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Mon serviteur s'assit sur le plancher, car ses jambes étaient pleines de varices que je soignais de temps en temps. Il dit:

– Amon nous a manifestement abandonnés, ce qui ne m'étonne guère, car tu ne vas pas souvent lui porter des offrandes. Moi, en revanche, je lui ai scrupuleusement offert le cinquième de ce que je te volais, pour le remercier d'avoir un maître jeune et simple, mais malgré tout il m'a aussi abandonné. Peu importe. Il nous faut simplement changer de dieu et offrir rapidement nos hommages à un autre dieu qui peut-être détournera le mal de nous et remettra tout en ordre.

– Cesse de radoter, dis-je en regrettant déjà de l'avoir appelé par son nom, puisqu'il devenait si vite familier. Tes paroles sont comme un bourdonnement de mouche dans mes oreilles, et tu oublies que nous n'avons plus rien à offrir, puisqu'un autre possède tout ce que nous avons.

– Est-ce un homme ou une femme? demanda-t-il avec curiosité.

– Une femme, répondis-je.

Car pourquoi le lui aurais-je caché? A ces mots il se remit à pleurer, s'arracha les cheveux et cria:

– Pourquoi suis-je né dans ce monde? O ma mère, pourquoi ne m'as-tu pas étouffé avec le cordon ombilical le jour même de ma naissance? Car il n'est pas de destin plus cruel pour un esclave que de servir une maîtresse sans cœur, et elle est certainement sans cœur, la femme qui t'a traité ainsi. Elle m'ordonnera de sauter et de trotter du matin au soir avec mes jambes malades, elle me piquera avec ses épingles et me rouera de coups. Voilà ce qui m'attend, bien que j'aie sacrifié à Amon pour le remercier de m'avoir donné un maître jeune et inexpérimenté.

– Elle n'est pas sans cœur, dis-je (car l'homme est si insensé que je consentais à parler d'elle avec un esclave, puisque je n'avais pas d'autre confident). Nue sur son lit, elle est plus belle que la lune et ses membres sont lisses sous les onguents précieux et ses yeux sont verts comme le Nil sous le soleil estival. Ton sort est digne d'envie, Kaptah, parce que tu pourras vivre près d'elle et respirer l'air qu'elle respire.

Kaptah redoubla ses cris:

– Elle me vendra sûrement comme porteur de mortier ou ouvrier de mines, mes poumons halèteront et le sang jaillira sous mes ongles, et je crèverai dans la fange comme un âne épuisé.

Je savais dans mon cœur qu'il avait probablement raison, car dans la maison de Nefernefernefer il n'y avait pas de place ni de pain pour un homme de sa sorte. Les larmes me vinrent aussi aux yeux, mais je ne sais pas si je pleurais sur lui ou sur moi. A cette vue, il se tut et me regarda avec anxiété. Mais je me pris la tête dans les mains et je pleurai, sans me soucier d'être vu de mon esclave. Kaptah me toucha la tête de sa large main et dit mélancoliquement:

– Tout ceci est de ma faute, parce que je n'ai pas mieux veillé sur mon maître. Mais je ne savais pas qu'il était candide et pur comme un drap encore jamais lavé. Autrement, je n'y comprends rien. A la vérité, je me suis souvent étonné que mon maître ne m'ait jamais envoyé chercher une fille en rentrant de l'auberge. Et les femmes que je t'adressais pour qu'elles se découvrent devant toi et t'incitent à te divertir avec elles, tu les renvoyais insatisfaites, et elles me traitaient de rat et de bousier. Et pourtant, parmi elles, il y avait des femmes relativement jeunes et jolies. Mais toute ma sollicitude a été inutile, et dans ma bêtise je me réjouissais que tu n'amènes pas à la maison une femme qui me donnerait des coups ou lancerait de l'eau chaude sur mes pieds en se disputant avec toi. Que j'étais bête! Quand on jette un premier tison dans une cabane de pisé, elle flambe tout de suite.

