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Mais les marchands de Simyra surveillent strictement leurs femmes et ils les gardent recluses chez eux et elles portent d'épais vêtements de la tête aux pieds, afin de ne pas séduire par leur extérieur. Eux-mêmes vont au temple pour se distraire et pour honorer les dieux. C'est pourquoi il n'existe pas à Simyra de maisons de joie comme en Egypte, et si un homme ne veut pas se contenter des vierges du temple, il en est réduit à se marier ou à acheter une esclave pour se divertir avec elle. Chaque jour, de nombreux esclaves étaient mis en vente, car sans cesse arrivaient des navires, et il y en avait de toutes les couleurs et dimensions, des gras et des maigres, des enfants et des vierges, de quoi contenter et satisfaire tous les goûts. Les esclaves estropiés étaient acquis par les autorités à vil prix pour être sacrifiés à Baal, et les Simyriens souriaient alors et se tapaient les cuisses en se trouvant bien malins d'avoir ainsi trompé les dieux. Mais si l'esclave sacrifié était très vieux et édenté ou invalide et mourant, ils plaçaient un bandeau sur les yeux du dieu, afin que celui-ci ne vît pas les défauts de la victime, tout en se réjouissant les narines à l'odeur du sang versé en son honneur.

Moi aussi je sacrifiais à Baal, puisque c'était le dieu de la ville et qu'il valait mieux être en bons termes avec lui. Mais comme Egyptien, je ne lui portais pas des offrandes humaines, je lui donnais de l'or. Parfois, je me rendais aussi dans le temple d'Astarté qui s'ouvrait le soir, et j'écoutais la musique et je regardais comment les femmes du temple, que je me refuse à appeler les vierges, exécutaient des danses voluptueuses en l'honneur de la déesse. Puisque c'était la coutume, je me divertissais avec elles, et mon étonnement fut grand quand elles m'apprirent bien des choses que j'ignorais. Mais mon cœur ne se réjouissait pas avec elles, je n'y allais que par curiosité, et lorsqu'elles m'eurent enseigné tout ce qu'elles savaient, je me lassai d'elles et je n'entrai plus dans leur temple et à mon sens rien n'était plus monotone que leur habileté.

Pourtant Kaptah était inquiet à mon sujet et il hochait la tête en me regardant, parce que mon visage vieillissait et que les rides se creusaient entre mes sourcils et que mon cœur se fermait. C'est pourquoi il espérait que j'achèterais une esclave pour me divertir avec elle, lorsque j'en aurais le temps. Comme Kaptah était mon intendant et qu'il tenait ma bourse, il m'acheta un beau jour une esclave à son goût, il la lava et l'habilla et l'oignit, puis il me la montra le soir, alors que fatigué par les soins aux malades, je désirais me reposer tranquillement.

Cette esclave venait des îles de la mer et sa peau était blanche et ses dents sans défauts, et elle n'était pas maigre et ses yeux étaient ronds et doux comme ceux d'une génisse. Elle m'observait respectueusement et redoutait la ville étrangère où elle avait échoué. Kaptah me la montra et me dépeignit sa beauté avec volubilité, si bien que pour lui faire plaisir je consentis à me divertir avec elle. Mais malgré tous mes efforts de rompre ma solitude, mon cœur ne se réjouit pas et avec la meilleure volonté je ne pus l'appeler sœur.

