— Mais attendez, enchaîne-t-elle, ce n’est pas le plus beau. Le chef-d’œuvre de ces messieurs, c’est un basset artésien. J’espère qu’on n’est pas en train de le toiletter…
Elle manœuvre son satanesque fourbi.
Gros plan sur une écuelle.
Un homme-chien bouffe (j’ai cherché, y’a pas d’autres termes adéquats) une solide pâtée, à même le plat.
Et tu peux me croire, gentil mec de mes chères deux, qu’il est déjà plus chien qu’homme, cet homme-chien-là.
Dedieu, ce monstre. Imagine-toi un truc, ou un machin, comme tu voudras, qui est allongé de corps, et dont la position horizontale paraît définitivement acquise, au point que lorsqu’il se dresse sur les antérieures pour quémander un susucre, ça doit tout de suite faire numéro de cirque. Les pattes de devant sont arquées. La tête a le modelé d’un gros marteau. Les oreilles très longues pendent. Le museau galochard est ponctué d’un appendice sombre qui, un jour, aura le noir brillant d’une truffe de médor en parfaite santé. Tout le corps est couvert de poils blonds, durs et ras. Ne manque à cet animhomme qu’une queue fouetteuse pour compléter son identification avec un basset artésien.
Il dévore son Canigou en faisant ronron, le brave toutou. Il a des grains de riz, plein les babouches[5], quand il s’interrompt de bâfrer, c’est pour se torchonner les labiales avec une langue qui rendrait follingues un régiment de gougnes.
Soudain, la porte de la cage s’ouvre, et un mec en blouse blanche fait entrer une chienne.
Basset artésien, elle aussi !
Elle se précipite en jappant de joie sur le clébhomme, lequel, montrant par là que son comportement animal l’emporte sur son comportement humain, abandonne sa pâtée pour venir renifler le prose de l’arrivante. Jamais tu verras un homme procéder pareil. Le jules attablé, quand il s’empiffre, tu peux lui amener la plus sensas demoiselle, c’est tout juste s’il soulèvera son cul de sa chaise pour la saluer. Et encore seulement, dans le cas où le quidam que je fais état est un gentleman.
Après une sérieuse partie de reniflade, empreinte de volupté, le monstre se met à escalader la clébarde en balançant du braque et alors, cette fois c’est le comportement humain qui domine, puisqu’il se la fait en levrette.
Pudique, Ulla coupe le contact.
— Alors, convaincu ? elle me demande.
— Abasourdi.
— Votre ami, quant à lui, deviendra un homme-porc. Ce n’est pas fait pour vous surprendre, n’est-ce pas ?
Que dire ?
Je me détourne, le mental ravagé. Béru, tel qu’en lui-même. Enfin ! Accédant à son destin tracé dans la nuit de sa vie comme une ligne jaune sur le noir goudron d’une nationale. Béru arrivant à bon porc, somme toute. Béru forniquant avec des dames truies. Béru parcourant sa vallée d’auges. Devenant monstre pour de bon, après n’avoir été si longtemps que monstrueux. Béru achevant sa route à quatre pattes derrière le fessier jambonneux d’une gorette. Béru procréant des vivures obscures, insanes, à groins, avec la queue en tire-bouchon et les oreilles en œillères. Ah, sort cruel ! Ah, louche dégénérescence ! Ah, dévaloir olidesque ! Abîme sans fond des plus noirs instincts ! Cochonnerie universelle ! Qui vivra « verrat ».
Je me dresse sur mes deux poings appuyés au bureau, comme un coq sur son tas de…
Un coq !
Voilà le sort qui m’est peut-être promis sur l’ordinateur monstrueux de ces gens sans âme. Moi, le poulet de charme, je deviendrai coq ! Leurs basses-œuvres me transmuteront en roi de basse-cour. Tu veux parier ? Merde, moi qui me sentais si heureux d’être mammifère, comme ça, instinctivement. Moi qui éprouvais je ne sais quel sentiment fraternel pour tout ce qui est primate, insectivore, chéiroptère, carnassier, ongulé, rongeur, marsupial, édenté, monotrème et même, tu m’entends ? oui, même cétacé. Moi, San-Antonio, je ressens pour la baleine et autre cachalot une confuse tendresse que l’oiseau aux plumes les plus enchanteresses ne m’inspire pas.