Il ajouta encore:

– Pourquoi ne m'as-tu pas demandé de conseils dans ton inexpérience? Car j'ai vu bien des choses et je sais beaucoup de choses, bien que tu ne le croies pas. Moi aussi j'ai couché avec des femmes, il y a certes belle lurette, et je puis t'assurer que le pain, la bière et la panse pleine valent mieux que le sein de la femme même la plus belle. Hélas, maître, quand un homme va chez une femme, il doit emporter une canne, sinon la femme le domine et l'attache avec des liens qui s'enfoncent dans la chair comme un fil mince et qui frottent le cœur, comme une pierre dans la sandale râpe le pied. Par Amon, ô maître, tu aurais dû amener ici des filles, toute cette misère nous aurait été épargnée. Tu as perdu ton temps dans les tavernes et les maisons de joie, puisqu'une femme a fait de toi son esclave.

Il continua de parler longtemps ainsi, mais ses paroles n'étaient qu'un bourdonnement de mouche dans mes oreilles. Il finit par se calmer, et il me prépara un repas et versa de l'eau sur mes mains. Mais je ne pus manger, car mon corps était embrasé, et toute la soirée une seule et unique pensée m'accapara l'esprit.

LIVRE IV. Nefernefernefer

De bonne heure, je me rendis chez Nefernefernefer, mais elle dormait encore, et ses domestiques dormaient aussi, et ils pestèrent contre moi et me jetèrent de l'eau sale lorsque je les eus réveillés. C'est pourquoi je m'assis sur le seuil comme un mendiant jusqu'au moment où j'entendis du bruit et des voix dans la maison.

Nefernefernefer était étendue sur son lit, et son visage était petit et mince, et ses yeux étaient encore embués par le vin.

– Tu m'ennuies, Sinouhé, dit-elle. Vraiment tu m'ennuies beaucoup. Que veux-tu?

– Je veux boire et manger et me divertir avec toi, répondis-je la gorge serrée, ainsi que tu me l'as promis.

– C'était hier, et aujourd'hui est un autre jour, dit-elle, tandis que son esclave lui enlevait sa robe froissée et lui massait les membres avec des onguents.

Puis elle se mira dans une glace et se farda, elle mit sa perruque et prit un diadème dans l'or duquel étaient serties des perles et des pierres précieuses et qu'elle se posa sur le front.

– Cette parure est belle, dit-elle. Elle vaut certainement son prix, bien que je sois fort lasse et que mes membres soient épuisés, comme si j'avais lutté toute la nuit.

Elle bâilla et but une gorgée de vin pour se remettre. Elle m'offrit aussi du vin, mais je le bus sans plaisir devant elle.

– Ainsi, tu m'as menti hier, en me disant que tu ne pouvais te divertir avec moi. Mais je savais hier déjà que ce n'était pas vrai.

– Je me suis trompée, dit-elle. C'était pourtant le moment. Je suis fort inquiète, et peut-être suis-je enceinte de tes œuvres, Sinouhé, car j'ai été faible dans tes bras et tu étais fougueux.

Mais en disant ces mots elle souriait d'un air espiègle, si bien que je compris qu'elle se moquait de moi.

– Ce bijou provient certainement d'une tombe royale de Syrie, lui dis-je. Je me rappelle que tu m'en as parlé hier.

– Oh, fit-elle. En réalité je l'ai trouvé sous l'oreiller d'un commerçant syrien, mais tu n'as pas à t'inquiéter, car le bonhomme est ventru, gras comme un porc, et il pue l'ail. Je ne veux plus jamais le revoir, maintenant que j'ai obtenu ce que je convoitais.

Elle ôta sa perruque et le diadème et les laissa négligemment tomber sur le plancher à côté du lit, puis elle s'étendit. Son crâne était lisse et beau, et elle étira tout son corps, en mettant les mains sous sa nuque.

– Je suis faible et lasse, Sinouhé, dit-elle. Tu abuses de mon épuisement en me dévorant ainsi des yeux alors que je ne peux l'empêcher. Tu dois te rappeler que je ne suis point une femme méprisable, bien que j'habite seule, et que je dois veiller sur ma réputation.

– Tu sais que je n'ai plus rien à t'offrir, puisque tu possèdes déjà tout ce que j'avais, lui dis-je en penchant le front sur son lit.

Et je sentis l'odeur de ses onguents et le parfum de sa peau. Elle me caressa les cheveux, mais elle retira vite sa main, éclata de rire et secoua la tête.