Une nouvelle porte.
Elle donne sur l’extérieur. Quand je prétendais suivre mon pif, dans le fond, je trichais. Pêchais au lancer par modestie. Dans ma belle tête d’intellectuel surmené, je calculais les niveaux. J’essayais de me rappeler la hauteur du jardin là-haut, au sommet du monastère.
Je prévoyais qu’il devait y avoir quelque issue donnant sur le pied de la falaise, biscotte les bateaux. Ce genre de récif fortifié comporte un petit port, nécessairement, vu qu’avant l’hélicoptère fallait bien se démerdaver, non ? Eh ben, je l’ai trouvé, le petit port. Il est là, aimable, accueillant. Avec quelques barlus. Ne manque qu’une boutanche de pastis et de l’eau fraîche pour se croire en vacances.
Un Riva flambant neuf dansotte sur le flot bleu. Un mataf aux pieds nus, culotté Lewis et mailloté rayé, finit de le débâcher en sifflotant.
Je le hèle :
— Hé ! Chralpl chmeurg !
En ponctuant de gestes impérieux pour lui demander de nous rejoindre.
Il n’a pas un pouce de poil d’ombre de brouillon d’hésitation. La voix de son maître ! Il s’hisse sur la petite jetée et nous rejoint en patapant des palmes sur le ciment brûlant.
Parvenu à l’orée de nous, il pose une question. P’t-être que je parle son patois sans l’avoir appris, simplement en le faisant exprès, en tout cas, cruelle carence, je ne le comprends pas.
Je me tire de cette ignorance, de la manière ci-dessous. J’éclate de rire en lui désignant Béru et sa truie.
Le gars les regarde et se fend itou le pébroque. Pendant quoi, moi, de toute mon énergie, je lui place un taquet au maxillaire inférieur. La vraie formidable patate. Une locomotive prend ça, elle a droit à quinze jours de congé de maladie.
Bien sûr, il devient descente de lit, notre Surcouf. La truie le renifle et se met à le lécher gourmandement. Cette caresse incongrue outre mon Béru. Il me chope le bras.
— Regarde, me dit-il : elles sont toutes pareilles. Pas z’une pour racheter l’autre.
Je profite de son amertume pour l’embarquer.
Sans madame.
Tu veux bien que je te passe nos trois heures de mer, à bord de ce coursier des flots ? La façon magistrale que je me dirige rien qu’à la boussole, et aussi grâce aux cartes marines trouvées dans la boîte fourre-tout de l’embarcation ? Ça vaut le coup de te préciser notre arrivée sur une plage calabraise et Béru cachant sa nudité avec seulement une ceinture de sauvetage ? Comme je suis sans artiche, tu sais quoi ? Je vends le Riva à un Belge en vacances qui se faisait dorer le Maneken-Pisse au soleil. Nanti de cet argent récupéré sur mes kidnappeurs, j’achète de beaux atours à Béru. Un bloudgine avec des empiècements de cuir multicolores dûment javellisé. Il me dit que les bloudgines, c’est comme les bonnes femmes : le plus duraille c’est d’y entrer la première fois. Il va mieux. Je le trouve légèrement moins cochon et il a presque oublié Mathilde. Ensuite, je téléphone au Vieux, ce qui ne me prend que douze heures d’attente, qu’on passe dans un petit établissement où le poisson est aussi frais que le chianti. J’ai un entretien détaillé et même circonstancié avec le dirluche, lequel, à l’issue du, me vote quelques félicitations qui ne tombent pas dans l’oreillette d’un sourd sans cœur. Nous arrêtons un nouveau petit plan de bataille, juste pour dire. Je me sens dans un uniforme éblouissant. Deux plombes après cette utile conversation, nous prenons le barlu assurant la liaison avec Messine.
Sicile encore, si, signore !
Parvenu à vingt mètres de la maison, on se fout à chialer, le Gros et moi.
Sans raison aucune. Cette réaction résulte du fait que la brave Mme Convolvolo est en train d’éplucher des oignons.
Son vieux père prend un bain de pieds dans la marmite où tout à l’heure, ces plantes à bulbe cuiront en compagnie de tomates et de courgettes.