Elle est satisfaite de ma commotion, Ulla. C’est bon signe. On martèle le cuivre pour le mieux modeler. L’homme choqué devient osier, quand même il semblait cœur de chêne.
La gueuse reprend la parole.
— Mais je suppose, dit-elle, que vous le préférez porc plutôt que mort ? Vous savez, c’est heureux, un cochon. Ça se roule dans son fumier avec délectation. Ça mange et ça fornique sans relâche. Et puis, la mort que nous réserverions à votre ami ne serait guère enviable. Aucun désespéré n’en voudrait. Car savez-vous ce que nous lui ferions ? Nous le donnerions à dévorer à des… vous savez quoi ? À des gorets, mon cher, ni plus ni moins. Nos chercheurs lui ont inoculé des hormones de porc. D’emblée, pour un véritable cochon, il est assimilé à la race porcine. Or, en quelle situation se trouve-t-il présentement ?
Elle repasse l’antenne à Béru. Toujours en cajoleries avec sa compagne de détention.
— Voyez : il est en compagnie d’une truie en chaleur. Si on lâche un mâle avec cet aimable couple, il se jettera sur M. Bérurier et le dévorera tout cru. Nous avons de forts beaux spécimens, ici. Des bêtes de concours pesant le triple de votre ami. Alors, acceptez-vous d’accoucher Donato Convolvolo ?
Je hoche le chef (depuis qu’il est interdit de le branler en public[6]).
— Douce camarade, si je parvenais à percer son secret, cela ferait sûrement progresser vos intérêts, mais en tout cas pas les miens…
Ulla retrouve son sourire.
Et il ne me dit rien qui vaille. Cette fille n’appartient pas à la catégorie des gens qui pensent avec des béquilles, espère un peu. Ses décisions, elle les prend pas après avoir consulté Mme Soleil.
Elle appuie sur un bitougnard gladoché de couleur grise.
— Dispositif « C » ! dit-elle.
That’s all.
Elle se tourne vers l’écran où Béru continue de mamourer avec sa cochonne. Le temps de compter jusqu’à je sais pas combien, mais d’une seule main et une porte s’ouvre dans la porcherie. Plus exactely, c’est un panneau qui coulisse. Dedieu de vingt gu, tu verrais débouler ce monstre, tu serais obligé de changer de slip avant la fin de l’émission.
De quoi faire rêver les ministres de l’Agriculture au Marché Commun (qui est plutôt une Foire commune). Un bestiau gros comme un lion. Avec une tronche patibulaire. Pourtant, a priori, ce serait plutôt sympa, un cochon, non ? Débonnaire, je trouve. Cocasse. Appétissant puisque tout est bon dedans. T’aimerais pas être cochon, toi, dans le fond ? Te savoir entièrement comestible : tes bras, ton cul, ta tronche, tes claouis et même tes rouages à tubulure. Franchement, un porc, ça connaît une fin édifiante. Après celle de Jeanne d’Arc, j’en sais pas de plus nette.
Bon, c’est pas le tout.
Tu vas voir si c’est du lard ou du cochon, amigo.
Le verrat renifle sa donzelle. Il se dit que y’a bon radada. Il paraît un instant tout joyce à l’idée de pointer. Il se promet de reluire comme un homme ; se sent devenir presque aussi cochon. Et puis, il découvre Béru, alors sa jalousie est instantanée. Un vrai bonhomme, je te répète ! Il se met pas en boule, étant donné qu’il y est déjà, non, il entre en fureur comme ton intelligence en hibernation. Se précipite sur le Gros, le culbute dans la paille souillée.
Savante dans la vilenie, Ulla coupe l’image.
Le sens du suspense, compte sur elle ! On a des leçons à lui prendre, nous tous, polardeux merdouillards, tisseurs de mots de la fin, pénélopes en burnous mouillés de sueur.
— Pour la dernière fois, acceptez-vous ma proposition, San-Antonio ?
— En échange de quoi ?
Elle me fixe pleins phares.
— En échange de rien, grand imbécile. En échange de notre bon plaisir. Obtenez un résultat et nous verrons…
5
Ici, le mot babouche n’a rien à voir avec les pantoufles de cuir d’origine persanes que tu sais. Il est l’heureuse union des termes babine et bouche. Mariage de raison, en l’occurrence.
6
Et vous voudriez que l’on décerne à San-Antonio le Grand Prix de l’Académie Française ?