Je remets de l’ordre dans ma mise et fonce à la porte.
Dans le fion, p’tit gars. Elle est fermée. Mais, je crois te l’avoir dit à la page j’ me rappelle plus combien, t’as qu’à chercher, ces lourdes ne comportent ni verrous ni serrures.
Trois secondes de réflexion.
Comment a-t-elle ouvert celle de la salle de visionnement, tout à l’heure, quand elle m’y a drivé pour assister à l’animalisation de ses clients ?
Eh ben, mon canard, elle n’a rien fait.
Du tout !
Ça a délourdé tout seul.
Je me rabats vers le lit. Au pied d’icelui gît la blouse blanche de ma chérie. Dans la poche, je te l’ai bien dit, probablement à la même page j’sais plus combien, ce qui te prouve que je te fournis loyalement tous les éléments, mais tu es tellement bazu que tu marches à côté, se trouve un petit appareil avec un brin d’antenne. Il est à peine plus gros que ces trucs à ondes chmolles que portent les toubibs d’un hôpital afin qu’on puisse les alerter, où qu’ils se trouvent.
Je le file dans ma vague à moi et retourne à la porte.
Qui s’ouvre, oui, en effet, bravo, t’as gagné un paquet de petits sablés bretons.
Et maintenant, tu sais quoi ?
Ben, je vais te raconter la suite.
Car y’en a une !
Un long couloir désespérément blanc.
Car y’a rien de plus désespérant que du blanc tout seul. Il n’est beau que par référence à autre chose. Le Mont-Blanc parce qu’il se dresse sur le ciel, la mariée parce qu’elle se tient au côté de son noir époux et cette feuille de papier parce que j’y dépose des brimborions de chef-d’œuvre contre. Le lys comporte du jaune en son sein pour te barbouiller le pif, et la première communiante a des boutons au menton ; alors tu vois bien…
Toujours est-il qu’un univers absolument immaculé, est aussi cauchemaresque dans son genre qu’une panne d’électricité dans un tunnel sénégalais. Non ? Si ? Bon !
Personne en vue.
T’imagines la perplexité du gars ?
Cette base sur un rocher escarpé truffé de gorilles.
Ces redoutables souterrains carrelés. Ce silence de laboratoire.
Quelque part, Béru.
Mais z’où ? Il y a six étages dans les profondeurs de la base.
Faut-il commencer par prendre à gauche ou à droite ?
À la grâce de Dieu.
La première porte fera l’affaire.
Je m’y présente. Et, docile, elle coulisse. Me voici dans une grande salle garnie de rayonnages métalliques. Une foultitude de denrées s’y empilent (pas toutes seules, mais c’est l’expression qui se dit comme ça, tu sais, j’y peux rien ; moi, la langue française, je me contente de la rectifier).
Au centre du local, est un bureau de fer peint en gris, surchargé de registres. Un assez vieux type à blouse et barbiche blanches, le nez chaussé de lunettes et les pieds de sabots, comme les chirurgiens au boulot, écrit dans un bouquin qui pourrait servir de radeau à la « Méduse » si Géricault recommençait sa décalcomanie.
Il ne lève pas le nez de son turbin. Soit parce qu’il est fané des bafles, soit parce qu’il croit à l’entrée d’un familier.
Je me dirige tranquillement vers lui, et, délicatement, lui ôte son stylo d’entre les doigts.
Surpris, il dresse sur moi un nez pointu et deux yeux myopes.
Je lui sers un sourire empreint de cordialité, puis me penche sur le registre. À ma grande sgoutgnaffure, je m’aperçois que le texte tracé là-dessus est en anglais. Ce monsieur est magasinier.
Dans le fond de la pièce, il y a un amoncellement de caisses et de ballots.
Je biche le bonhomme par l’un de ses revers et, d’une seule main (la droite d’accord, mais quand même) le décolle de sa chaise. Ensuite, je le traîne jusqu’aux marchandises non encore déballées. Là, je trouve ce que je cherchais, c’est-à-dire un coutelas à gros manche de bois et à petite lame triangulaire servant à trancher les ficelles des paquets. Parce que, c’est vrai, ça, tu remarqueras que, dans les endroits les plus modernes subsistent des objets pauvrement traditionnels car ils sont, en fin de compte, irremplaçables. Moi, des fois, je visite une usine, un atelier, une manufacture — ça me fait suer, note, mais faut bien faire plaisir aux gens qui croient vous faire plaisir —, bon, on me découvre des techniques hardies, nucléaires, des ordinateurs, des machines à ceci-cela qui démarrent et s’arrêtent toutes seules. Un monde futuriste, je te dis, eh bien immanquablement, en regardant bien, je déniche près de ces monstres la vieille petite bricole qui les complète ou les rend mieux adaptés : un couteau, un tournevis, un rectangle de carton, une cheville de bois. Dis-toi que l’I.B.M. le plus formide nécessite une pointe Bic ou un couteau suisse à un moment ou à un autre.
