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– Vraiment, Sinouhé, fils de Senmout, Celui qui est solitaire, inspire confiance et guérit habilement ses malades.

Quand tout fut prêt, je m'assis pour attendre les clients et les malades, mais personne ne se montra. Le soir, j'allai dans un cabaret et me réjouis le cœur avec du vin, car il me restait encore un peu d'or et d'argent. J'étais jeune, je me croyais un habile médecin et j'avais confiance en l'avenir. C'est pourquoi je buvais avec Thotmès, et nous parlions à haute voix des affaires des deux pays, car à cette époque tout le monde sur les places, devant les magasins, dans les tavernes et dans les maisons de joie parlait des affaires des deux pays.

En effet, lorsque le corps du pharaon eut été préparé pour durer une éternité et déposé dans la vallée des rois, lorsque les portes de la tombe eurent été scellées avec les empreintes royales, la grande épouse monta sur le trône, munie du fouet et du sceptre, une barbe royale au menton et une queue de lion autour de la taille. L'héritier ne fut pas couronné pharaon, on disait qu'il voulait se purifier et implorer les dieux avant de prendre le pouvoir. Mais quand la grande mère royale congédia le vieux garde du sceau et éleva à sa place le prêtre inconnu Aï qui fut ainsi placé au-dessus de tous les grands d'Egypte et qui siégea dans le pavillon de la justice devant les quarante livres en cuir de la loi, pour nommer les percepteurs et les constructeurs du pharaon, tout le temple d'Amon se mit à bruire comme une ruche, on vit de nombreux présages funestes, et les sacrifices royaux ne réussirent plus. Il y eut aussi des rêves étranges que les prêtres interprétaient. Les vents changèrent de direction contre toutes les règles de la nature, si bien qu'il plut pendant deux jours de suite en Egypte et que les marchandises se gâtèrent dans les dépôts et que les tas de blé pourrirent sur les quais. En dehors de Thèbes, quelques étangs se changèrent en mares de sang et beaucoup de gens allèrent les voir. Mais on ne ressentait encore aucune crainte, car cela s'était vu de tous temps, lorsque les prêtres étaient en colère.

Mais il régnait une sourde inquiétude et une foule de bruits circulaient. Cependant les mercenaires du pharaon, égyptiens, syriens, nègres, recevaient de la mère royale d'abondantes soldes; leurs chefs se partageaient sur la terrasse du palais des colliers d'or et des décorations, et l'ordre était maintenu. Rien ne menaçait la puissance de l'Egypte, car en Syrie aussi les garnisons veillaient à l'ordre, et les princes de Byblos, de Simyra, de Sidon et de Ghaza, qui avaient passé leur enfance aux pieds du pharaon et reçu leur éducation dans la maison dorée, déploraient sa mort comme s'il se fût agi d'un père et ils écrivaient à la mère royale des lettres dans lesquelles ils déclaraient être de la poussière devant ses pieds. Dans le pays de Kousch, en Nubie et aux frontières du Soudan, on avait de tout temps l'habitude de guerroyer à la mort du pharaon comme si les nègres voulaient mettre à l'épreuve la longanimité du nouveau souverain. C'est pourquoi le vice-roi des terres du sud, le fils de dieu dans les garnisons du sud, mobilisa des troupes dès qu'il apprit la mort du pharaon, et ses hommes franchirent la frontière et incendièrent de nombreux villages après avoir capturé un riche butin de bétail, d'esclaves, de queues de lion et de plumes d'autruche, si bien que les routes vers le pays de Kousch furent de nouveau sûres et que toutes les tribus pillardes déplorèrent vivement la mort du pharaon, en voyant leurs chefs pendus la tête en bas aux murs des postes frontières.

Jusque dans les îles de la mer, on pleura la mort du grand pharaon, et le roi de Babylone et celui du pays des Khattis, qui régnait sur les Hittites, envoyèrent à la mère royale des tablettes d'argile pour déplorer la mort du pharaon et pour demander de l'or, afin de pouvoir dresser son image dans les temples, parce que le pharaon avait été pour eux comme un père et un frère. Quant au roi de Mitanni, à Naharina, il envoya sa fille pour qu'elle épousât le futur pharaon, comme son père l'avait fait avant lui et ainsi qu'il avait été convenu avec Je pharaon céleste avant sa mort. Tadu-Hépa, tel était le nom de la princesse, arriva à Thèbes avec des serviteurs, des esclaves et des ânes chargés de marchandises précieuses, et elle était une enfant de guère plus de six ans, et l'héritier la prit pour femme, car le pays de Mitanni était un boulevard entre la riche Syrie et les pays du nord et il protégeait toutes les routes de caravane du pays des deux fleuves jusqu'au rivage de la mer. C'est ainsi que les prêtres de la fille céleste d'Amon, Sekhmet à la tête de lionne, perdirent leur joie, et les gonds des portes de leur temple se rouillèrent.

Voilà de quoi Thotmès et moi nous parlions à haute voix, en réjouissant nos cœurs avec le vin en écoutant la musique syrienne et en regardant les jolies danseuses. La passion de Thèbes était en moi, mais chaque matin mon esclave borgne s'approchait de mon lit, mettait les mains à la hauteur des genoux et me tendait un pain, du poisson salé et un verre de bière. Je me lavais et je m'asseyais pour attendre les clients, je les recevais, j'écoutais leurs doléances et je les guérissais.

Parfois, des femmes m'amenaient des enfants, et si ces mères étaient maigres et leurs enfants débiles, avec des paupières dévorées par les mouches, j'envoyais Kaptah leur acheter de la viande et des fruits, et je leur en faisais cadeau, mais de cette manière je ne m'enrichissais pas et le lendemain, devant ma porte, cinq à dix mères attendaient avec leurs enfants, si bien que je ne pouvais les recevoir, mais que je devais ordonner à mon esclave de leur fermer la porte et de les envoyer au temple où, les jours de grands sacrifices, on distribuait aux pauvres les reliefs des prêtres rassasiés. Et chaque nuit torches et lampes brillaient dans les rues de Thèbes, la musique résonnait dans les maisons de joie et dans les cabarets, le ciel rougeoyait sur la ville. Je voulais réjouir mon cœur avec le vin, mais mon cœur ne se réjouissait plus, mes ressources s'épuisaient et je dus emprunter de l'or au temple pour m'habiller correctement et pour chercher à oublier mes soucis.

C'était de nouveau l'époque de la crue et l'eau montait jusqu'aux murs du temple. Quand elle se fut retirée, la terre verdoya, les oiseaux bâtirent leurs nids et les lotus fleurirent dans les étangs, tandis qu'embaumaient les buissons d'acacia. Un jour, Horemheb vint me voir. Il était vêtu de lin royal, il portait un collier d'or, et il tenait une cravache à la main, insigne de sa dignité d'officier du pharaon. Mais il n'avait plus de lance. Je levai le bras pour lui témoigner ma joie de le revoir, il fit de même et me sourit.