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Moi, j'étais jeune et je veillais, tout en sachant que le prêtre avait reçu de Metoufer une cruche de vin et qu'il l'avait invité dans sa chambre avec deux autres fils de bonne famille, si bien qu'il ne viendrait pas nous surprendre. Je veillais, bien que je susse par ouï-dire que tous les candidats mangeaient, jouaient ou dormaient en cachette. Mata se mit à parler du temple de Sekhmet à la tête de lionne, où la fille céleste d'Amon apparaissait aux rois guerriers et les embrassait. Ce temple était derrière celui d'Amon, mais il n'était plus en faveur. Depuis des dizaines d'années, le pharaon n'y était plus retourné, l'herbe poussait entre les gros pavés de la cour. Mais Mata prétendait qu'il n'aurait rien à objecter à veiller là-bas et à embrasser la nudité de la déesse, et Nefrou lançait les dés, bâillait et déplorait de n'avoir pas eu l'idée de prendre du vin. Puis, tous deux se couchèrent, et bientôt je fus seul à veiller.

La nuit fut longue, et tandis que les autres dormaient, une profonde piété s'empara de moi, car j'étais encore jeune et je me disais que j'étais resté pur et que j'avais observé strictement tous les rites, afin qu'Amon pût m'apparaître. Je répétais ses noms sacrés et je prêtais l'oreille aux moindres bruits, les sens aux aguets, mais le temple restait vide et froid. Vers l'aube le rideau du sanctuaire bougea un peu, et ce fut tout. Lorsque la lumière du jour entra dans le temple, j'éteignis la lampe, en proie à une déception indicible, et je réveillai mes compagnons.

Les soldats soufflèrent dans leurs trompettes, les gardiens furent relevés sur les murs, et un murmure indistinct me parvint des cours, comme la houle des eaux lointaines dans le vent, si bien que nous sûmes que la journée et le travail avaient commencé dans le temple. Le prêtre finit par venir en toute hâte, suivi, à ma grande surprise, de Metoufer. Tous deux sentaient le vin, ils se tenaient par le bras, et le prêtre balançait à la main les clefs des bons coffres et répétait avec l'aide de Metoufer les paroles sacrées, avant de nous saluer.

– Candidats Mata, Môse, Be, Sinoufer, Nefrou, Ahmôse et Sinouhé, avez-vous veillé et prié, comme il est prescrit, pour mériter votre initiation?

– Oui, répondîmes-nous d'une seule voix.

– Amon vous est-il apparu, selon sa promesse? continua le prêtre en nous regardant de ses yeux fatigués.

Après un moment d'hésitation dans notre groupe, Môse. dit avec prudence:

– Il est apparu selon sa promesse.

Et chacun répéta cette phrase, mais moi je ne dis rien, il me semblait qu'une main me serrait le cœur, car ce que disaient mes compagnons me paraissait sacrilège.

Metoufer dit avec impudence:

– J'ai aussi veillé et prié pour mériter l'ordination, car la nuit prochaine j'ai autre chose à faire que veiller ici. Amon m'est apparu, ainsi que le prêtre peut en témoigner, et il avait la forme d'une grosse jarre, et il m'a confié une foule de secrets sacrés que je ne puis vous révéler, mais ses paroles étaient douces comme le vin dans ma bouche, si bien que j'avais soif d'en entendre jusqu'au point du jour.

Alors Môse prit courage et parla:

– A moi, il est apparu sous la figure de son fils Horus, il se posa sur mon épaule et dit: «Sois béni, Môse, que ta famille soit bénie, afin qu'un jour tu sois assis dans la maison aux deux portes et que tu aies de nombreux serviteurs à commander.»

Les autres se dépêchèrent de raconter ce qu'Amon leur avait dit, et ils parlèrent tous ensemble, tandis que le prêtre les écoutait en riant. Je ne sais s'ils racontaient leurs rêves ou s'ils mentaient. Mais moi, je me sentais seul et désemparé, et je ne disais rien.

Enfin le prêtre se tourna vers moi, fronça les sourcils et dit sévèrement:

– Et toi, Sinouhé, n'es-tu donc pas digne d'être ordonné? Le céleste Amon ne t'est pas apparu du tout? Ne l'as-tu pas même vu sous l'aspect d'une petite souris, car il choisit à sa guise des milliers de formes? Il s'agissait pour moi d'entrer dans la Maison de la Vie, aussi pris-je courage:

– A l'aube, j'ai vu bouger la tenture du sanctuaire, mais je n'ai pas vu Amon et il ne m'a pas parlé.

