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– Cet Aziru est mon ami, et il est rempli de vanité, parce que je lui ai doré les dents, dis-je. Je crois aussi qu'il a d'autres préoccupations, car il a pris une femme qui lui épuise les flancs et lui affaiblit les genoux.

– Tu sais bien des choses, Sinouhé, dit Horemheb avec un regard songeur. Tu es un homme libre et tu décides toi-même de tes actes et tu voyages d'une ville à l'autre, en entendant bien des choses que d'autres ignorent. Si j'étais à ta place et libre comme toi, je me rendrais dans tous les pays pour m'instruire. J'irais à Mitanni et à Babylone, et je profiterais de l'occasion pour me renseigner sur les chars de guerre des Hittites et sur la manière dont ils exercent leurs troupes, et je visiterais aussi les îles de la mer pour voir quelle est la force réelle des navires de guerre dont on parle tant. Mais je ne peux pas le faire, car le pharaon me rappelle. En outre, mon nom est si connu dans toute la Syrie qu'on ne me raconterait pas ce que je désire apprendre.

Mais toi, Sinouhé, tu es vêtu à la syrienne et tu parles la langue des gens cultivés de tous les pays. Tu es médecin et personne ne croit que tu sois au courant d'autre chose que de ton art. Ton langage est simple et souvent enfantin à mes oreilles, et tu me regardes de tes yeux ouverts, mais pourtant je sais que ton cœur est renfermé et que tu n'es pas comme on le croit. Est-ce vrai?

– Peut-être, lui dis-je. Mais que veux-tu de moi?

– Si je te donnais beaucoup d'or, dit-il, pour que tu puisses aller dans les pays dont je t'ai parlé, afin d'y pratiquer ton art et diffuser la renommée de la médecine égyptienne et ta réputation de guérisseur, dans chaque ville les riches t'inviteraient chez eux et tu pourrais scruter leurs cœurs, et peut-être que les rois et les souverains t'appelleraient aussi et tu pourrais sonder leurs intentions. Mais tout en exerçant ton art, tes yeux seraient les miens et tes oreilles les miennes, et tu te graverais dans l'esprit tout ce que tu vois et entends, afin de me le raconter à ton retour en Egypte.

– Je ne rentrerai jamais en Egypte, dis-je. Et tes propositions sont dangereuses, je ne tiens nullement à être pendu aux murailles d'une ville étrangère, la tête en bas.

– De demain nul n'est certain, répondit-il. Je crois que tu reviendras en Egypte, car quiconque a bu l'eau du Nil ne peut étancher sa soif ailleurs. Même les hirondelles et les grues reviennent en Egypte chaque hiver et ne se plaisent nulle part ailleurs. C'est pourquoi tes paroles sont un bourdonnement de mouche dans mes oreilles. Et l'or n'est que poussière à mes pieds, et je l'échangerais volontiers contre des renseignements. Ce que tu dis de la pendaison est stupide, car je ne te demande pas de commettre des actes nuisibles ni de violer les lois des pays étrangers. Toutes les grandes villes n'attirent-elles pas les étrangers pour visiter leurs temples, n'organisent-elles pas des fêtes et des divertissements pour amuser les voyageurs, afin que ceux-ci laissent leur or aux habitants de la ville? Tu seras le bienvenu dans tous les pays, si tu as de l'or sur toi. Et ton art sera apprécié dans des pays où l'on tue les vieillards à coups de hache et où l'on mène les malades mourir dans le désert, comme je l'ai entendu dire. Les rois sont fiers de leur puissance et aiment faire défiler leurs troupes devant eux, afin que les étrangers aussi en conçoivent du respect pour leur puissance. Quel mal y aurait-il à ce que tu observes comment les soldats marchent et quelles armes ils ont, et si tu comptes le nombre des chars de guerre en notant s'ils sont gros et lourds ou petits et légers, et s'ils portent deux ou trois hommes, car on m'a dit que parfois un écuyer prend place à côté du conducteur. Il est également important de savoir si les soldats sont bien nourris et luisants de graisse ou s'ils sont maigres et rongés par la vermine et s'ils ont les yeux malades comme mes bousiers. On raconte aussi que les Hittites ont découvert magiquement un nouveau métal qui est capable d'ébrécher l'acier le mieux trempé, et ce métal est bleu et il s'appelle fer, mais je ne sais si c'est vrai, car il est possible qu'ils aient simplement trouvé un nouveau moyen de tremper le cuivre et de le mélanger, mais je voudrais connaître de quoi il s'agit. Mais ce qui est essentiel, c'est de savoir les dispositions du souverain et celles de ses conseillers. Regarde-moi!

Je le regardai, et il me sembla grandir à mes yeux et son regard avait un éclat sombre, et il était pareil à un dieu, si bien que mon cœur frémit et que je m'inclinai devant lui, les mains à la hauteur des genoux. Il me dit alors:

– Crois-tu que je suis ton maître?

