Tout à coup, un volet claque contre une façade, et l’organe furax de la mère Convolvolo éclate, grondant, dominateur, torrentiel, c’est le jet du balayeur municipal refoulant dans de sombres égouts la fleurette tombée d’un bouquet.
Elle hurle qu’elle veut en écraser, que la chansonnette, c’est plus de son âge, qu’elle en a rien à branler de l’aubade de ce boudin, qu’il aille porter ses bramances dans un cabaret de nuit et pour ponctuer, elle virgule sur l’artiste le contenu de son pot de chambre qui n’est pas uniquement liquide. Un étron se file dans la mandoline, bloquant les cordes ; le jus, c’est dans le clapoir que l’artiste le dérouille. C’est la fin du concert. Il suffoque. D’une voix d’eunuque, il geint comme ça que Ramella Convolvolo a un cœur de pierre pour ne pas mesurer l’étendue de son amour. Que voilà des années et quine qu’il grossit à force de passion pour elle. Il en devient obèse, le pauvre Loulou. Il aurait les bras plus longs, il se pognerait à la santé de la veuve, mais quand la nature n’y met pas du sien tu tournes paria. T’es répudié hors caste.
À la fin, comme elle le lapide avec des tomates pourries, il se casse.
Le silence redevient tu sais quoi ? Meuble.
Oui : comme aux Galeries Barbès.
Je me zone, toute dorme envolée de mes paupières.
Et voilà que j’entends soudain autre chose. Des soupirs caractéristiques, des plaintes, des trémolos, et aussi un halètement de locomotive. On se croirait dans la gare Saint-Laguche aux heures de gros trafic.
Je me lève pour vérifier. Ça émane, du local voisin, celui qui sert de chambre à dame Convolvolo.
La porte ne fermant point à clé, je puis l’entrouvrir sans grand mal. Je t’ai dit que la lune brillait comme une vache ?
Bon. Et celle de Béru, donc. Je m’étonnais aussi, de point l’entendre ronfler près de moi. Tu le verrais, le Mammouth, la manière qu’il fait sa fête à notre hôtesse. Ce coup de reluisance seigneurial ! Et il cause en bouillavant, le Somptueux. Entre deux onomatopées extatiques. Il dit à Ramella qu’elle a bien fait de virer le Tino nocturne. Qu’une nana comme elle, à ce pachyderme, ce serait été de la confiture aux pourceaux (il brûle déjà ce qu’il a naguère adoré). Et de limailler frénétique : rrran rrran, dans le bigornuche à crinière. Elle glapit que c’est inhumain à force que c’est bon, une frottée pareille. Que vive la France ! Qu’y a pas d’âge pour prendre son foot. Qu’y faut que ça dure. Elle a le temps. Jusqu’aux aurores elle veut de la tringle, Ramella. Que la cramoche lui tombe, qu’elle en ait les babines traînantes.
Le Trousseur gesticule du dargif. Le poinçonneur des Lilas, si tu pouvais mater. Son énorme prose va et vient et repart à l’attaque d’on ne sait quoi.
Et soudain, le gazier s’arrête.
— Qué ? s’inquiète la fourbie.
— Je chauffe ! dit Béru.
— Qué ?
Il lui explique tant mal que bien, qu’il est freiné dans sa passion par le bandage herniaire qu’elle porte à la suite d’une éventration. Il a le nombril à l’incandescence, de ce fait, Béru. Il endolore de l’abdomen. Dès lors, il risque de devoir abréger, ce qui serait dommage, parti comme les voilà.
Elle s’empresse de se désabretacher. Elle dételle fiévreusement, tandis qu’il lui déguste la monichette pour lui entretenir le sensoriel pendant qu’elle ôte ses harnais. C’est un parfait technicien, Alexandre-Benoît. Il connaît les fâcheuses conséquences d’un coup de fil inopportun ou d’un incident de parcours. En amour, c’est pareil qu’au Creusot : faut pas laisser s’éteindre, sinon c’est râpé. Alors il lui caramélise le baigneur consciencieusement, pendant qu’elle défait ses sangles.
Elle a tellement hâte d’en terminer, que ses salsifis embrouillent.
— Prlllend tlllllon tlllllemps, mllllla grlllllosse ! préconise Cacanova sans cesser de la tyrolier.