Alors tous éclatèrent de rire, et Metoufer pouffa en se tapant les genoux et en disant au prêtre:

– Il est bête.

Il tira le prêtre par sa manche qui était tachée de vin, et il lui parla à l'oreille en me regardant.

Le prêtre me jeta de nouveau un regard sévère et dit:

– Si tu n'as pas entendu la voix d'Amon, je ne pourrai t'initier. Mais on va aviser, car tu es un jeune homme croyant et tes intentions sont bonnes.

A ces mots, il entra dans le sanctuaire. Metoufer s'approcha de moi, vit mon expression malheureuse et me sourit amicalement:

– Ne crains rien.

Au bout d'un instant, nous sursautâmes tous, car dans le temple retentissait une voix surnaturelle qui semblait sortir de partout, du toit, des murs et d'entre les colonnes. Cette voix disait:

– Sinouhé, Sinouhé, sacré dormeur, où es-tu? Présente-toi devant ma face et honore-moi, car je suis pressé et n'ai pas envie d'attendre toute la journée.

Metoufer écarta le rideau, me poussa dans le sanctuaire et me fit coucher sur le plancher dans l'attitude prescrite pour saluer les dieux et les pharaons. Mais je relevai la tête et je vis que la lumière avait envahi le sanctuaire. La voix sortait de la bouche d'Amon:

– Sinouhé, Sinouhé, espèce de porc et de babouin! Etais-tu ivre, puisque tu dormais quand je t'ai appelé? On devrait te noyer dans la fange, mais à cause de ton jeune âge je te pardonne, bien que tu sois bête et paresseux, car je pardonne à tous ceux qui croient en moi, et je jette les autres dans le gouffre infernal.

Je ne me rappelle plus tout ce que la voix dit en criant, pestant et jurant, et je ne veux plus m'en souvenir, tant c'était humiliant et amer pour moi, car en écoutant bien j'avais reconnu dans le grondement surnaturel de la voix les intonations du prêtre, et cette constatation m'avait consterné et glacé. Je restai prostré devant la statue d'Amon, bien que la voix se fût tue, jusqu'à ce que le prêtre, d'un coup de pied, vînt me relever, tandis que mes compagnons apportaient de l'encens, des onguents, des fards et des vêtements rouges.

Chacun avait sa tâche déterminée. Je me rappelai la mienne et je courus chercher dans le vestibule un seau d'eau sacrée et des linges pour laver le visage, les mains et les pieds du dieu. A mon retour, je vis le prêtre cracher au visage d'Amon et l'essuyer avec sa manche souillée. Puis Môse et Nefrou lui peignirent les lèvres, les joues et les sourcils. Metoufer l'oignit et en riant il passa son pinceau aussi sur le visage du prêtre et sur le sien. Enfin, on déshabilla la statue, on la lava et la sécha, comme si elle avait fait ses besoins, et on lui mit des vêtements propres.

Quand tout fut terminé, le prêtre ramassa les vêtements et les linges, car il les vendait par morceaux aux riches visiteurs du temple, et l'eau servait à guérir les maladies de la peau. Nous étions libres maintenant, et nous pûmes sortir dans la cour au soleil, et là je vomis.

Mon cœur et ma tête étaient tout aussi vides que mon estomac, car je ne croyais plus aux dieux. Mais quand une semaine se fut écoulée, on m'oignit d'huile et on m'ordonna prêtre d'Amon, je prêtai le serment sacerdotal et j'en reçus un certificat. Celui-ci portait le sceau du grand temple d'Amon et mon nom, et il me donnait accès à la Maison de la Vie.

C'est ainsi que Môse, Bek et moi nous entrâmes dans cette maison. La porte s'ouvrit pour nous, mon nom fut inscrit dans le Livre de la Vie, comme l'avaient été jadis celui de mon père Senmout et celui de son père. Mais je n'étais plus heureux.

Dans la Maison de la Vie, l'enseignement aurait dû être surveillé par les médecins royaux, chacun dans sa branche. Mais on ne les voyait que rarement, car leur clientèle était nombreuse, ils recevaient de riches cadeaux pour leurs services et ils habitaient dans de vastes demeures en dehors de la ville. Mais lorsqu'on amenait dans la Maison de la Vie un malade dont le cas dépassait la compétence des médecins ordinaires ou qu'on n'osait pas traiter, alors on appelait le médecin royal qui faisait de son mieux devant les élèves. Ainsi, grâce à Amon, le malade le plus pauvre pouvait bénéficier des soins d'un médecin royal.