. Il a exigé avant toute chose sa liberté.

— Alors il convenait de la lui donner. Du moins pour commencer.

— Impossible.

— Pourquoi ?

— Parce qu’il est venu ici.

Elle me fixe. Je frémis. En somme, la ravissante donzelle est en train de m’expliquer qu’un étranger connaissant le monastère ne peut plus en sortir vivant.

— Diable, mon futur branle au manche, on dirait ?

— Pas nécessairement, un homme de votre valeur peut se convertir à une grande cause.

Est-elle sincère ou bluffe-t-elle pour me décider à jouer son jeu ?

Je décide de voir venir.

— Pour en revenir à votre préoccupation, douce Ulla, je reste convaincu que vous auriez eu plus de chances de retrouver la valise en laissant cet imbécile de Sicilien dans son élément naturel.

Elle se justifie comme si elle référait à son supérieur.

— Nous devions agir vite. Dans l’autre cas, il eût fallu ruser, et puis il y a « les autres » qui nous talonnent. En ce moment même, sachant que Convolvolo détient la valise, ils doivent remuer toute la Sicile pour essayer de mettre la main dessus.

Je ne réponds rien.

Réfléchis.

Les gens manquent de psychologie. Ainsi, la bande à Ulla n’a pas une notion réelle du tempérament italien. Au lieu de s’embarquer dans un kidnapping et d’user de méthodes scientifiques, ces gnafs auraient obtenu un résultat immédiat en appliquant un revolver sur la nuque de Mme Convolvolo mère, en présence de son fils, et en réclamant la valise contre la cervelle de la mamma.

Ulla murmure doucement :

— San-Antonio…