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Elle m'entraîna dans le jardin éclairé par la lune, et les myrtes et les acacias embaumaient, les lotus avaient fermé leurs fleurs pour la nuit dans le bassin au bord pavé de pierres de couleurs. Les domestiques versèrent de l'eau sur nos mains et nous apportèrent une oie rôtie et des fruits au miel, et Nefernefernefer dit:

– Mange et réjouis-toi avec moi, Sinouhé.

Mais la passion me serrait la gorge et je ne pus avaler un seul morceau. Elle m'observait d'un air espiègle et se régalait, et chaque fois qu'elle me regardait la lune se reflétait dans ses yeux. Quand elle eut fini de manger, elle dit:

– Je t'ai promis une légende et je vais te la raconter, car l'aube est encore lointaine et je n'ai pas sommeil. C'est la légende de Satné et de Tabouboué, prêtresse de Bastet.

– J'ai déjà entendu cette légende, lui dis-je sans pouvoir dominer mon impatience. Je l'ai entendue maintes fois, ma sœur. Viens avec moi, afin que je te prenne dans mes bras sur ton lit et que tu dormes contre moi. Viens, ma sœur, car mon corps est malade de langueur, et si tu ne viens pas, je me blesserai le visage sur les pierres et je hurlerai de passion.

– Silence, silence, Sinouhé, dit-elle en me touchant de la main. Tu es trop violent, tu me fais peur. Je veux te raconter une légende pour te calmer. Il arriva que Satné, fils de Khemvésé, en cherchant le livre cadenassé de Thoth, aperçut dans le temple Tabouboué, prêtresse de Bastet, et il en fut si bouleversé qu'il envoya son serviteur lui offrir dix deben d'or pour qu'elle passât une heure à se divertir avec lui. Mais elle lui dit: «Je suis une prêtresse et pas une femme méprisable. Si ton maître désire vraiment ce qu'il dit, qu'il vienne dans ma maison où personne ne nous verra, si bien que je n'aurai pas à me conduire comme une fille de rue.» Satné en fut ravi et se rendit aussitôt dans la maison où Tabouboue lui souhaita la bienvenue et lui offrit du vin. Après s'être ainsi réjoui le cœur, il voulut accomplir ce qui l'avait amené là-bas, mais elle lui dit: «N'oublie pas que je suis une prêtresse et pas une femme méprisable. Si vraiment tu désires avoir ton plaisir de moi, tu dois me donner tes biens et ta fortune, ta maison et tes champs et tout ce que tu possèdes.» Satné la regarda et envoya chercher un scribe qui rédigea un acte par lequel il cédait à Tabouboue tout ce qu'il possédait. Alors elle se leva, se vêtit de lin royal à travers lequel ses membres apparaissaient comme ceux des déesses, et elle se fit belle. Mais quand il voulut passer à la chose pour laquelle il était venu, elle le repoussa et dit: «N'oublie pas que je suis une prêtresse et pas une femme méprisable. C'est pourquoi tu dois chasser ta femme, afin que je n'aie pas à craindre que ton cœur se tourne vers elle.» Il la regarda et envoya des serviteurs chasser sa femme. Alors elle lui dit: «Entre dans ma chambre et étends-toi sur mon lit, tu recevras ta récompense.» Il alla s'étendre sur le lit, mais alors survint un esclave qui lui dit: «Tes enfants sont ici et réclament leur mère en pleurant.» Mais il fit la sourde oreille et voulut passer à la chose pour laquelle il était venu. Alors Tabouboue dit: «Je suis une prêtresse et pas une femme méprisable. C'est pourquoi je me dis que tes enfants pourraient chercher querelle aux miens pour ton héritage. Cela ne doit pas arriver et tu dois me permettre de tuer tes enfants.» Satné lui donna la permission de tuer ses enfants en sa présence et de jeter les corps par la fenêtre aux chiens et aux chats. Tout en buvant du vin avec elle, il entendit les chiens et les chats se disputer la chair de ses enfants.

Alors je l'interrompis, et mon cœur se contracta dans ma poitrine, comme aux jours de mon enfance quand ma mère me racontait cette légende. Je dis:

– Mais ce n'est qu'un songe. Car en s'étendant sur le lit de Tabouboue, Satné entendit un cri et se réveilla. Et il était comme s'il avait passé dans une fournaise ardente, il n'avait plus un lambeau de vêtement sur le corps. Tout n'avait été qu'un songe.