Enfin elle arrive à désangler. Un coup de reins pour dégager les brides de derrière. Ça crée un afflux dans la moustache du Gros qui, un instant, se croit à la noyade et cataracte de la glotte à la recherche d’un filet d’air.
La brave femme arrache son équipement et le virgule loin d’elle, d’un geste libératoire. Le harnais me choit sur la poire. Sa Majesté remonte de la cave pour entreprendre une nouvelle figure d’embourbage.
— Scuse-moi de t’ donner du travail, fifille, dit-il, après tout j’eusse pu te calcer façon lévrier Afghan, ça t’aurait éviter d’escrimer.
Je décide de me retirer dans mes appartements.
C’est alors que le destin sur quoi je ne comptais plus (j’y pensais même pas, te dire !) entre en coup de vent dans ma vie.
Pour lui, le signal, c’est ma manière violente de refermer la porte sur l’accouplement des tourtereaux. En agissant ainsi, je bloque le bandage de cuir de la mère Convolvolo de telle manière qu’il éclate. Faut dire qu’elle se le trimbale depuis quinze ans et qu’il est fatigué, le pauvre. Bon, je l’écarte du pied pour fermer, et c’est pour lors que j’en vois jaillir une liasse de feuillets pliés serrés, parmi un foisonnement de crin.
La fierté du Vieux !
Tu veux que je te dise ? Elle n’est pas racontable.
Il fait la roue devant le ministre de l’Intérieur, qu’à l’époque où je te cause, c’est monsieur le Prince Poniatovski, un de mes lecteurs attentifs. Et puis y’a également présents le directeur de l’espionnage, celui du contre-espionnage, celui du contre-contre-espionnage, celui des anciennes écoutes téléphoniques, celui de la modulation de fréquence, tous je te dis, au grand et en beaux complets. Passionnés, pensionnés, vigilants. Y’en a qui béent, d’autres qui bêlent, des qu’hébètent et le ministre qui sourit cordialement, un peu fatigué par ses rafles de la nuit dernière.
Alors le Vieux fait virevolter ses manchettes. Tout en me désignant à l’admiration de ces hauteurs, tout en préconisant leur reconnaissance à mon endroit, il s’arrange pour tirer les couvrantes à lui. Il sait dire « nous » au bon moment ; laisser planer le doute dans les périodes où j’eus à me colleter avec des moments délicats, comme si c’était lui qui m’avait à distance sorti des mauvais pas. Surtout, il raconte. Or, tu ne l’ignores pas, mais une histoire appartient moins à qui l’a vécue qu’à qui (kaki) la raconte. Il en a fait son bien, sa chose, son exploit, le Tondu. Et moi, que veux-tu, j’ai beau être un collaborateur respectueux, ça me court sur la biroute, une telle attitude. Mais je la boucle, attendant la fin, la péroraison bioutifoule. Parce qu’à cet instant, je vais ajouter quelque chose. Une bricole que j’ai pas causée au Vieux, et qui va produire l’effet d’un paveton dans la vitrine d’un bijoutier.
— Ainsi donc, messieurs, cette organisation, créée par certaines factions du tiers monde, essaie de donner à croire qu’elle est soviétique, afin de s’abriter derrière un… Heu… N’est-ce pas ? Et son but, démoniaque, monsieur le ministre, messieurs z’et chers collègues ; ces documents en font foi : transmuer l’homme en animal pour parvenir à une consommation future de la chair qui fut ci-devant humaine. Diabolique calcul. En effet, ce plan, monsieur le collègue, messieurs les chers ministres, résoudrait la crise de l’alimentation que tous les sociologues annoncent et qui paraît inéluctable. Pour élever un homme, il faut moins de place que pour élever un bœuf. On accèderait progressivement au circuit fermé idéal : l’homme mangeant de l’homme. Auto-alimentation parfaite. L’humanité remodelée pour se maintenir en circuit fermé. Et ce avec des nuances préservant les notions gastronomiques si solidement ancrées dans notre société de jouissance. Ces gens en sont au tout premier stade de leur effroyable but. Ce sont encore des balbutiements. Un de nos collaborateurs, en a été un moment victime. Entrez, Bérurier !