– Soldats d'Egypte! Je dis soldats d'Egypte, et par ces mots, je désigne aussi bien vous, nègres dégoûtants, que vous, sales lanciers syriens, et vous aussi, shardanes et conducteurs des chars de guerre, qui ressemblez le plus à des soldats et à des Egyptiens dans ce troupeau bêlant et beuglant. J'ai été patient avec vous et je vous ai entraînés consciencieusement, mais à présent, ma patience est à bout et je renonce à vous envoyer à l'exercice, car si vous y allez, vous vous embarrassez dans vos lances, et si vous tirez de l'arc en courant, vos flèches volent aux quatre vents des cieux et vous vous blessez les uns les autres et vos flèches se perdent, ce qui est un gaspillage que nous ne pouvons nous permettre, grâce au pharaon, que son corps se conserve éternellement! C'est pourquoi, aujourd'hui, je vous conduirai au combat, car mes éclaireurs m'ont rapporté que les Khabiri campent derrière les montagnes, mais je ne sais pas combien ils sont, parce que les éclaireurs ont pris la fuite avant de les avoir comptés, tant ils avaient peur. Mais j'espère qu'ils sont assez nombreux pour vous massacrer tous jusqu'au dernier, afin que je n'aie plus à contempler vos binettes répugnantes et lâches et que je puisse rentrer en Egypte pour y rassembler une armée de vrais hommes qui aiment le butin et l'honneur. Quoi qu'il en soit, je vous offre aujourd'hui une dernière chance. Sous-officier, oui, toi, avec ton nez fendu, allonge un coup de pied à cet homme qui se gratte le derrière pendant que je parle! Oui, je vous offre aujourd'hui une dernière chance.
Horemheb jeta sur les hommes un regard furibond et personne n'osa plus bouger pendant qu'il parlait.
– Je vous conduirai au combat, et que chacun sache que je me jette le premier dans la mêlée et que je ne m'attarde pas à regarder qui me suit. Car je suis le fils d'Horus et un faucon vole devant moi et aujourd'hui je veux battre les Khabiri, même si je dois le faire tout seul. Mais je vous avertis que ce soir mon fouet dégoulinera de sang, car je compte rosser de ma main tout ceux qui ne me suivront pas et qui chercheront à se cacher ou à fuir, et je les rosserai tellement qu'ils souhaiteront n'être jamais nés, et je vous assure que ma cravache mord plus cruellement que les lances des Khabiri dont le cuivre est mauvais et qui se brisent facilement. Et les Khabiri n'ont rien d'effrayant, sauf leurs cris qui sont vraiment affreux, mais si l'un de vous redoute les hurlements, il n'a qu'à se mettre de l'argile dans les oreilles. Il n'en résultera aucun dommage, car les hurlements des Khabiri vous empêcheraient d'entendre les ordres, mais chacun doit suivre son chef et tous vous suivrez mon faucon. Je peux encore vous dire que les Khabiri se battent en désordre, comme un troupeau, mais je vous ai appris à rester en rangs et j'ai exercé les archers à tirer tous ensemble au commandement ou sur un signal. Que Seth et tous ses démons rôtissent quiconque tirera trop vite ou sans viser. Ne vous lancez pas dans la bataille en criant comme des femmes, mais tâcher d'être des hommes qui portent un pagne et non pas une robe. Si vous battez les Khabiri, vous pourrez vous partager leurs troupeaux et leurs marchandises et vous serez riches, car ils ont ramassé un grand butin dans les villages incendiés, et je ne veux pas garder pour moi un seul esclave ni un seul bœuf, tout sera à partager entre vous. Vous pourrez aussi vous partager leurs femmes, et je crois que vous aurez du plaisir à les caresser ce soir, car elles sont belles et ardentes et elles aiment les soldats courageux.