Mais Nefernefernefer dit tranquillement:

– Satné a eu un songe et s'est éveillé, mais bien d'autres ne se sont réveillés de leur songe que dans la Maison de la Mort. Sinouhé, je dois te dire que moi aussi je suis une prêtresse et pas une femme méprisable. Mon nom pourrait aussi être Tabouboue.

Mais le clair de lune jouait dans ses yeux et je ne la crus pas. C'est pourquoi je la pris dans mes bras, mais elle se dégagea et me demanda:

– Sais-tu pourquoi Bastet, la déesse de l'amour, est représentée avec une tête de chat?

– Je me moque des chats et des dieux, dis-je en cherchant à la prendre, les yeux humides de passion.

Mais elle me repoussa et dit:

– Tu pourras bientôt toucher mes membres et mettre ta main sur ma poitrine et mon sein, si cela est propre à te calmer, mais tu dois d'abord m'écouter et savoir que la femme est pareille au chat et que la passion aussi est comme un chat. Ses pattes sont douces, mais elles recèlent des griffes acérées qui plongent sans pitié jusqu'au cœur. Vraiment, la femme est pareille au chat, car le chat aussi jouit de tourmenter sa victime et de la faire souffrir de ses griffes sans jamais se lasser de ce jeu. Une fois sa victime paralysée, il la dévore et en cherche une autre. Je te raconte tout cela pour être franche avec toi, car je ne voudrais pas te faire du mal. Non, en vérité, je ne voudrais pas te faire le moindre mal, répéta-t-elle.

D'un air distrait, elle me prit les mains et en mit une sur son sein et l'autre sur sa cuisse. Je me mis à trembler et des larmes jaillirent de mes yeux. Mais brusquement elle repoussa mes mains et dit:

– Je m'appelle Tabouboué. Maintenant que tu le sais, sauve-toi et ne reviens jamais chez moi, afin que je ne te fasse pas de mal. Mais si tu restes, tu ne pourras rien me reprocher des ennuis qui pourraient t'arriver.

Elle me laissa le temps de réfléchir, mais je ne partis pas. Alors elle eut un léger soupir, comme si elle était lasse de ce jeu, et elle dit:

– D'accord. Je dois certainement te donner ce que tu es venu chercher. Mais ne sois pas trop ardent, car je suis fatiguée et je crains de m'endormir dans tes bras.

Elle m'emmena dans sa chambre. Son lit était en ivoire et en bois noir. Elle se déshabilla et m'ouvrit les bras. J'avais le sentiment que mon corps et mon cœur et tout mon être étaient réduits en cendres. Mais bientôt elle bâilla et dit:

– Je suis vraiment fatiguée et je crois réellement que tu n'as encore jamais touché à une femme, car tu es bien gauche et tu ne me donnes aucun plaisir. Mais un jeune homme qui vient pour la première fois chez une femme lui fait un cadeau irremplaçable. C'est pourquoi je ne te demande rien d'autre. Va maintenant et laisse-moi dormir, car tu as reçu ce que tu cherchais ici. Je voulus l'embrasser de nouveau, mais elle me repoussa et me renvoya, si bien que je rentrai chez moi. Mais mon corps était embrasé, en moi tout bouillonnait, et je savais que jamais je ne pourrais l'oublier.

Le lendemain, je dis à mon serviteur Kaptah de renvoyer tous les malades qui se présenteraient, en les engageant à s'adresser à un autre médecin. Je me rendis chez le coiffeur, je me lavai et me purifiai, je m'oignis d'onguents parfumés.

Je commandai une chaise à porteur pour aller chez Nefernefernefer sans souiller mes pieds et mes habits à la poussière de la rue. Mon esclave borgne me suivit d'un regard inquiet et secoua la tête, car je n'avais encore jamais quitté mon travail en plein jour, et il craignait de voir diminuer les présents, si je négligeais mes malades. Mais mon esprit était accaparé par une pensée unique et mon cœur brûlait comme dans un brasier. Et pourtant cette flamme était délicieuse.

Un serviteur me fit entrer et me conduisit dans la chambre de sa maîtresse. Elle se fardait devant un miroir et me regarda de ses yeux durs et indifférents comme les pierres vertes.