Sinon ton fils le pharaon.
Tu l'inities à tes desseins
Et tu le consacres par ta puissance.
L'univers est dans tes mains
Tel que tu l'as créé,
Les hommes vivent de ta lumière,
Lorsque tu te couches, ils meurent,
Car tu es la vie
Et par toi les hommes vivent.
Tous les yeux contemplent ta beauté,
Jusqu'à ce que tu te couches,
Tout travail est abandonné,
Lorsque tu disparais à l'occident.
Depuis que tu as établi la terre,
Tu l'as préparée pour la venue de ton fils,
Qui est sorti de tes bras,
Pour le roi vivant de la vérité,
Le maître des deux pays, fils de Râ,
Qui vit de la vérité,
Pour le maître des deux couronnes tu as créé le monde,
Et pour sa grande épouse royale,
Sa bien-aimée, Maîtresse du Double Pays,
Pour Nefertiti, vivante et prospère à jamais.
Les soldats prêtaient l'oreille en grattant le sable de leurs orteils, et à la fin de l'hymne ils poussèrent des hourras en l'honneur du pharaon, car tout ce qu'ils avaient compris à cet hymne, c'est qu'il avait pour but de célébrer le pharaon et de le proclamer fils du dieu, ce qui était juste et bon, puisqu'il en avait toujours été ainsi et qu'il en serait toujours ainsi. Horemheb congédia le prêtre qui, tout ravi des applaudissements des soldats, s'en fut rédiger un rapport au roi. Mais je crois que l'hymne et ses idées ne causèrent guère de joie aux soldats qui grattaient le sable et qui allaient partir pour le combat et peut-être au-devant d'une mort violente.
L'arrière-garde se mit en branle, suivie par les chariots à bœufs et les bêtes de somme. Horemheb prit la tête avec son char et les officiers s'éloignèrent dans leurs chaises, en se plaignant de l'ardeur du soleil. Je me contentai de monter un âne en compagnie de mon ami l'officier du ravitaillement et j'emportai ma boîte à médecine, dont je pensais bien avoir besoin.
Les troupes marchèrent jusqu'au soir, avec un bref repos pour manger et boire. Des traînards de plus en plus nombreux restaient au bord du chemin, incapables de se lever, même quand les sous-officiers leur donnaient des coups de fouet et sautaient à pieds joints sur eux. Les soldats chantaient et pestaient à tour de rôle, et quand les ombres s'allongèrent, des flèches commencèrent à pleuvoir des collines en bordure du chemin, si bien que parfois dans la colonne un homme poussait un cri et portait la main à son épaule transpercée ou s'écroulait sur le chemin. Mais Horemheb ne s'attarda pas à nettoyer les abords du chemin, il accéléra l'allure, si bien que les hommes finirent par aller au pas de course. Les chars légers ouvraient la voie et bientôt nous vîmes au bord du chemin les corps déchiquetés de quelques Khabiri étendus dans leurs manteaux, la bouche et les yeux pleins de mouches. Quelques soldats sortirent de la colonne pour retourner les corps et chercher des souvenirs de guerre, mais il n'y avait plus rien à piller.
L'officier du ravitaillement transpirait sur son âne. Il me demanda de transmettre son dernier salut à sa femme et à ses enfants, car il pressentait que ce serait son dernier jour. C'est pourquoi il me donna l'adresse de sa femme à Thèbes, en me priant de veiller à ce que son corps ne soit pas dévalisé, à moins que les Khabiri ne nous aient tous massacrés avant la nuit, ainsi qu'il opinait en hochant la tête.