C’est philosophique, dans le fond, je trouve, non ?
La seule philo que je remarque, moi. Je ne suis pas comme ce confrère peu copieux et chiatoire qui me disait dédaigneusement, un jour que ses glandes l’empêchaient pas de me causer : « Je suis l’héritier de Bergson, moi. C’est comme s’il m’avait couché sur son testament. » — « Eh ben, dors bien ! » je lui ai répondu. Il m’a plus jamais adressé la parole. Y’a des gens, faut pas leur touiller les profondeurs, ça se met à sentir la merde. Ils sont bouchés de la fosse d’aisance. Alors ils n’ont plus d’aisance et la fosse est pleine.
Qu’est-ce que je te disais, juste avant de déconner ? Ah, oui : me voici au fond de l’entrepôt, un vieux type dans une main, un coutelas à lame triangulaire dans l’autre. Je me dis qu’il y a, pour le coup, conjoncture. Alors j’applique la pointe de la lame sur la pointe de sa glotte, ce qui doit ressembler à un dessin de Miro — pour moi, ce sera le roman de Miro —, et je lui chuchote textuellement le texte ci-dessous.
— Où se trouve le type qu’on est en train de transmuer en porc ?
Comme le gars n’est pas pressé de répondre, j’ajoute.
— Si tu ne parles pas immédiatement, je t’opère des amygdales par l’extérieur.
Alors comme ce qui lui reste de jours à vivre, valablement, ne lui paraît pas négligeable, il me répond du bout des lèvres :
— Au 24 !
— Quel étage ?
— Deuxième.
Je n’ai plus rien à attendre de Césarin. Moi, tu sais quoi ? J’y file un coup de manche de couteau à la nuque. L’endroit que passent les idées d’un mec avant de se transformer en sottises. Il tombe à mes pieds comme de la farine d’un sac crevé. Je l’entrave avec la ceinture de sa blouse. Bon, puis-je compter sur un répit ? J’espère. Faut faire comme si.
Tout autre que ton bien-aimé et très gentil San-Antonio se ruerait dehors.
Seulement lui, tu penses… Ah, là là ! Il en a dans le chou. Et en telle quantité qu’il pourrait t’en revendre si tu savais t’en servir.
Au lieu de foncer en cataclysme, je prends mon temps. Furète dans le magasin. C’est toujours grisant pour un homme, un endroit où se trouvent amoncelées des denrées disparates. T’as qu’à constater le succès des super-marquettes pour comprendre. On y vient en car, en caravane, dans ces cavernes alibabeuses. Leur génie ? Le parkinge. Sans parkinge, c’était scié. Seulement, les promoteurs ont pigé qu’il fallait penser à l’essentiel : la chignole. Celui qui joue la pompe gagnante, ben il gagne, que veux-tu, n’importe les pénuries de pétrole. À partir du moment où les glandus apprennent qu’il existe un parking, ils s’y ruent, quoi qu’on fasse ou vendre à proximité. Le souci bien intense de l’époque, c’est garer sa chignole dans un bel endroit goudronné, fait pour, avec des délimitations jaunes et un sens giratoire. Alors là, il jouit à son volant, le bon fromage, quand il se gare sans problème. Y’en a, j’ai vu, qui se taquinent, se font languir. Qui changent de place rien que pour en essayer d’autres, s’en bien goinfrer du rectangle hébergeur. Ils mouillent en s’éloignant (à reculons) de voir comment qu’elle a trouvé une belle étable, bichette. Ce qu’elle est pimpante, cette chérie, dans sa mer de carrosseries luisantes. Ils se mettent à la place de leur tire. Ils la vivent à bloc (moteur). Lui prêtent leurs sens atrophiés pour complètement réaliser la félicité que peut représenter pour une 4 L ou une 204 une vraie place en diagonale. Que personne te chicanera, qu’aucun contractuel égrotant ne viendra sanctionner. Que le temps ne rendra pas caduque. Ils pourraient, ils baiseraient Bobonne, d’allégresse, là, entre les cadies de leurs six sous, sous les yeux bilieux de leur voiture. Bande d’ocs !