Horemheb regarda ses soldats, et soudain ils se mirent à crier ensemble et à frapper leurs lances contre leurs boucliers et à brandir leurs arcs. Horemheb sourit et agita nonchalamment sa cravache et dit:
– Je vois que vous brûlez du désir de vous faire rosser, mais nous devons d'abord inaugurer un temple nouveau au dieu du pharaon, dont le nom est Aton. C'est cependant un dieu qui n'a rien de guerrier, et je ne crois pas qu'il vous sera bien utile aujourd'hui. C'est pourquoi le gros de la troupe va partir, et l'arrière-garde restera pour la fête, afin de s'assurer de la bienveillance du pharaon pour nous. C'est que vous aurez une longue marche à accomplir, car je veux vous lancer dans la bataille aussi fatigués que possible, afin que vous n'ayez plus la force de fuir, mais que vous vous battiez d'autant plus courageusement pour votre vie.
Il agita de nouveau sa cravache dorée, et les troupes poussèrent des cris enthousiastes et sortirent de la ville en grand désordre, chaque section suivant son insigne qui était fixé au bout d'une perche. C'est ainsi que les soldats suivaient des queues de lions et des éperviers et des têtes de crocodiles, et les chars de guerre légers précédaient les troupes et couvraient leur marche. Mais les chefs supérieurs et l'arrière-garde accompagnèrent Horemheb dans le temple qui s'élevait sur un rocher en bordure de la ville. Tandis que nous nous y rendions, j'entendis murmurer les officiers et ils parlaient ainsi entre eux: «N'est-il pas stupide que le chef se jette le premier dans le combat? Nous ne le fêtons certainement pas, car de tout temps ce fut l'habitude de porter les chefs et les officiers dans des litières, derrière les troupes, car ils sont les seuls qui sachent écrire, et comment pourraient-ils autrement noter les actes des soldats et punir les lâches?» Horemheb entendit fort bien ces propos, mais il se borna à agiter sa cravache en souriant.
Le temple était petit et hâtivement construit de bois et d'argile, et il n'était pas comme les temples ordinaires, car il était à ciel ouvert et au milieu se trouvait un autel, et on ne voyait pas du tout le dieu, si bien que les soldats se regardaient avec étonnement en le cherchant. Horemheb leur parla ainsi:
– Son dieu est rond et semblable au disque du soleil, c'est pourquoi guignez du côté du ciel, vous l'y verrez peut-être. Il vous bénit de ses mains, bien que je me doute qu'aujourd'hui, après la marche, ses doigts vous feront l'effet d'aiguilles brûlantes sur vos dos.
Mais les soldats murmurèrent et dirent que le dieu du pharaon était trop éloigné. Ils désiraient un dieu devant lequel on pût se prosterner et qu'on pût toucher de ses mains, si on osait. Mais ils se turent, lorsque le prêtre s'avança, et c'était un frêle jeune homme dont la tête n'était pas rasée et qui portait une tunique blanche. Ses yeux étaient brillants et inspirés et il déposa en offrande sur l'autel des fleurs printanières et de l'huile et du vin, jusqu'au moment où les soldats rirent à haute voix. Il chanta aussi un hymne à Aton et on dit que c'est le pharaon qui l'avait composé. Il était très long et monotone, et les soldats l'écoutèrent bouche bée, sans y rien comprendre. En voici les paroles:
Ton apparition est belle à l'horizon du ciel,
O vivant Aton, principe de vie!
Quand tu te lèves à l'horizon oriental du ciel,
Tu remplis chaque pays de ta beauté,
Car tu es beau, grand, étincelant, élevé au-dessus de la terre.
Tes rayons, ils entourent les pays et tout ce que tu as créé.
Tu les enchaînes de ton amour,
Quoique tu sois éloigné, tes rayons sont sur terre,
Bien que tu résides au ciel, les empreintes de tes pas sont le jour.
Puis le prêtre dépeignit les ténèbres nocturnes et les lions qui sortent de leurs tanières la nuit, et les serpents qui mordent, si bien que de nombreux soldats commencèrent à frémir. Il décrivit la clarté du jour et affirma qu'à l'aube les oisillons battaient des ailes pour louer Aton. Il déclara aussi que ce nouveau dieu créait l'enfant dans le sein de la femme. A l'entendre, on se persuadait que cet Aton ne négligeait aucun détail dans l'univers, car aucun poussin n'arrive à percer la coquille de l'œuf et à pépier sans l'aide d'Aton.
Tu es dans mon coeur
Et nul autre ne te connaît,