– Mon cœur me dit que tu es mon maître, mais je ne sais pourquoi, répondis-je, et ma langue était épaisse dans ma bouche et j'avais peur. Il est probablement exact que tu es destiné à devenir un conducteur de foules, comme tu l'affirmes. Je vais donc partir et mes yeux seront les tiens et mes oreilles les tiennes, mais je ne sais si tu profiteras de ce que je verrai ou entendrai, car je suis bête dans les affaires qui t'intéressent, c'est seulement en médecine que j'excelle. Cependant, je ferai de mon mieux, et pas pour de l'or, mais parce que tu es mon ami et que les dieux en ont manifestement décidé ainsi, s'il existe des dieux.

Il dit:

– Je crois que tu ne te repentiras jamais d'être mon ami, mais je te donnerai en tout cas de l'or, car tu en auras besoin, si je connais bien les hommes. Tu n'as pas à te demander pourquoi les renseignements que je désire obtenir me sont plus importants que l'or. Je puis cependant te dire que les grands pharaons envoyaient des hommes habiles dans les cours des autres royaumes, mais les envoyés du pharaon actuel sont des imbéciles qui ne savent raconter que la manière dont on plisse les robes et comment on porte les décorations et dans quel ordre chacun est assis à la droite ou à la gauche du souverain. C'est pourquoi ne te soucie pas d'eux, si tu en rencontres, mais que leurs discours soient comme un bourdonnement de mouche à tes oreilles.

Mais quand je pris congé, il abandonna sa dignité et mit sa main sur ma joue et toucha mon épaule de son visage, en disant:

– Mon cœur est gros à ton départ, Sinouhé, car si tu es solitaire, je le suis aussi, et personne ne connaît les secrets de mon cœur.

Je crois qu'en disant ces mots il pensait à la princesse Baketamon dont la beauté l'avait ensorcelé.

Il me remit beaucoup d'or, plus que je ne pensais, et je crois qu'il me donna tout l'or qu'il avait gagné pendant la campagne de Syrie, et il ordonna à une escorte de m'accompagner jusqu'à la côte pour me protéger des brigands. Je déposai l'or dans une grande maison de commerce et l'échangeai contre des tablettes d'argile plus commodes à transporter parce que les voleurs ne pouvaient les utiliser, et je pris le bateau pour rentrer à Simyra.

Je tiens à mentionner encore qu'avant mon départ de Jérusalem, je trépanai un soldat qui avait reçu un coup de massue sur la tête dans une rixe devant le temple d'Aton, et le crâne était fracturé et l'homme agonisait et ne pouvait remuer ni les bras ni les jambes. Mais je ne pus le guérir, son corps devint brûlant et il se débattit, et il mourut le lendemain.

LIVRE VI. La journée du faux roi

Au début de ce nouveau livre, je tiens à louer le temps passé pendant lequel je pus voyager sans encombre dans tant de pays et apprendre bien des choses, car jamais je ne reverrai des jours pareils. Je parcourais un monde qui n'avait pas vu la guerre depuis une quarantaine d'années, et les soldats des rois protégeaient les routes des caravanes et les marchands, et les navires des souverains défendaient le fleuve et les mers contre les pirates. Les frontières étaient ouvertes, et marchands et voyageurs chargés d'or étaient les bienvenus dans toutes les villes, et les gens ne s'offensaient pas les uns les autres, ils s'inclinaient et mettaient les mains à la hauteur des genoux et ils s'informaient des mœurs d'autrui, et bien des personnes cultivées parlaient plusieurs langues et écrivaient deux écritures. On irriguait les champs qui portaient d'abondantes récoltes, et au lieu du Nil terrestre, le Nil céleste arrosait les prés des terres rouges. Au cours de mes voyages, les troupeaux paissaient paisiblement et les pâtres n'avaient pas de lances, mais ils jouaient du chalumeau et chantaient joyeusement. Les vignobles étaient florissants et les arbres fruitiers ployaient sous leur charge, les prêtres étaient gras et luisaient d'huile et d'onguents, et la fumée des innombrables sacrifices montait dans les cours des temples de tous les pays. Les dieux aussi se portaient bien et ils étaient propices et se réjouissaient des grasses offrandes. Les riches devenaient encore plus riches et les puissants encore plus puissants et les pauvres encore plus pauvres, ainsi que les dieux l'ont prescrit, si bien que chacun était content et que personne ne murmurait. Tel m'apparaît ce passé qui ne reviendra jamais, le temps où j'étais dans la force de l'âge et où mes membres n'étaient pas fatigués des longs voyages, et mes yeux étaient curieux et désiraient voir du nouveau et mon cœur était avide de savoir.