Elle paraît soucieuse, dame Convolvolo, à l’intérieur de sa graisse.
— Donato n’est pas là, me lance-t-elle d’une voix tranchante, qu’à peine j’ai passé son seuil.
Elle ajoute, après s’être refait un peu d’oxygène de premier secours :
— J’en ai marre, tous ces gens qui demandent après lui depuis deux jours, et ce sacripant qui est parti hier avec une salope blonde, lui qui en raffole, et qui n’est pas rentré, qu’il va sûrement me rechoper une couchetapiana carabinée comme l’an dernier avec cette étrangère qui se disait pourtant allemande, mais que pour lui servir de leçon, il faudrait que la bibitte lui tombe du ventre, à ce saligaud, coureur de jupons, qui est pire qu’un chat de gouttière en rut, que la moitié de ce qui naît dans le quartier est sûrement de lui et l’autre moitié peut-être seulement, qu’à la longue il trouvera pas à s’établir, car il ne lui restera plus qu’une vérole à la place des génitoires et que je serai grand-mère à la Saint-Glinglin, d’autant que ma fille, la pute, a décidé de ne se marier qu’avec un vieux veuf plus tard lorsqu’elle aura perdu ses dents, ses poils et pris les quatre-vingts kilogrammes de graisse auxquels n’échappent pas les femmes de notre famille, puisque ma mère, ma grand-mère, mon arrière-grand-mère et sa défunte mère sont mortes en emportant chacune trois quintaux dans la tombe, que c’est pas une sinécure d’être aussi grosse, regardez-moi, jeune fille j’avais une taille de guêpe et puis voilà la vie, quoi, enfin tant qu’on a la santé, de nos jours, quand on a la chance d’être pauvre, on arrive à la conserver, que c’est rapport à la nourriture, plus vous mangez simple, plus vous mangez sain, moi, ce qui me perd, c’est l’huile, mais comme elle est d’olive, y’a que demi-mal, et puis quoi, j’arrive à un âge où il faut manger pour s’occuper, que j’ai plus d’homme, mon défunt étant mort, plus d’homme pour une femme en possession de ses sens, c’est dur, mais les Siciliennes sont douées pour être veuves, d’ailleurs toute l’Italie est une pépinière de veuves respectables, l’important, chez nous, c’est le sens du devoir et le respect de Dieu, que moi, côté devoir, j’ai rien à me reprocher, ç’a été dur parce que j’avais deux enfants rétifs, mais je les ai menés à bien, puisque ma fille est la meilleure putain de la région, en tout cas la plus demandée, qui se consacre aux hommes arrivés bien qu’ils bandent moins que les autres et mettent plus de temps à jouir, et mon fils est devenu un voleur professionnel de grand talent, qui n’a presque jamais de démêlés avec la police et que quand il en a c’est pour des délits mineurs, tels que coups et blessures ou viol, c’est ma consolation, ces enfants dont je me demande ce qu’ils fichent, et à propos, ma garce de fille, qu’en avez-vous fait ?
Elle récite à travers des senteurs d’oignons très intenses. Ça ne la fait même plus pleurer. La vie lui a atrophié les glandes lacrymales. Le vieux s’essuie les pinceaux à l’aide d’une serpillière. Il pète un coup et reprend sa chique qu’il avait déposée sur le bord de la table.
Une sensation de bonheur douillet se constitue, malgré la pauvreté du lieu (ou à cause d’elle) et la simplicité des gens.
Pauvre Mme Convolvolo… Elle ignore que ses enfants sont morts…
Je n’ai pas le courage de la tuer en lui assenant la vérité. Donato ne lui avait pas parlé de la fin de Lila. Alors, motus. Laissons-lui quelques jours de sursis. Mieux vaut qu’elle les espère disparus, partis en des contrées enrichisseuses…
Je sors de la fraîchecaille de ma fouille. Des billets tout neufs que mon acheteur belge n’avait même pas pliés pour ne les point abîmer et qui restent collés les uns à l’autre. J’en étale une bath pincée sur la table, autour des courgettes. Le vieux se rapproche en gargouillant de la chique, ça lui draine un filet de bave brune aux commissures. La Gravosse interrompt son épluchage. Elle me regarde.