Enfin s'ouvrit devant nous une vaste plaine où les Khabiri avaient établi leur camp. Horemheb fit sonner les trompettes et disposa les troupes pour l'attaque, les lanciers au centre et les archers aux deux ailes. Quant aux chars, il les renvoya, et ils partirent à toute vitesse, soulevant des nuages de poussière. Il ne garda près de lui que quelques chars lourds. Dans les vallées lointaines derrière les montagnes montait la fumée des villages incendiés. Le nombre des Khabiri semblait immense dans la plaine et leurs rugissements et leurs cris remplissaient l'air comme le fracas de la mer lorsqu'ils avancèrent à notre rencontre, les boucliers et les pointes des lances luisant terriblement à la lumière du soleil couchant. Mais Horemheb s'écria:
– Ne tremblez pas des genoux, mes chers bousiers, car les Khabiri armés sont peu nombreux, et ceux que vous voyez sont leurs femmes et leurs enfants et leur bétail qui seront tous votre butin avant la nuit. Et dans leurs marmites de terre vous attend un repas chaud. C'est pourquoi cognez dur, afin que vous puissiez bientôt vous régaler, car j'ai déjà une faim de crocodile.
Mais la horde des Khabiri déferlait contre nous, effrayante, et ils étaient plus nombreux que nous et leurs lances semblaient acérées dans la lumière du soleil, et la guerre ne m'amusait plus du tout. Les rangs des lanciers faiblirent et les hommes regardaient derrière eux, comme moi aussi, mais les sous-officiers brandissaient leurs fouets et juraient, et les soldats se disaient certainement qu'ils étaient trop fatigués et trop affamés pour pouvoir échapper par la fuite, si bien que les rangs se reformèrent et que les archers se mirent à palper nerveusement la corde de leur arc, en attendant le signal.
Parvenus à bonne distance, les Khabiri poussèrent leur cri de guerre, et leurs hurlements étaient si affreux que tout mon sang reflua et que mes jambes tremblèrent. Ils se lancèrent à la course contre les nôtres et j'entendis les flèches siffler à mes oreilles en bruissant comme des mouches: psst, psst. Jamais de ma vie je n'avais entendu un bruit plus excitant que le sifflement des flèches. Et je me rassurais en constatant que les flèches n'avaient pas commis trop de dommages, car elles volaient trop haut ou tombaient sur les boucliers. En cet instant, Horemheb cria: «Suivez-moi, mes braves bousiers!» Son conducteur lança les chevaux au galop, les chars de guerre le suivirent, les archers tirèrent des salves et les lanciers se mirent à courir derrière les chars. Et alors, de tous les gosiers jaillit un cri encore plus effrayant que celui des Khabiri, car chacun criait pour sa vie et pour diminuer sa peur, et je m'aperçus que moi aussi je hurlais à pleine gorge, ce qui me soulagea immédiatement.
Les chars de guerre entrèrent à grand bruit dans la masse des Khabiri, et au premier rang, au-dessus des nuages de poussière et des lances brandies, le casque de Horemheb dressait ses plumes d'autruche. Dans la trouée des chars, les lanciers avancèrent derrière les queues de lions et les éperviers, et les archers se déployèrent dans la plaine en tirant des salves contre la foule dense des Khabiri. Dès ce moment, ce ne fut plus qu'une confusion indescriptible, du vacarme, des cliquetis, des hurlements et des cris d'agonie. Des flèches sifflèrent à mes oreilles et mon âne s'emballa et se jeta dans le gros de la mêlée, malgré mes coups de pied et mes cris. Les Khabiri se battaient avec courage et sans peur, et les hommes renversés par les chevaux cherchaient encore à atteindre de la lance ceux qui passaient à portée, et maint Egyptien perdit la vie en se penchant pour couper comme un trophée la main de l'ennemi abattu. L'odeur du sang l'emportait sur celle de la sueur et des soldats, et les corbeaux tourbillonnaient dans le ciel en essaims sans cesse plus nombreux.
Soudain les Khabiri poussèrent un hurlement furieux et prirent la fuite, car ils avaient vu que les chars légers, après avoir contourné la plaine, attaquaient leur camp et pourchassaient les femmes et dispersaient le bétail volé. Ils ne purent supporter ce spectacle, mais ils se sauvèrent pour essayer de protéger leurs femmes et leur camp, et ce fut leur perte. Car les chars se tournèrent contre eux et les dispersèrent, et les archers et les lanciers de Horemheb achevèrent le massacre. Quand le soleil se coucha, la plaine était couverte de cadavres sans mains, le camp était en flammes et partout mugissait le bétail éparpillé.