Mais ce fut une erreur de me montrer gentil avec elle, car elle devint orgueilleuse et ne cessa de me déranger dans mon travail. Elle mangeait beaucoup et engraissait et réclamait continuellement des bijoux et des vêtements et elle me suivait partout avec des yeux langoureux et voulait sans cesse se divertir avec moi. C'est en vain que je partais en voyage à l'intérieur du pays et dans les villes de la côte, car à mon retour elle était la première à me saluer et pleurait de joie et me poursuivait pour que je me divertisse avec elle. C'est en vain que dans ma colère je lui donnais des coups de canne, car elle n'en était que plus excitée et admirait ma force, si bien que la vie me devint impossible à la maison. Finalement je résolus de la donner à Kaptah qui l'avait choisie à son goût, afin qu'il se divertît avec elle et que je fusse en paix, mais elle mordit et griffa Kaptah et l'injuria dans la langue de Simyra, dont elle avait appris quelques mots, et dans celle des îles de la mer que nous ne comprenions ni l'un ni l'autre. Et ce fut en vain que tous deux nous la battîmes, car elle n'en démordait pas de vouloir se divertir avec moi. Mais le scarabée nous tira de ce mauvais pas, car un jour je reçus la visite d'un prince de l'intérieur, et c'était le roi d'Amourrou, nommé Aziru, qui connaissait ma réputation. Je lui soignai les dents et lui en fis une en ivoire à la place de celle qu'il avait perdue dans un combat contre ses voisins, et je recouvris d'or ses dents gâtées. Je fis de mon mieux, et pendant son séjour à Simyra, il vint chaque jour chez moi. C'est ainsi qu'il vit mon esclave à laquelle j'avais donné le nom de Keftiou, parce que je ne pouvais pas prononcer son nom payen, et il en tomba amoureux. Cet Aziru était robuste comme un taureau et il avait la peau blanche. Sa barbe était d'un noir bleuté et brillant, et ses yeux avaient un éclat hautain, si bien que Keftiou se mit aussi à le regarder avec convoitise, car tout ce qui est étranger intrigue les femmes. Il admirait surtout la corpulence de l'esclave, qui était cependant jeune encore, et ses vêtements qu'elle drapait à la crétoise l'excitaient fortement, parce qu'ils couvraient la gorge, mais dévoilaient la poitrine, et qu'il était habitué à voir sa femme habillée de la tête aux pieds. Pour toutes ces raisons, il finit par ne plus pouvoir dominer sa passion, et il soupira profondément en me disant un jour:

– Certes, je suis ton ami, Sinouhé l'Egyptien, et tu m'as soigné les dents et grâce à toi ma bouche reluit d'or dès que je l'ouvre, si bien que ta réputation sera grande dans le pays d'Amourrou. La récompense de tes bons soins sera si magnifique que tu en lèveras les bras d'étonnement. Mais malgré cela, je suis forcé de t'offenser contre mon gré, car depuis que j'ai vu la femme qui habite dans ta maison, j'en suis amoureux et je ne peux pas refréner mon désir, car la passion me déchire le corps comme un chat sauvage et tout ton art est impuissant à guérir cette maladie. En effet, ma passion pour cette femme est si puissante que c'est une maladie. Comme jamais encore je n'ai vu sa pareille, je comprends sans peine que tu l'aimes lorsqu'elle réchauffe ton lit la nuit. Malgré cela, je te demande de me la donner pour qu'elle devienne une de mes femmes et ne soit plus une esclave. Je te parle franchement, car je suis ton ami et un homme honnête et je te payerai le prix que tu me demanderas. Mais je te dis aussi franchement que si tu ne me la cèdes pas de bon gré, je l'enlèverai de force et l'emmènerai dans mon pays où tu ne la retrouveras jamais, si même tu t'y aventurais à sa recherche. Et si tu t'enfuyais de Simyra avec elle, je te découvrirais et mes envoyés te tueraient et l'emmèneraient chez moi. Je t'expose tout cela, parce que je suis un homme honnête et ton ami, et que je ne veux pas t'adresser des paroles perfides.

Ces mots me causèrent une telle joie que je levai le bras en signe d'allégresse, tandis que Kaptah s'arrachait les cheveux et hurlait:

– Ce jour est néfaste et mieux vaudrait que mon maître ne fût jamais né, puisque tu veux lui ravir la seule femme avec laquelle son cœur se réjouisse. Cette perte sera irréparable, car pour mon maître cette femme est plus précieuse que tout l'or et les bijoux et l'encens, car elle est plus belle que la pleine lune et son ventre est rond et blanc comme un sein, bien que tu ne l'aies pas encore vu, et ses seins sont comme des melons, ainsi que tu peux le voir de tes propres yeux.

Il parlait ainsi, parce qu'il avait appris les façons des commerçants de Simyra et qu'il voulait obtenir un bon prix de l'esclave, dont notre désir commun était de nous débarrasser au plus vite. A ces mots, Keftiou fondit en larmes et déclara que jamais elle ne m'abandonnerait, mais entre ses doigts elle regardait avec admiration Aziru et sa barbe bouclée.